J’ai été expulsée d’Israël parce que mariée à un Palestinien

J’ai été expulsée d’Israël parce que mariée à un Palestinien

Par Véronique Bontemps | Chercheuse | 01/12/2009 | 12H19

Dimanche 22 novembre 2009 à 5h00 du matin, j’ai été expulsée du territoire israélien. Anthropologue, Française, je devais intervenir à une conférence à Jérusalem à l’invitation du Consulat général de France. Le problème pour les Israéliens, c’est que je suis mariée avec un Palestinien.
Je viens d’achever une thèse sur le patrimoine et l’identité locale à Naplouse, en Cisjordanie. Depuis 2004, j’y ai effectué des séjours de plusieurs mois, puis je revenais en France où je donne des cours à l’université.

Comme il est impossible de se rendre dans les Territoires occupés sans passer par Israël, qui en contrôle toutes les frontières, aériennes (l’aéroport Ben Gourion) ou terrestres (le pont Allenby), c’est auprès de l’Etat israélien qu’il me fallait solliciter un visa de tourisme de trois mois pour aller à Naplouse poursuivre mes recherches et rejoindre mon mari.

Depuis 2006, à chacun de mes passages, j’indiquais que je suis mariée avec un Palestinien, fournissant à la demande de la police son numéro de carte d’identité. J’ai souvent attendu des heures ; mais j’ai toujours obtenu un visa.

« Pourquoi est-ce que vous entrez et sortez tout le temps ? »
Samedi 21 novembre 2009, j’arrive par l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv vers 15 heures. En réponse à la question : « Quel est le motif de votre séjour en Israël ? », je présente ma lettre de mission. Quelques minutes plus tard, une policière arrive.

Elle prend mon passeport et m’intime de me rendre au centre de police, où je m’assieds face à une autre policière. Celle-ci tient à la main un feuillet qui comporte les dates de mes entrées et sorties du territoire israélien depuis 2005. « Pourquoi est-ce que vous entrez et sortez tout le temps ? », me demande-t-elle sèchement.

J’explique que je poursuis des recherches universitaires sur la région de Naplouse et que, par ailleurs, je suis mariée avec un Palestinien qui y habite. J’ajoute que ma visite a cette fois-ci des raisons professionnelles, même si je vais bien sûr voir mon mari.

Je tends une nouvelle fois ma lettre de mission. Oui, j’ai le numéro de téléphone de l’attaché culturel, oui, j’ai le numéro de carte d’identité de mon mari, oui, je reprends l’avion cinq jours plus tard, voilà le billet.

Ils me traitent comme ils traitent les Palestiniens
La policière m’annonce qu’on va vérifier mes dires. 20 minutes plus tard, elle revient me voir :

« Comme vous êtes mariée avec un Palestinien, pour la sécurité d’Israël, nous ne pouvons vous laisser entrer. Vous devez faire demi-tour et revenir par le pont Allenby [la frontière terrestre avec la Jordanie]. Nous allons vous renvoyer en France. Vous prendrez l’avion à 5 h du matin. »

Je reste sans voix. Je suis venue en mission pour le Consulat français. Tous mes collègues sont entrés. Sauf moi, parce que je suis mariée avec un Palestinien. Les Palestiniens n’ont pas le droit de passer par l’aéroport ni d’entrer en Israël. On me traite donc comme un Palestinien. C’est-à-dire comme un citoyen de deuxième catégorie.

La fin de la journée et la nuit en ont été une triste confirmation. On m’autorise à téléphoner à la personne qui m’attend. Je lui explique que je suis expulsée. Je ne peux téléphoner ni à mon ambassade, ni à mon mari. Mes bagages sont repassés aux rayons X, je suis fouillée au corps.

Autour de moi, dans la zone d’attente, des passagers d’origine arabe, turque, africaine. Des policières viennent les voir, leur passeport à la main. Parfois elles leur rendent, parfois elles partent avec eux. Je pense à mon mari que je ne peux pas prévenir, j’essaie de ne pas pleurer.

Une Colombienne en rétention depuis 22 jours
Vers 18h00, on me fait monter dans une fourgonnette de police grillagée. Nous descendons devant un petit centre de rétention, entouré de barbelés. On me fait déposer mes affaires, je ne peux garder que mon argent. Pas de téléphone, pas de livre. On me donne un sandwich et une petite bouteille d’eau, et on m’emmène dans ma cellule.

Deux femmes (une Ukrainienne, une Colombienne) s’y trouvent déjà, installées sur deux lits superposés en métal. La Colombienne, qui tente de rejoindre son ami israélien, est là depuis 22 jours. Son ami a engagé un avocat pour la faire entrer sur le territoire israélien. Elle ignore pourquoi on lui interdit l’accès.

Plus tard, une dame d’un peu plus de 50 ans est introduite dans la cellule. Réfugiée en Angleterre d’un pays d’Afrique, elle est venue avec un groupe de pèlerins. Elle ne possède pas de passeport britannique, mais seulement un document de voyage. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, de se retrouver là, dans cette cellule. « God bless them », marmonne-t-elle.

Dans la cellule, nous ne pouvons pas éteindre la lumière. Quand le gardien passe, je lui demande une deuxième couverture, j’ai froid. Il me dit : « Je vais demander. » Mais il ne revient pas. Impossible de songer à dormir. Je finis par appeler en frappant de la main contre la porte, pour quémander un livre. Au bout d’une demi-heure de négociations, on me laisse en prendre un. Je me sens mieux, je me blottis sous mon unique couverture.

« Rendez-vous dans dix ans »
Vers 23h30, un coup de téléphone : c’est l’ambassade de France. Une dame me dit qu’elle va voir ce qu’elle peut faire. Je lui répète ce que l’on m’a dit : je vais prendre un avion à 5h00 du matin. Ensuite, plus de nouvelles.

Je lis, somnole un peu -j’ai vraiment froid. A 4h00 du matin, on vient me chercher pour m’amener directement sur le tarmac. On me donne ma carte d’embarquement, mon passeport est confié au personnel de bord. Lorsque je monte dans l’avion, le policier israélien me dit, un sourire en coin : « Rendez-vous dans dix ans. »

J’ai un passeport français valide, une lettre de mission du Consulat. Ce qui ne va pas, c’est que je suis mariée avec un Palestinien. Je dois donc faire demi-tour, et revenir par le pont Allenby, paraît-il. Sauf que là-bas, c’est aussi à la police israélienne que je montrerai mon passeport. Libre à elle alors, si elle le souhaite, de me refouler à nouveau. Et personne ne lui dira rien.

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