Photo : Des Palestiniens prennent le contrôle d’un tank israélien après avoir franchi la barrière frontalière séparant Gaza d’Israël à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023 (Photo : Stringer/ APA Images)
Rien ne peut masquer la détermination et le courage de ces jeunes gens qui sont retournés sur leurs terres le 7 octobre. J’aurais pu être l’un d’eux si j’étais beaucoup plus jeune et que je vivais encore dans le camp de concentration appelé Gaza
Salman Abu Sitta – 4 janvier 2024
Oui, je pourrais avoir été l’un de ceux qui ont brisé la barrière si j’étais beaucoup plus jeune et que je vivais encore dans le camp de concentration appelé la bande de Gaza.
Mon histoire est la même que la leur à tous. Le 14 mai 1948, ma famille, sur notre terre, Ma’in Abu Sitta, fut attaquée par un groupe de 24 véhicules blindés de la Haganah. Le groupe a tout détruit et brûlé. Les soldats ont démoli l’école construite par mon père en 1924 ; ils ont volé le moteur et l’équipement de la meunerie ainsi que la pompe du puits ; ils ont tué tous ceux qui étaient en vue.
Ce jour-là, lorsque Ben Gourion a déclaré la création de son État, je suis devenu un réfugié. Nous avons été poussés vers la prison appelée la bande de Gaza, à 4 kilomètres de chez moi.
Je n’étais pas seul. Des Palestiniens de 247 villes et villages du sud de la Palestine ont été conduits à cette enclave par des dizaines de massacres, comme à Bureir, Abu Shusha, Ed Dawayima et bien d’autres. La petite bande de Gaza, rien que 1,3% de la Palestine, est devenue le foyer temporaire de 2,3 millions de réfugiés palestiniens. Les attaques israéliennes contre eux, terrestres, aériennes et maritimes ainsi qu’un blocus complet, n’ont jamais cessé depuis 75 ans.
J’ai fait mes études en Égypte, mais mes cousins n’ont jamais hésité à franchir la barrière de fils barbelés appelée Ligne d’Armistice et ils ont essayé de retourner chez eux, comme cela s’est passé le 7 octobre. Ils ont traversé la barrière de barbelés et attaqué les occupants de notre terre. Ils ont retrouvé un parent âgé qui était resté, ils ont donné à boire à ce qui restait du troupeau et, de façon générale, ils ont essayé de redonner vie à Ma’in Abu Sitta, notre terre.
Je ne pourrai jamais oublier mon cousin, Hassan Madi, son visage souriant et son comportement agréable. Il revenait nous voir et nous racontait ce qu’il en était de nos vergers et ce que les colons faisaient chez nous. C’était un feday très courageux. Il se faufilait dans le camp des colons et écoutait ce qu’ils disaient. Il a été tué par une mine enterrée sur son chemin.
Quinze autres jeunes de ma famille ont été tués dans les deux années qui ont suivi 1948. De 1948 à 1956, on estime à 5000 le nombre de Palestiniens tués alors qu’ils tentaient de retourner chez eux.
Les colons ont édifié des préfabriqués sur ma terre, qui sont devenus des kibboutz. Leurs noms sont couramment présents dans les médias de nos jours. Nirim a été construit sur les terres de mon père. Je suis né à quelques mètres de l’emplacement du kibboutz. Le kibboutz Ein Hashlosha, à quelques kilomètres au nord, s’élève sur des terres appartenant à mon père et à ses cousins, une vaste plantation de blé et d’orge. Nir Oz a été construit sur des terres de l’oncle de mon père, Haj Mahmoud. Son fils, Hamed, qui était ingénieur civil, a consacré sa vie à la libération de la Palestine et a été un acteur-clef de la formation de l’OLP en 1964, organisation dont il est resté membre du comité exécutif pendant plus de 40 ans. Le quatrième kibboutz sur nos terres a été nommé Magen. Il se trouve à l’emplacement de Sheikh Nuran, un site vénéré où les femmes venaient chercher la bénédiction de leurs nouveau-nés. C’était le site antique de Saint Hilarion, un personnage clef de la Palestine chrétienne. C’est là où il s’est retiré, dans la Palestine byzantine du quatrième siècle.
