Israël, l’option « Gérer le conflit » cache une annexion de fait

Mediapart

Bien loin de maintenir le statu quo, l’option « Gérer le conflit » s’efforce de le modifier activement, même si certains croient bon d’ajouter la formule « Ne rien faire »

Dans le billet précédent1, je revenais sur le chantage exercé par Israël sur tous ceux qui envisagent d’autres cadres et paramètres de négociation que le face à face déséquilibré entre l’occupé et l’occupant. J’y présentais également les arguments d’un expert israélien, le professeur E. Inbar, sur l’option qu’il estime être « la plus censée », « Gérer le conflit et ne rien faire ». Une formulation erronée, qui ne reflète pas la stratégie sous-jacente et devrait être remplacée par la suivante : Annexion de fait de larges parties du territoire palestinien, dont une partie, celle de Jérusalem-Est est intervenue dès la fin de la guerre de 1967 et officialisée en 1982.

Les écrits de Hillel Frisch le démontrent clairement2. Professeur de sciences politiques, à l’université de Bar-Ilan comme E. Inbar, il collabore en tant que chercheur senior associé aux activités du BESA, un centre d’études stratégiques dirigé par le premier qui a accompagné la marche vers le pouvoir de Benjamin Netanyahou depuis les années 1990. Le 29 mars dernier, se plaçant dans la perspective du retrait de la vie politique de Mahmoud Abbas (83 ans), F. Frisch détaillait les cinq options possibles pour les dirigeants israéliens, avec leurs avantages et leurs inconvénients respectifs : friction, chaos constructif, retrait unilatéral de la Judée et Samarie, annexion unilatérale de la zone C et, enfin, annexion de fait (« gestion du conflit» dans le lexique de nos experts).

A l’instar d’E. Inbar, H. Frisch privilégie la dernière option en supprimant le « rien faire », ce en quoi il a raison car la gestion du conflit consiste effectivement à FAIRE. Dans les faits, il s’agit de continuer à modifier activement la situation sur le terrain de manière qu’il reste de moins en moins de population palestinienne dans les territoires annexés de facto. Cela en appliquant des méthodes éprouvées depuis des décennies, elles-mêmes inspirées de celles utilisées lors de la création de l’état d’Israël pour réduire toujours plus la présence palestinienne, sa base économique et ses outils productifs, Telle est la stratégie poursuivie par tous les gouvernements israéliens et que le gouvernement actuel poursuit avec une intensité particulière.

Dans le même temps, pour ne pas effaroucher les alliés « incompréhensiblement » attachés à la solution « illusoire » des deux Etats, une certaine « modération » s’impose. Celle-ci ne concernerait pas, toutefois, les colonies qui comptent le plus : celles voisines de la Ligne verte, celles qui encerclent Jérusalem-Est ou que le mur englobe sur son côté ouest et enfin celles établies dans la vallée du Jourdain, considérée comme zone de toute première importance pour assurer la sécurité d’Israël. H. Frisch insiste sur ce point, dans les cinq cas de figure « le contrôle militaire israélien total sur la Judée et Samarie serait maintenu » et l’annexion de fait n’introduit pas d’exception à la règle.

Tout en présentant les garanties nécessaires sur le plan sécuritaire et en rassurant les alliés, cette option est également susceptible de favoriser les échanges avec les Palestiniens, un aspect des choses auquel H. Frish est particulièrement sensible. Comme il le fait remarquer, la Palestine occupée « représente le second partenaire commercial d’Israël et peut-être son marché (OE extérieur) principal pour les biens et services non high-tech, un segment de marché qui emploie la plus grande partie des travailleurs israéliens ». Et traitant de l’option « Chaos constructif » qui consisterait à tirer parti de la période de désordres et d’incertitudes qu’ouvrirait selon lui le départ de M. Abbas, il met en garde en raison des « coûts économiques importants » qu’elle impliquerait pour Israël.

Pour conclure, je poserai simplement deux questions :

– pour rester sur le terrain économique, n’y a-t-il pas contradiction entre la perpétuation de l’occupation militaire, la négation du droit à l’auto-détermination et à la conduite autonome de leurs affaires par les Palestiniens et la promotion des liens commerciaux avec eux ?

– l’Israël de Netanyahou, Lieberman, Bennett, etc. est-il un partenaire pour la paix ?

24 MAI 2016 PAR OLIVIA ELIAS BLOG : LE BLOG D’OLIVIA ELIAS


Les pertes subies par les Palestiniens du fait de l’annexion de facto et de l’occupation- qui se chiffrent en milliards de dollars chaque année – ont une contrepartie : les avantages économiques que les Israéliens en retirent. Pour plus d’infos sur le sujet, quelques références :

-Le dé-développement économique de la Palestine, Olivia Elias, AFPS, octobre 2013, 96 pages.

-L’économie de la Palestine : asphyxiée et pourtant vivante, chapitre II « Le bilan économique de l’occupation, Olivia Elias, Actes du colloque organisé par le CVPR-PO au Sénat en avril 2015, éditions du CVPR-PO, 126 pages, 10 euros.

-Note de lecture sur « Le dé-développement économique de la Palestine » d’Olivia Elias, par Jean-François Mignard, Revue Hommes & Libertés, N°167, septembre 2014, page 58, https://blogs.mediapart.fr/olivia-elias/blog/271115/le-de-developpement-economique-de-la-palestine-olivia-elias-note-de-lecture

http://besacenter.org/perspectives-papers/israels-five-policy-options-regarding-judea-samaria/

Note-s
  1. « Palestine, l’option du gouvernement israélien : ne rien faire et gérer le conflit », Olivia Elias, 21 avril 2016, https://blogs.mediapart.fr/olivia-elias/blog/210516/palestine-l-option-du-gouvernement-israelien-ne-rien-faire-et-gerer-le-conflit[]
  2. Israel’s Five Policy Options Regarding Judea and Samaria, Prof. Hillel Frisch, 29 mars 2016, BESA Center Perspective Papers, N°336,[]