Par Alice Rothchild – The Seattle Times – 9 août 2019
Un débat central au sein de la communauté juive aux États-Unis implique le sionisme et sa relation avec le judaïsme. Dans une anthologie récente, « Reprendre le judaïsme au sionisme : histoires d’une transformation personnelle », 40 rabbins, érudits et militants réfléchissent sur leur parcours intellectuel et émotionnel particulier débuté avec un amour inconditionnel d’Israël. Comme les autres participants, j’ai pris conscience que l’idéologie du nationalisme juif et la politique du gouvernement israélien avaient corrompu ma conception du judaïsme et ses valeurs religieuses et culturelles centrales.
J’ai grandi dans une famille, après l’Holocauste nazi, qui considérait la création d’un État juif moderne comme un miracle à célébrer. Nous avons idéalisé les kibboutz, sauvé nos quartiers pour planter des arbres dans la terre aride et aimé l’idéal romantique des pionniers israéliens qui faisaient fleurir le désert.
Dans le même temps, comme beaucoup de juifs, j’étais fière de ma politique progressiste. J’ai soutenu les droits civils, les droits des femmes, les syndicats ; c’était mon expression vécue d’une religion qui prônait la guérison du monde et œuvrait pour la justice. En tant qu’immigrante de la deuxième génération, c’était aussi comme cela que je voyais mon rôle en Amérique, une terre où mes grands-parents, fuyant les pogroms de l’Europe de l’Est, avaient trouvé un foyer, même si ce n’était que les pauvres ghettos de Brooklyn, au début des années 1900.
Ma transformation a débuté alors que je me plongeais dans les questions complexes du colonialisme, de l’impérialisme, du racisme et du génocide. Je me suis rendu compte que mon éducation sur la création des États-Unis avait, de façon commode, tenu à l’écart la destruction des peuples autochtones, la primauté de l’esclavage, le racisme omniprésent et le rôle du colonialisme européen. De la même façon, beaucoup, dans mon école hébraïque et mon éducation juive qui s’en est suivi, n’a pas été dit sur le financement de l’État d’Israël.
J’ai eu une prise de conscience, instruite par les historiens israéliens et palestiniens qui avaient accès aux archives nouvellement ouvertes de l’État qui racontaient l’histoire du nettoyage ethnique de la Palestine. Alors que je commençais à voyager et à travailler dans la région, mes liens avec les Israéliens juifs progressistes et les Palestiniens sont devenus une telle force que je ne pouvais plus revenir en arrière. Rester debout à un check-point israélien en Cisjordanie avec des centaines de femmes et enfants, pour la plupart palestiniens, attendant après un soldat israélien de 20 ans, solidement armé ; passer au crible des puzzles, de la vaisselle brisée, des Légo et des sous-vêtements dans les décombres d’un quartier bombardé à Gaza ; écouter des femmes qui avaient saisi leurs enfants et fuyaient les bombes israéliennes en 2014, butant sur des corps sanglants et brisés – ce sont toutes des expériences qui ne peuvent pas être « invisibles ».
Ceci m’a conduit à douter du sionisme, l’idéologie du nationalisme juif où la création et la défense d’un État juif sont la seule réponse viable à l’antisémitisme. J’ai appris que c’était une idée moderne, née de la haine des juifs européens. L’idéologie s’est modelée sur le colonialisme de peuplement européen : construire un État dans une région indomptée du monde et apporter la modernité aux autochtones restants. Le sionisme est aussi le test décisif pour être un bon juif aux États-Unis. J’ai commencé à comprendre que le sionisme implique intrinsèquement de nuire aux Palestiniens qui vivaient en Palestine historique quand a débuté l’immigration juive, au début des années 1900. En 1948, avec l’expulsion de 750 000 Palestiniens et la destruction de plus de 450 de leurs villages, le peuple palestinien a été finalement obligé de supporter le prix de l’Holocauste nazi. Cette Nakba (catastrophe) se poursuit encore aujourd’hui avec la façon raciste et militariste du gouvernement israélien d’aborder le projet téméraire de partager un pays revendiqué par deux peuples.
Comme de nombreux juifs, je ne peux pas soutenir une idéologie qui se fonde sur un privilège juif et la persécution d’un autre peuple. Cela a été catastrophique pour les Palestiniens, et profondément corrompu pour les juifs. Je dis cela par amour, pas par haine de moi-même. La sécurité pour les juifs ne viendra pas en faisant le tour des wagons, en construisant des murs plus grands et des drones plus invasifs. La sécurité viendra de la formation de coalitions avec les autres communautés, du développement de sociétés inclusives fondées sur l’égalité, la démocratie, et de la lutte contre le militarisme extrême et l’intolérance croissante qui étreint une grande partie du monde.
Le judaïsme s’est développé alors que les juifs de la diaspora apportaient une réponse spirituelle à la dispersion et à l’exil ; une philosophie multiculturelle, multinationale, basée sur des croyances et des valeurs, et non sur une puissance militaire. Le développement très récent du sionisme politique étaye la nécessité d’un État militarisé où la victimisation historique des juifs justifie un privilège juif structurel et tout niveau de violence au nom de l’ « auto-défense ». Cela est incompatible avec une religion qui se fonde sur l’amour de l’étranger et la recherche de la justice, et avec une culture qui soutient les droits de l’homme et le droit international.
Après des siècles d’impuissance, la manière dont nous gérons, en tant que communauté, nos nouvelles positions de pouvoir et de privilège, est essentielle à la survie d’une tradition juive éthique, ainsi qu’à une juste résolution à une lutte de plus d’un siècle en Palestine historique et qui est menée en notre nom.
Alice Rotchild est écrivaine, cinéaste et gynécologue-obstétricienne en retraite à Seattle. Elle est l’auteure de trois livres, dont le plus récent est « Condition Critical : Life and Death in Israel/Palestine » et elle a contribué à un certain nombre d’anthologies, notamment « Reclaiming Judaism from Zionism: Stories of Personal Transformation.
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: The Seattle Times