(Jérusalem) – Les autorités israéliennes devraient immédiatement remettre en liberté le défenseur des droits humains franco-palestinien Salah Hamouri, actuellement maintenu en détention administrative, et annuler la décision de révoquer son statut de résident dans sa ville natale de Jérusalem, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 7 mars 2022, les autorités israéliennes ont arrêté Hamouri, un avocat qui travaille avec l’organisation de défense des droits des prisonniers palestiniens Addameer, que les autorités israéliennes ont interdite l’an dernier, et le maintiennent depuis en détention administrative en l’absence de procès et d’inculpation, sur la base de preuves non divulguées.
Le 17 octobre 2021, le ministère israélien de l’Intérieur a révoqué le statut de résident d’Hamouri pour « manquement à l’allégeance » envers Israël, ce qui pourrait entraîner son expulsion de Jérusalem-Est occupée. Or, le droit international humanitaire interdit expressément à une puissance occupante de contraindre les populations sous occupation à lui prêter allégeance. Les révocations de résidence font partie des politiques constitutives des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution commis par les autorités israéliennes à l’encontre de millions de Palestiniens.
« Les autorités israéliennes détiennent Salah Hamouri sans procès ni inculpation depuis des mois, ont déclaré hors la loi l’organisation de défense des droits humains pour lequel il travaille et révoqué son statut légal à Jérusalem », a déclaré Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine auprès de Human Rights Watch. « Le sort d’Hamouri est emblématique de la lutte des défenseurs palestiniens des droits humains qui défient l’apartheid et la persécution perpétrés par Israël. »
Tôt dans la matinée du 7 mars, les forces israéliennes ont arrêté Hamouri, un Palestinien de Jérusalem âgé de 37 ans possédant aussi la nationalité française, à son domicile à Jérusalem-Est. Les parents d’Hamouri ont déclaré à Human Rights Watch que l’armée israélienne avait confisqué trois téléphones cellulaires et un ordinateur portable et n’avait pas restitué celui-ci. Le 10 mars, l’armée a émis une ordonnance de détention administrative de trois mois à l’encontre d’Hamouri et l’a renouvelée le 6 juin. L’ordonnance expire le 5 septembre et peut être encore renouvelée.
Les tribunaux militaires ont fondé leur décision de placer Hamouri en détention sur des informations secrètes qui, selon eux, attestent de son implication dans les activités du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un mouvement politique palestinien doté d’une branche armée. Les autorités israéliennes n’ont pas publiquement fourni de preuves pour étayer cette allégation. Même si de telles preuves existent, le fait de détenir Hamouri pour sa simple association ou son activisme politique avec l’organisation en question, sans aucune preuve de son implication dans un acte de violence, viole son droit à la liberté d’association.
Au cours des premiers mois de sa détention, Hamouri s’est joint à des centaines d’autres détenus pour boycotter les procédures devant les tribunaux militaires en raison du recours massif des autorités israéliennes à la détention administrative. Les détenus ont suspendu leur boycott le 1er juillet, et Hamouri a fait appel de son ordonnance de détention administrative. Le 4 août, une cour d’appel militaire l’a confirmée.
Selon Addameer, Hamouri a déclaré que les autorités israéliennes l’ont classé en juillet comme détenu de haute sécurité à la suite d’une lettre ouverte sur sa situation critique qu’il a adressée au président français Emmanuel Macron. À la suite de cette désignation, il a été transféré de la prison d’Ofer, en Cisjordanie occupée, à celle d’Hadarim, en Israël, bien que le droit humanitaire international interdise le transfert de résidents en dehors du territoire occupé. Selon Addameer, les forces israéliennes l’ont enchaîné et fouillé à plusieurs reprises pendant le transfert qui a duré plusieurs heures, et lui ont fait passer la nuit dans une cage métallique mal ventilée à la prison de Ramleh, dans le centre d’Israël.
Le ministère israélien de l’Intérieur a révoqué la résidence d’Hamouri en vertu d’un amendement de 2018 à la loi israélienne de 1952 sur l’entrée, qui autorise la révocation de la résidence permanente de toute personne soupçonnée de « manquement à l’allégeance » à Israël. Dans une lettre adressée à Hamouri dont Human Rights Watch a pris connaissance, le ministère de l’Intérieur pointe du doigt l’appartenance et les activités présumées d’Hamouri au Front populaire de libération de la Palestine pour justifier la révocation de la résidence, affirmant qu’il se livre à une « activité hostile, dangereuse et importante contre l’État d’Israël ».
En décembre, l’Agence nationale de sécurité sociale d’Israël a résilié son assurance maladie parce qu’il avait « quitté le pays » et qu’il n’avait pas de « preuve de résidence ».
Hamouri a contesté la révocation et a demandé une injonction pour bloquer l’expulsion jusqu’à la fin de la procédure. Toutefois, le 10 mars, la Cour suprême israélienne a confirmé le rejet de la demande d’injonction par un tribunal inférieur, invoquant des « informations secrètes » selon lesquelles Hamouri représentait une « menace sécuritaire ». Cette décision lève tout obstacle juridique à son expulsion par le gouvernement israélien.
