Publié par Alencontre le 27 juin 2019
A quoi peut-on comparer le plan de Jared Kushner ? Un projet pour un yacht de luxe conçu afin de voguer sur les sables du désert. Pour traiter sérieusement le plan du gendre de Donald Trump, nous devons être bénis par l’amnésie. La réalité doit être évacuée de notre conscience afin que nous puissions lire un texte aussi épuisant, chargé de promesses vides et de clichés de professionnel du marketing.
Quelle réalité ? Un contrôle israélien total de l’espace, de la terre et de ce qui se trouve en dessous, de l’eau, des gens, de leurs mariages et de leurs vies, de leur liberté de mouvement, de leurs biens, de leurs espoirs et de leur liberté.
Parler, par exemple, de « l’accès limité des agriculteurs palestiniens à la terre, à l’eau et à la technologie » sans dire explicitement que c’est Israël qui les limite – c’est se moquer face aux lecteurs. C’est ainsi que Sam Bahour, un militant social palestino-américain, consultant en affaires et analyste des politiques israéliennes, a décidé de répondre à Kushner avec une sorte d’accablement marqué par l’humour.
« Vous l’avez fait. Vous avez produit 136 pages de vide, en couleur et avec des photos aussi », écrit-il dans une lettre ouverte « d’un Américain à l’autre ». Sam Bahour a lu le plan complet sur la véranda de sa maison à El Bireh en Cisjordanie, « celle qui fait face à la colonie israélienne illégale de Psagot ». Il a examiné la place du règlement dans le plan de Kushner. « Je vois qu’il me satisfait parfaitement puisque vous n’insinuez même pas qu’il existe. Je sais, nous, les Palestiniens, ne devrions pas nous enliser dans des faits gênants qui parsèment le terrain. »
Au cours des 26 dernières années, des milliers d’exposés de position et de propositions de projets émanant d’institutions palestiniennes et internationales ont été publiés, et tous ont utilisé les mêmes mots qui ornent les piles d’initiatives de l’usine de la dynastie Trump : autonomisation, secteur privé, environnement des entreprises, esprit d’entreprise, compétitivité des exportations palestiniennes, zones industrielles, amélioration de la mobilité, renforcement du système éducatif et intégration des femmes au marché du travail.
Mais les auteurs de ces documents précédents sont partis au moins du point de départ critique de la reconnaissance de la réalité. Ils savaient qu’il était impossible de parler dans un langage sophistiqué du développement économique palestinien sans exiger la levée des interdictions israéliennes qui l’entravent. Même les rapports de la Banque mondiale indiquent que l’économie palestinienne perd des centaines de millions de dollars par an simplement parce qu’Israël contrôle 60% de la Cisjordanie (zone C). C’est apparemment la partie que l’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, comme ses amis dans les colonies, a déclaré qu’Israël avait le droit de conserver.
Jusqu’à présent, des milliards de dollars ont été versés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie au nom des nobles objectifs de compétitivité du secteur privé et d’une économie florissante, les jumelles de la paix. En réalité, ce que ces mêmes fonds ont fait pendant un quart de siècle, c’est atténuer les désastres économiques qu’Israël a causés et cause à la société palestinienne en raison du vol continu des ressources naturelles (eau, roches et minéraux, gaz naturel), des interdictions et limitations de mouvement et de la création d’enclaves suffocantes entourées de colonies violentes et toujours croissantes qui se gorgent de terre et d’eau.
Les fonds destinés au développement ont été transformés en charité pour la population appauvrie dont Israël empêche qu’elle développe son potentiel économique et créatif. Les pays donateurs ont préféré gaspiller des milliards plutôt que de forcer Israël à limiter son appétit d’installation. C’est ainsi que les contribuables européens et américains ont subventionné l’entreprise d’occupation colonialiste. Aujourd’hui, après avoir bloqué leurs contributions, les États-Unis prévoient que des pays arabes subventionneront l’occupation israélienne à sa place.
Les fonds canalisés vers les salaires et les projets ont permis à l’OLP de créer une couche bureaucratique et d’affairistes qui a préservé le statu quo (acceptation de l’atomisation géographique et coordination sécuritaire avec Israël), au lieu de former une nouvelle stratégie contre cela. Mais comme ceux qui ont fait des dons dans le passé n’ont pas effacé la réalité, les dirigeants palestiniens pourraient continuer à prétendre qu’ils servent l’objectif d’un Etat palestinien indépendant.
Le bateau de Kushner dans le désert ne permet même pas de faire semblant, ce qui est une bonne chose.
Amira Hass
Article publié dans le quotidien Haaretz le 25 juin 2019; traduction A l’Encontre