Les préfabriqués, confisqués en octobre et dont la restitution est réclamée par l’Union européenne, doivent être présentés lors d’une vente aux enchères dans les Territoires occupés.
Même les connaisseurs les plus blasés des mille histoires kafkaïennes découlant chaque jour de l’occupation israélienne n’en reviennent pas. En début de semaine prochaine, l’armée israélienne compte vendre aux enchères deux salles de classe financées par l’Union européenne et confisquées à une communauté palestinienne en Cisjordanie occupée.
C’est l’administration civile israélienne, dite Cogat (la branche de l’armée chargée des affaires du quotidien dans les Territoires occupés), qui se chargera de la vente des préfabriqués, financés par plusieurs pays européens, dont la France, à travers ECHO, la branche humanitaire de l’UE. Ces classes étaient utilisées par les enfants de la communauté d’Izbiq (nord-est de la Cisjordanie), avant leur confiscation par les militaires en octobre dernier, sous prétexte que le village, situé en zone C, c’est-à-dire sous contrôle militaire israélien, serait un site archéologique biblique.
Petite annonce
C’est par une petite annonce publiée début mai dans les colonnes du quotidien populaire local Maariv que les diplomates européens ont eu des nouvelles de leurs salles de classe, dont ils avaient officiellement réclamé la restitution aux bénéficiaires et la réinstallation au moment de leur démantèlement. Sans précondition et «sans délai». Un appel resté lettre morte.
Dans le catalogue de vente, auquel Libération a eu accès, des équipements correspondants en tout point à ceux financés par l’UE sont listés aux côtés de matériaux de construction divers (tuyaux, poutres, sacs de ciment…) et d’autres bien confisqués (de la vieille Suzuki à des cargaisons de presse-agrumes et d’écharpes) tant à des colons qu’à des Palestiniens. Les enchères auront lieu à deux dates différentes dans les locaux du Cogat aux abords des checkpoints contrôlant l’accès de Ramallah et Bethléem.
La revente de saisies en Cisjordanie occupée se fait de façon quasiment automatique sous 90 jours – les amendes et frais de restitution étant généralement dissuasifs. La petite annonce de l’armée laisse par ailleurs «30 jours aux propriétaires après publication de cette annonce pour réclamer leurs biens», chose faite dès octobre par l’UE. Contactés par Libération sur d’éventuels efforts de joindre les bureaux de l’Union européenne à Jérusalem et Ramallah, les fonctionnaires israéliens n’ont pas donné suite.
« Première preuve d’une revente de matériel humanitaire »
« On avait entendu parler de ce genre de choses, mais c’est la première fois que nous avons la preuve d’une revente de matériel humanitaire. D’ordinaire le processus est plus nébuleux », confie une source humanitaire à Libé.
Vendredi, dans une réponse officielle, le bureau du représentant européen à Jérusalem a condamné auprès de Libération «l’ordonnance militaire […] autorisant la vente aux enchères et le fait que les autorités israéliennes n’ont pas restitué les structures confisquées ou n’ont pas fourni de réparations pour les dommages subis», estimés à 15 320 euros.
Le communiqué précise qu’aux deux salles de classe confisquées à Ibziq s’ajoutent deux tentes et trois hangars métalliques donnés à la tribu al Hadidiya, une communauté de bergers de la vallée du Jourdain, soumis eux aussi à la vente. Selon l’UE, ces actes «violent l’obligation de la puissance occupante de rétablir et assurer l’ordre public et la sécurité dans l’intérêt des personnes protégées (à savoir la population palestinienne), sous réserve des besoins militaires légitimes».
Démolitions de propriétés
En octobre 2017, les diplomates de sept pays européens (France, Belgique, Espagne, Suède, Luxembourg, Italie, Irlande et Danemark) avaient pour la première fois réclamé à Israël dans un courrier officiel des compensations financières (à hauteur de 30 000 euros), après une série de confiscation et de démolition de structures érigées pour des Palestiniens dans la zone C. Il s’agissait, déjà, de petites salles de classe pour des communautés bédouines, ainsi que de panneaux solaires.
Israël ne délivre quasiment jamais de permis de construire aux Palestiniens vivant en zone C (le taux d’acceptation des demandes est sous les 1% depuis des années), principalement des communautés semi-nomades vivant dans des campements faits de tôles et de bâches, à l’image du village de Khan al-Ahmar, menacé de destruction imminente depuis bientôt un an.
Dans son dernier rapport mensuel, l’ONU note que le rythme des démolitions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est de propriétés appartenant à des Palestiniens, mais aussi la destruction d’installations humanitaires leur bénéficiant (conduits d’eau, abris, etc.), a significativement augmenté depuis 2016, pour atteindre une moyenne de quatorze par mois.
Par Guillaume Gendron. Publié le 1er juin 2019 sur le site de Libération.