Iran et ses juifs

Malgré les incitations financières, les Juifs iraniens semblent hésitants à émigrer en Israël.

Par Jonathan Cook
Le 07 août 2007

L’Iran est la nouvelle Allemagne nazie et son président, Mahmoud Ahmadinejad, est le nouvel Hitler. Ou c’est comme ça que les officiels israéliens continuent à déclarer depuis des mois quand, avec leurs alliés Etasuniens, ils essayent de convaincre les douteux à Washington qu’une attaque à Téhéran est essentielle. Et si on croit les derniers rapports des médias, il semble qu’ils pourraient encore gagner la bataille des cœurs et des raisons : il paraît que le vice-président Dick Cheney est en train de dévier la Maison Blanche vers la piste menant à lancer une frappe militaire.

Plus tôt cette année, Benyamin Netanyahu, un chef de l’opposition israélienne et l’homme qui apparaît se donner l’image de l’alarmiste-en-chef, nous dit : « On est en 1938 et l’Iran est l’Allemagne. Et l’Iran fait la course pour s’armer avec des bombes atomiques ». A propos d’Ahmadinejad, il dit : « Il est en train de préparer un autre Holocauste pour l’état juif ».

Il y a quelques semaines, quand les services de renseignements militaires israéliens affirmèrent – comme ils faisaient régulièrement depuis le début des années 1990 – que l’Iran était seulement à un an ou presque du « point de non retour » pour le développement d’une ogive nucléaire, Netanyahu y était encore. « L’Iran pourrait être la première puissance nucléaire non dissuadable », avertit-il en ajoutant : « Ceci est un problème juif comme Hitler fut un problème juif… L’avenir du peuple juif dépend sur l’avenir d’Israël ».

Mais Netanyahu fut loin d’être le seul à faire des affirmations insensées sur un génocide imminent à commettre par l’Iran. Le nouveau président israélien, Shimon Pérez, compara la bombe nucléaire iranienne à un « camps de concentration volant ». Et le premier ministre, Ehud Olmert, dit à un journal allemand l’année dernière : « [Ahmadinejad] parle comme Hitler faisait à son temps à propos de l’extermination de toute la nation juive ».

Il y a un problème intéressant avec la vente la ligne de mode « l’Iran comme l’Allemagne nazie ». Si Ahmadinejad est vraiment Hitler, prêt à commettre un génocide contre les juifs israéliens aussitôt qu’il mette ses mains sur une arme nucléaire, pourquoi il y a quelques 25000 Juifs qui vivent pacifiquement en Iran et qui sont plus qu’hésitants pour quitter l’Iran malgré les tentatives de séduction répétées de la part d’Israël et des Juifs étasuniens ?

Quel est le fondement des prédictions horribles israéliennes – l’échafaudage idéologique étant érigé, vraisemblablement, pour justifier une attaque contre l’Iran ? A toute fin utile, quand George Bush défendait sa politique irakienne le mois dernier, il nous rappela, là encore, de la menace que l’Iran, prétendument, posait : c’est « la menace d’effacer Israël de la carte ».

Ce mythe a été recyclé sans fin depuis qu’une erreur de traduction fut commise d’un discours d’Ahmadinejad donné il y a presque deux ans. Des experts du Persan ont vérifié que le président iranien, loin de menacer de détruire Israël, citait un précédent discours d’Ayatollah Khomeiny dans lequel il rassurait les supporters des Palestiniens que « le régime sioniste à Jérusalem disparaîtrait de la page de l’histoire ».

Il n’était pas en train de menacer d’exterminer les Juifs ou Israël. Il comparait l’occupation israélienne des Palestiniens avec d’autres systèmes illégitimes de pouvoir qui n’étaient plus de cette époque, dont les Shahs qui, fut un temps, régnèrent sur l’Iran, l’apartheid en Afrique du Sud ou l’empire soviétique. Néanmoins, la traduction erronée a survécu et prospéré car Israël et ses supporters l’ont exploitée pour leurs buts de propagande grossière.

Pendant ce temps, la communauté juive iranienne forte de ces 25000 personnes, est la plus grande au Moyen Orient en dehors d’Israël et elle remonte ces racines à 3000 ans. En tant qu’une parmi les plusieurs communautés non-musulmanes en Iran, les Juifs là bas ont subi des discriminations, mais ils ne sont certainement pas plus malheureux que le million de citoyens palestiniens d’Israël – et de loin plus heureux que les Palestiniens sous l’occupation israélienne en Cisjordanie et à Gaza.

