Ce texte a été rédigé par une membre de l’UJFP récemment, en réaction au génocide en Palestine.
Par E.
Cette phrase, je l’ai entendue récemment de la bouche d’un camarade de lutte au sein du collectif juif antisioniste auquel j’appartiens depuis un an. Je l’ai instantanément trouvée percutante, une « punchline » drôle et juste à la fois, et je ne cesse d’y repenser depuis. Pourquoi résonne-t-elle si fort ? Que dit-elle de l’air du temps ? Pourquoi m’y suis-je autant retrouvée, alors même que je suis agnostique et n’ai pas grandi en célébrant les fêtes religieuses juives ?
Freud disait que la différence entre un talmudiste et un psychanalyste, c’était qu’une génération les séparait. Je ne parlerai pas au nom du camarade à l’origine de la formule qui m’a interpellée, mais me concernant, il ne s’agit aucunement de chercher dans le religieux les réponses à un mal-être personnel et intime. En tout cas, pas au sens où s’en remettre au divin atténuerait les vicissitudes de l’existence. Et pourtant, il y a là une blessure que la thérapie ne peut pas réellement panser. Quelque chose de plus grand, qui nous transcende et nous ravage collectivement et dans l’individualité de nos âmes…
Les « psy », qu’ils.elles soient psychologues, analystes ou psychiatres, je les considère comme des béquilles incroyablement précieuses dans nos parcours de vie. Du moins, ils.elles l’ont été jusqu’à présent dans le mien, et je peux dire que je leur dois littéralement le fait d’être toujours là. Ils. Elles m’ont permis de surmonter une dépression qui était l’aboutissement logique d’une enfance en partie toxique et marquée par le deuil. Par conséquent, cette formule appelant à s’en détourner, à les boycotter, je n’y ai nullement lu un désaveu de la thérapie en tant que démarche utile et légitime.
Alors pourquoi vouloir, en ce mois d’octobre, se tourner vers un.e rabbin ? Précisément parce que nous sommes à l’automne 2024. Depuis un an, nous assistons en temps réel au génocide des Palestinien.nes de Gaza et, dans une moindre mesure, de Cisjordanie. Non, il me faut reformuler : depuis un an, nous assistons en temps réel au génocide de milliers d’êtres humains, pour une grande part jeunes voire très jeunes, dont le seul tort est d’être ce qu’ils.elles sont. En tant que juive antisioniste, à l’instar de nombreux.ses camarades, j’y pense matin, midi et soir. Leur perte est irréparable, et elle me concerne directement puisque leurs bourreaux prétendent agir en mon nom. Les années de militantisme sous toutes ses formes qui ont constitué une part conséquente de mon existence n’y changent rien : chaque jour, quand j’habille mes enfants avant de les déposer à l’école, il est des mères à Gaza qui enveloppent le corps de leurs enfants d’un linceul… Mes enfants n’ont pourtant pas davantage le droit de vivre que les leurs.
Cette tragédie en cours, cet épouvantable massacre de masse, nous le suivons chaque jour, chaque nuit même. Qu’il est difficile, même quand la lumière bleue des écrans est la dernière dans l’obscurité de nos chambres, d’éteindre le téléphone, de fermer tous les onglets ouverts sur nos ordinateurs afin de mettre de côté les images du bain de sang qui se produit à quelques heures d’avion… Alors le politique devient profondément intime, ce qui n’est pas une nouveauté mais prend aujourd’hui une dimension infernale.
Je sais le prix de la santé mentale, aussi je me contrains à limiter mon exposition à ces nouvelles insupportables de l’anéantissement subi par les Palestinien.nes. Mais cela n’est pas logique. Au-delà du caractère éminemment immoral de ce génocide autorisé, il n’est pas normal, pas acceptable, que l’équilibre psychique de chacun.e soit ébranlé et/ou questionné quand c’est la réalité politique qui est dysfonctionnelle. Et la culpabilité des responsables religieux est écrasante. Haïm Korsia, grand-rabbin de France, a officiellement soutenu le génocide. Dès lors, il n’est pas seulement complice de l’une des pages les plus sombres de notre histoire, mais aussi responsable et coupable du désespoir, de la colère, de l’isolement de nombreux.ses Juif.ves.
J’insiste sur l’idée de culpabilité, à la fois car elle souligne la gravité de la faute morale qu’est la sienne, et celle de tant d’autres à son image, et car c’est précisément cette culpabilité qui nous est reversée à nous qui nous opposons au génocide. Non seulement nous souffrons chaque jour de savoir que l’horreur se poursuit, mais nous en subissons en outre une ostracisation parfois très violente au sein de nos cercles proches, de nos communautés. Il y a quelques mois, je recevais encore des appels et courriers anonymes de militant.es juif.ves sionistes qui me harcelaient, certainement dans le but de me faire douter, culpabiliser et, in fine, de me faire taire. Je crois très important de rappeler ici que la culpabilité est le nœud de la dépression.
Alors il est temps de remettre les choses à leur place, et chacun.e face à ses responsabilités : il ne nous incombe pas d’aller nous faire littéralement soigner afin de supporter l’innommable. Nous ne sommes pas malades. C’est le judaïsme organisé actuel qui l’est, et nous empoisonne chaque jour un peu plus par ses positions iniques, criminelles et suicidaires.