Israël: l’État français muet sur le cas Hamouri

29 sept. 2017
Publié sur le blog des invités de Mediapart.

Plusieurs spécialistes en géopolitique considèrent que le silence du gouvernement français sur l’incarcération de Salah Hamouri, franco-palestinien de 32 ans, arrêté le 23 août dernier à Jérusalem, « n’est qu’un exemple parmi bien d’autres du deux poids deux mesures qui est de mise quand c’est l’Etat d’Israël qui viole les droits de l’Homme et ceux des peuples ».

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » écrivait Albert Camus, et c’est ce qui vient d’être fait dans cette première phrase.

Cette formulation, habituelle dans le discours français, est caractéristique du fait que nous nommons tout ce qui concerne le conflit entre l’Etat d’Israël et le peuple palestinien – qu’on appelle improprement le « conflit israélo-palestinien » – en utilisant le vocabulaire israélien. Pour être exact, il aurait fallu nommer correctement le lieu, à savoir « Jérusalem-Est » afin de ne pas maquiller le fait que cette partie de la ville a été annexée unilatéralement et illégalement par Israël. Quant au statut de « résident » dont Palestiniens bénéficient il désigne le simple droit de résider dans leur propre ville et celui de voter aux seules élections municipales, mais pas la citoyenneté israélienne. Ces Palestiniens ne sont donc ni Israéliens ni Palestiniens. Ils « résident »

Dire « Jérusalem » sans autre précision et dire « bénéficier du statut de résident » permettent donc de passer sous silence la réalité : une annexion, une occupation militaire, des habitants tolérés dans une seconde zone juridique sur une base de discrimination ethnique et religieuse.

Dans le cas de Salah Hamouri, détenu depuis un mois, la presse en général et le gouvernement français sont restés silencieux. Etonnant ! Car les conditions de sa détention devraient soulever l’indignation. En langage conforme au discours israélien on écrira : « La justice israélienne l’a condamné à six mois de détention administrative ».

En fait, cette justice qui met en « détention administrative », c’est ni plus ni moins que le même principe que les « lettres de cachet ». Salah Hamouri, comme 400 autres Palestiniens actuellement, est « embastillé » et non pas détenu : pas de jugement contradictoire, pas d’inculpation, pas de preuves, un dossier secret. Et cette peine de 6 mois est renouvelable à l’infini sans avoir à en justifier.

Depuis le 23 août, rien ne permet de penser que le gouvernement français ait agi pour obtenir la libération de Salah Hamouri ou bien il l’aurait fait avec la discrétion et la retenue qui sont de mise quand les violations du droit international sont le fait de l’Etat israélien. Israël n’est tout de même pas la Turquie, le Venezuela ou la Hongrie de Victor Orban… C’est vrai, sauf dans les Territoires palestiniens occupés de Cisjordanie et de Gaza.

Or le cas de Salah Hamouri, notre compatriote, est emblématique de la répression exercée par l’Etat d’Israël et son armée d’occupation contre toute la population palestinienne à commencer par sa jeunesse. Mais en France, on ne parle pas « d’armée d’occupation israélienne ». On dit « Tsahal », un nom bien sympathique qui signifie « armée de défense ». Salah Hamouri a fait sept ans de prison entre 20 et 27 ans, de 2005 à 2011 sur la base d’une accusation que la France a finalement jugée sans fondements, mais elle ne l’a pas défendu pour autant. La France se mobilisait alors uniquement pour Gilad Shalit, soldat de « Tsahal », c’est à dire, en réalité, d’une armée d’occupation qui participait au terrifiant blocus de deux millions de civils.