Les Juifs iraniens ont peu d’influence sur la prise de décisions et ne sont pas autorisés à occuper des postes séniors dans l’armée ou l’administration. Mais ils jouissent de plusieurs libertés. Ils ont un représentant élu au parlement, ils pratiquent leur religion ouvertement aux synagogues, leurs associations caritatives sont financées par la diaspora juive, et ils peuvent voyager librement, y compris pour Israël. A Téhéran il y a six bouchers cashers et quelques 30 synagogues. Récemment, le bureau d’Ahmadinejad a fait un don à un hôpital juif à Téhéran.

Comme Ciamak Moresadegh, un chef juif iranien, a remarqué : « Si vous pensez que le Judaïsme et le Sionisme sont un, c’est comme penser que l’Islam et les Talibans sont les mêmes, et ils ne le sont pas ».Les chefs iraniens dénoncent le Sionisme qu’ils blâment d’alimenter les discriminations contre les Palestiniens, mais ils ont constamment déclaré qu’ils n’avaient pas de problème avec les Juifs, le Judaïsme ou même l’état d’Israël. Ahmadinejad, caricaturé comme un marchand de génocide, a en effet appelé à un « changement de régime » – et c’est seulement dans le sens qu’il croit qu’un référendum devrait avoir lieu avec tous les habitant d’Israël, des territoires occupées et en incluant les réfugiées de guerre (les réfugiées palestiniens ayant fui leur pays après les différentes guerres en Palestine, ndt.), sur la nature du gouvernement.

Malgré l’absence de toute menace sur les Juifs iraniens, les médias israéliens ont récemment rapporté que le gouvernement israélien était en train d’essayer de trouver de nouvelles méthodes pour attirer les Juifs iraniens vers Israël. Le journal Maariv a indiqué que des plans précédents ont trouvé peu de candidats. Il y avait, notait le rapport, « un manque de désir de la part de milliers de Juifs iraniens pour partir ». Selon le journal Newyorkais Forward, une campagne pour persuader les Juifs iraniens à émigrer en Israël a causé, entre octobre 2005 et septembre 2006, le départ de l’Iran de 152 personnes sur les 25000 Juifs iraniens, et il paraît que la plupart de ces gens ont émigré pour des raisons économiques et non pas politiques.

Pour renforcer ces efforts – et vraisemblablement pour éviter l’embarras des affirmations incongrues sur les intentions iraniennes de génocide alors que des milliers de Juifs vivent bien à Téhéran – Israël est en train de soutenir un mouvement de donateurs juifs pour garantir à toute famille juive iranienne une somme de 60000$ pour s’installer en Israël, en plus à une quantité de mesures incitatives financières déjà existantes qui sont offertes aux immigrants juifs, dont des prêts et des emprunts-logement à taux bas.

L’annonce est reçue avec mépris par l’association des Juifs iraniens qui a publié une déclaration que leur identité nationale n’était pas à vendre. « L’identité des Juifs iraniens n’est pas un objet de commerce quelque soit le montant d’argent. Les Juifs iraniens sont parmi les plus anciens Iraniens. Les Juifs de l’Iran aiment leur identité iranienne et leur culture, alors les menaces et cette opération politique immature d’attraction ne vont pas atteindre leur objectif d’effacer l’identité des Juifs iraniens ».

Ce qui est plus important que le bien-être des familles juives iraniennes, semble-t-il, c’est la valeur des Juifs iraniens comme un outil de propagande dans le combat que mène Israël pour convaincre le monde que la coexistence avec le monde musulman est impossible. Pour ceux qui essaient de créer le choc des civilisations, l’héritage juif vieux de 3000 ans en Iran n’est pas un trésor à garder précieusement, seulement un autre obstacle à la guerre.

Jonathan Cook est un journaliste indépendant basé dans la ville arabe de Nazareth au nord d’Israël. Il contribue régulièrement aux médias arabophone et anglophone, dont ‘Al-Ahram Weekly’ au Caire, le ‘Daily Star’ à Beyrouth et le site web ‘al-Jazeera.net’. Son livre ‘Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State’ (Edition Pluto, Londres, 2006) enquête sur le traitement d’Israël de ses citoyens Arabes Durant le deuxième Intifada.