L’association israélienne de défense des droits HaMoked, qui représente Hamouri dans cette affaire aux côtés de l’avocate israélienne Leah Tsamel, a déclaré que la Cour avait fixé à février 2023 la date de l’audition de contestation de l’expulsion, le temps de se prononcer sur une autre affaire contestant une loi de 2008 autorisant Israël à révoquer la citoyenneté d’un individu sur la base d’un « manquement à l’allégeance » à cet État. En juillet, la Cour a confirmé la loi de 2008.
Le ministère israélien de l’Intérieur avait révoqué la résidence de cinq autres Palestiniens de Jérusalem-Est occupée sur la base d’un « manquement à l’allégeance » à la fin de 2021, selon les données du ministère de l’Intérieur fournies à HaMoked.
La Quatrième Convention de Genève stipule expressément, dans son article 68, que les populations sous occupation n’ont pas de « devoir de fidélité » à la puissance occupante. L’article 45 des Résolutions de La Haye de 1907 interdit de « contraindre les habitants d’un territoire occupé à prêter serment d’allégeance à la puissance hostile ». En forçant effectivement les Palestiniens de Jérusalem-Est à quitter leurs maisons, les révocations de résidence équivalent à un transfert forcé, comme l’a documenté Human Rights Watch. Prises dans le cadre d’un ensemble de politiques visant à consolider une majorité juive à Jérusalem, les révocations de résidence contribuent à maintenir l’apartheid israélien et la persécution de millions de Palestiniens.
Moins d’une semaine après avoir révoqué la résidence de Hamouri, les autorités israéliennes ont déclaré Addameer et cinq autres organisations importantes de la société civile palestinienne comme des organisations « terroristes » puis « illégales », en se basant également sur des preuves secrètes qui, selon elles, attestent de liens avec le Front populaire. En novembre, Front Line Defenders a découvert, ce que Citizen Lab et Amnesty International ont confirmé par la suite, le piratage du téléphone d’Hamouri, ainsi que de cinq autres défenseurs des droits palestiniens, avec le logiciel Pegasus conçu par la société israélienne NSO Group.
Au 1er août, 671 Palestiniens se trouvaient en détention administrative en Israël, soit une hausse par rapport aux 492 Palestiniens détenus entre avril 2021 et mars 2022 (moyenne), selon les statistiques que l’administration pénitentiaire israélienne a fournies à HaMoked.
Les autorités israéliennes devraient cesser la pratique généralisée consistant à maintenir des Palestiniens en détention administrative en l’absence de procès et d’inculpation, a déclaré Human Rights Watch. Alors que le droit de l’occupation autorise la détention administrative en tant que mesure temporaire et exceptionnelle, la détention de centaines de Palestiniens, souvent pour des périodes prolongées et indéfinies, dépasse de loin ce que la loi autorise, a constaté Human Rights Watch. En 2014, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a appelé Israël à « mettre fin à la pratique de la détention administrative et à l’utilisation de preuves secrètes dans le cadre des procédures de détention administrative, et à veiller à ce que les personnes visées par une ordonnance de détention administrative soient soit inculpées rapidement d’une infraction pénale, soit remises en liberté ».
Les autorités israéliennes ont précédemment placé Hamouri en détention administrative entre août 2017 et septembre 2018. Elles l’ont également emprisonné entre 2005 et 2011 – dont trois ans passés en détention provisoire, avant qu’un tribunal militaire ne le condamne à sept ans de prison pour des accusations liées à un complot présumé visant à tuer l’ancien grand rabbin d’Israël. Il a été remis en liberté dans le cadre d’un échange de prisonniers. En 2011, Alain Juppé, alors ministre français des Affaires étrangères, a déclaré que l’affaire contre Hamouri manquait de preuves solides. Human Rights Watch a documenté le fait que les procès militaires israéliens, dont le taux de condamnation est proche de 100 %, sont loin de respecter les normes judiciaires.
En 2016, les autorités israéliennes ont expulsé la femme d’Hamouri, Elsa Lefort, une ressortissante française, et lui ont interdit de revenir en Israël pendant 10 ans, invoquant des « raisons de sécurité », séparant Hamouri d’elle et de leurs enfants, alors âgés de 6 et un an. L’interdiction empêche sa famille de lui rendre visite en détention.
Réfléchissant au harcèlement auquel il a été confronté dans un article publié dans Jacobin la veille de son arrestation en mars, Hamouri a écrit : « Ces actions ont un seul objectif : me contraindre à quitter la Palestine. » En avril, Hamouri a déposé une plainte pénale en France contre NSO Group pour le piratage de son téléphone portable et, en mai, soumis une demande à la Cour pénale internationale (CPI) portant sur les actions du gouvernement israélien à son encontre. En mai, Human Rights Watch et 11 autres organisations de la société civile ont appelé la France à faire pression sur Israël pour que cessent les violations des droits d’Hamouri.
« À travers Salah Hamouri, les autorités israéliennes intensifient leur assaut tous azimuts contre la société civile palestinienne et cherchent à créer un dangereux précédent qui leur permettrait de chasser plus rapidement les Palestiniens », a conclu Omar Shakir. « Les autorités françaises devraient faire pression sur Israël pour qu’il cesse de harceler Hamouri. »