Aujourd’hui, quand on entend les noms de ces kibboutz, il faut se rappeler sur les terres de qui ils ont été édifiés. Il faut se souvenir que les propriétaires de ces terres n’ont jamais abandonné leur droit au retour.
Cela vaut pour plus de deux millions de Palestiniens de la bande de Gaza. Quand vous entendez parler des otages, souvenez-vous qu’ils sont les véritables otages depuis plus de 27 000 jours. Ils sont venus de 247 villes et villages du sud et du centre de la Palestine. Voir la carte N°1 pour l’origine des réfugiés de Gaza. Ils sont entassés dans des camps dont la densité est de 8 000 personnes /km2.
Non seulement ils ont été expulsés et transformés en réfugiés en 1948, mais ils ont été constamment attaqués dans des camps d’exil en 1953, 1956, 1967, 1971 et 1987, et selon une féroce régularité, de 2006 à aujourd’hui. Dans une tournure inconnue dans l’histoire coloniale, le nettoyage ethnique qu’ils ont subi s’est élevé en 2023 à un génocide aux proportions inégalées. L’ampleur de cette férocité, le nombre de femmes et d’enfants tués, les vastes zones de destruction et le nombre de bombes lancées sur un espace aussi petit en moins de trois mois dépassent tout ce qu’on sait des deux guerres mondiales.
La bande de Gaza est limitée par l’Accord d’Armistice signé entre l’Égypte et Israël le 24 février 1949. Voir ci-dessous la carte n °2 qui figure la ligne d’armistice. L’Article 2 de l’Accord stipule que la Ligne ne confère ni ne dénie des droits aux parties au conflit. C’est simplement la ligne où se sont arrêtés les belligérants à cette date.
Israël n’a pas de frontières, ni de son propre aveu ni par aucun article du droit international. En 1948, Israël a occupé 20 500 km2 (80% de la Palestine) dont seulement 6% ont été obtenus par la collusion avec le Mandat britannique. Le reste fut obtenu uniquement par la force militaire.
Un an après l’Accord d’Armistice officiel de février 1950, Israël s’est plaint que de nombreux réfugiés aient franchi la ligne et a suggéré à l’Égypte, pour éviter des clashs, d’établir une ligne temporaire appelée modus vivendi, pourvu que l’accord originel reste en vigueur. Cela a réduit l’étendue de la bande de Gaza de 555 km2 aux 365 km2 actuels. Comme le montre la carte n°2, cette ligne temporaire est officieusement devenue la ligne normale sur les cartes et celle qu’Israël maintient.
Ce fait recouvre un élément macabre. Nombre des kibboutz attaqués, Nirim, Nir Oz et Ein Hashlosha, construits sur mes terres et celles d’autres, se trouvent en réalité dans la bande de Gaza elle-même, comme le montre la carte n°2.
Israël a, sans relâche, essayé de grignoter de plus en plus de la bande de Gaza en tant que « zone tampon ». Aucune entité internationale a jamais contesté la réduction continue par Israël de la petite bande de Gaza.
Pendant ce temps, la guerre continue contre ces jeunes gens qui ont franchi la ligne pour retourner chez eux. Il leur faut composer avec les bombes lancées sur Gaza et avec une campagne de dénigrement incessante à l’étranger.
La fausse information et la sinistre diffamation dont ils sont l’objet, comme de décapiter des bébés et une campagne sur des viols de femmes , se sont révélées entièrement fausses , mais leur effet persiste. Quiconque les connaît à Gaza sait qu’ils ont un code moral strict.
Rien ne peut cacher la détermination et le courage de ces jeunes gens. Ils tiennent depuis 90 jours, plus que dans aucune guerre d’Israël avec ses voisins.
Quand la poussière sera retombée, si cela arrive, l’histoire montrera qui a héroïquement défendu sa patrie et qui, d’un autre côté, a commis tant de crimes haineux. Cette mémoire rendra compte de l’histoire des deux peuples.
Traduction SF pour l’UJFP