Capturé par le Hamas à Gaza, Gilad Shalit, soldat israélien (mais pas « soldat franco-israélien » comme on l’a beaucoup écrit) méritait la sollicitude de la France en tant que prisonnier de guerre maltraité. Mais la France n’a jamais défendu les prisonniers politiques palestiniens maltraités détenus injustement et illégalement en Israël, dont, à l’époque, Salah Hamouri faisait partie. En dépit de ses engagements de signataire des conventions internationales, en particulier la 4ème convention de Genève, la France reste silencieuse et inactive face aux emprisonnements, hors du territoire occupé, de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dont le seul crime est d’exister, et de ce fait de résister là où l’Etat d’Israël veut établir ses colons. Mais un « résistant » palestinien est considéré comme un « terroriste » de même que tous les Palestiniens dès l’âge des premières arrestations : 12 ans.

Aujourd’hui, jeune avocat, Salah Hamouri est persécuté. Depuis un an et demi il est privé du droit de vivre avec son épouse française qui travaillait à Jérusalem dans un service français. Il est privé de son enfant. Sa femme française a été expulsée en janvier 2016 alors qu’elle était enceinte de six mois et l’enfant du jeune couple est né en France. Et le voilà emprisonné sans inculpation, sans jugement contradictoire parce qu’il résiste à l’expulsion déguisée que représente l’interdiction faite à son épouse et à son enfant de vivre à Jérusalem. « Qu’il parte ! Comme tous les Palestiniens de Jérusalem et de Cisjordanie, qui devraient être expulsés en Jordanie ou bien en Egypte et, en attendant, être regroupés dans les enclaves palestiniennes de zone A et B » ! Voilà ce que veulent Avigdor Lieberman et le gouvernement extrémiste israélien, Lieberman qui a signé l’ordre de détention administrative de Salah Hamouri. Mais, si on reprend comme d’habitude le vocabulaire israélien pour évoquer cette expulsion programmée des Palestiniens, on n’emploiera jamais le mot de « déportation » qui est le seul mot juste.

Ne pas défendre Salah Hamouri, accepter que la persécution qu’il subit l’amène un jour à abandonner sa ville natale et ses compatriotes palestiniens pour venir vivre en France – ce qu’il ne fera pas ! – c’est donner son assentiment à la politique d’expulsion menée à Jérusalem et en zone C pour faire place à la colonisation israélienne du pays, achever la conquête, annexer la Cisjordanie. Est-ce la politique de la France ?

Continuer, dans le discours gouvernemental et dans les médias à utiliser le vocabulaire et les formulations martelés par la propagande israélienne, c’est accepter le crime en cours et ceux qui se préparent. S’en faire complice. Cela signifierait que, pour la France, la colonisation n’est pas un crime contre l’humanité partout. Autrefois, en Algérie alors que le concept n’existait pas encore, c’est un tel crime qui avait été perpétré, selon le président de la République. Aujourd’hui, en Palestine colonisée, il semblerait que ce ne soit pas un sujet et que toute mise en cause de cette colonisation-là doive être évitée pour ne pas nuire à nos excellentes relations avec la puissance coloniale, Israël et son « Cher Bibi ».

Le sort qui est fait à Salah Hamouri en France, l’absence de vigoureuse campagne de presse en sa faveur alors qu’Amnesty international, par exemple, s’élève contre le déni de droit dont il est victime, le silence du gouvernement français face à l’expulsion de son épouse et à ses incarcérations n’est qu’un exemple parmi bien d’autres: du deux poids deux mesures qui est de mise quand c’est l’Etat d’Israël qui viole les droits de l’Homme et ceux des peuples. C’est une erreur d’un point de vue intellectuel et politique. C’est une faute contre les valeurs dont la République française se réclame. Les conséquences en politique intérieure et en politique internationale en sont déjà lourdes. Elles le seront plus encore à l’avenir : un tel parjure finit par se retourner contre ses auteurs.

Les signataires :

Monique Cerisier ben Guiga, sénatrice honoraire,

Dominique Vidal, historien et journaliste,

Géraud de la Pradelle, professeur émérite des Universités,

René Backman, journaliste,

Giovanna Tanzarella, militante associative,

Pierre Blanc, universitaire,

Agnès Levallois, consultante,

Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités.

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