Israël : la démocratie pour qui ?

Des centaines de milliers d’Israélien.nes ont manifesté dans toutes les villes du pays à de très nombreuses reprises. Malgré toutes les tentatives de les réprimer, le mouvement n’a pas faibli. Au bout du compte, les alliés d’Israël ont exprimé leur « inquiétude ». Et Nétanyahou a été contraint de remettre à plus tard son projet de mettre au pas la Cour Suprême et de s’assurer ainsi l’impunité judiciaire malgré les très nombreuses affaires de corruption pour lesquelles il est poursuivi. En même temps, Nétanyahou a donné des gages à ses alliés en autorisant la création d’une « garde nationale » qui ressemble à une milice privée chargée des basses œuvres.

Beaucoup de médias ont aussitôt communiqué sur la « démocratie israélienne sauvée ». Des comparaisons ont été faites entre Macron refusant de céder face à un immense mouvement social et Nétanyahou obligé de reculer.

Mais de quelle démocratie parle-t-on ? L’extrême droite est devenue hégémonique en Israël. Les dernières élections ont vu s’affronter deux coalitions dominées par l’extrême droite.

L’une est dominée, par les colons et les sionistes religieux. Ceux-ci sont décidés à expulser ou à emprisonner les Palestinien.nes chaque fois que l’occasion se présentera. Ils ont montré qu’ils sont prêts à tout avec le pogrom perpétré à Huwara, les colons pogromistes étant épaulés par l’armée. Ils sont clairement suprémacistes et homophobes. Les manifestant.es les qualifient de « Juifs fascistes ».

Mais dans l’autre coalition, on trouve d’authentiques criminel.les de guerre : Naftali Bennett (« j’ai tué beaucoup d’Arabes, je ne vois pas où est le problème »), Benny Gantz, Avigdor Liebermann, Ayelet Shaked … Même Merav Michaeli, dirigeante du parti travailliste expliquait récemment : « où qu’ils soient, les membres du Jihad Islamique doivent être anéantis ».

Des généraux, des membres des services secrets, des organisations de réservistes, ont dirigé ces manifestations où les drapeaux israéliens étaient omniprésents. Ils/elles représentent bien cette fraction importante de la société israélienne qui veut vivre « à l’européenne » en jouissant pleinement des richesses engrangées par les technologies de pointe, les ventes d’armes ou le savoir-faire en matière de répression. Comme Itamar Ben Gvir a affirmé qu’il allait aussi s’en prendre aux « Juifs déloyaux », les manifestant.es exigent la démocratie … pour les Juifs/ves.

C’est bien là qu’est le problème : 50 % de la population entre Méditerranée et Jourdain est palestinienne. Cette population a été fragmentée en de nombreux statuts de domination différents. Elle réclame l’application du droit international : fin de l’occupation, de la colonisation, du blocus de Gaza, destruction du Mur, libération des prisonniers, égalité des droits pour tous, droit au retour des réfugié.es palestinien.nes. De tout cela, il n’est pas question pour la grande masse des manifestant.es. Le régime d’apartheid, terme utilisé par la plupart des associations défendant les Droits de l’Homme partout dans le monde, est réfuté par ces partisan.es de la démocratie sélective.

Israël est un État ethnique où les droits dépendent de l’origine. Les citoyens non juifs (plus de 20 % de la population) ont légalement la nationalité « arabe », « druze », « circassienne » ou « bédouine ». Jamais palestinienne. De très nombreux métiers leur sont interdits. Ils/elles n’ont pas le droit d’habiter dans la plupart des villes. Le taux de pauvreté chez eux/elles est 3 à 4 fois plus important que dans la population juive. Un véritable nettoyage ethnique est en cours depuis des années contre les Palestinien.nes dans le nord du désert du Néguev/Naqab. Où est la démocratie pour eux/elles ?

Il y a eu un précédent en Israël : la « révolte des tentes » en 2011, un grand mouvement de révolte des classes moyennes pour obtenir des logements décents à des prix abordables. Il avait occasionné des manifestations monstres. Quelques rares drapeaux palestiniens étaient apparus dans ces défilés mais trop peu. Le mouvement n’avait pas abouti. Il avait juste permis l’ascension politique de Yaïr Lapid, surfant sur ce mouvement et sur l’aspiration à la laïcité. Arrivé au pouvoir, il s’est allié à plusieurs partis religieux et a multiplié les bombardements meurtriers sur Gaza.

La démocratie ne se partage pas. Défendre une Cour suprême pour qu’elle puisse faire condamner Nétanyahou mais accepter qu’elle ait légalisé la torture et l’expropriation des villageois de Masafer Yatta, ce n’est pas défendre la démocratie. Il ne peut pas y avoir un État démocratique pour les Juifs et d’apartheid contre les Palestiniens.

Le mouvement actuel n’a d’avenir et ne pourra enrayer la fascisation du pays que s’il intègre l’égalité des droits et l’application du droit international pour tous.

La Coordination nationale de l’UJFP, le 3 avril 2023