30 mai 2013, Maison Fraternelle, Paris 5ème [note]voir l’annonce du débat]]
par Pierre Stambul, coprésident de l’Ujfp
À l’Ujfp, nous nous sommes d’abord engagés sur l’idée : « pas en notre nom ». Nous avons immédiatement perçu que la prétention des dirigeants israéliens et de leurs complices à la tête du CRIF de parler au nom de tous les Juifs était un outrage, nous condamnant à être traître ou complice.
Nous ne sommes ni traîtres, ni complices.
Comme un nombre croissant de Juifs, nous savons que la politique israélienne a un caractère suicidaire. Elle met délibérément en danger les Juifs qu’elle est censée défendre. Mais pour nous l’essentiel est le caractère criminel de la politique israélienne.
Face à ceux qui défendent inconditionnellement un Etat ou des colonies qui se disent juifs, nous nous revendiquons de ce qu’Enzo Traverso appelle la modernité juive, de toutes celles ou ceux qui ont lutté pour des idées progressistes, contre la barbarie nazie et contre le colonialisme. Nous défendons des principes universels et en particulier l’égalité des droits ainsi que le refus absolu des discriminations.
C’est au nom de ces valeurs que nous soutenons en France les Sans Papiers ou les Roms et que nous combattons tous les racismes.
C’est au nom de ces valeurs que nous condamnons le « choc des civilisations » dans lequel les dirigeants israéliens s’inscrivent et que nous combattons l’islamophobie.
En 1948, année du nettoyage ethnique de la Palestine, Menahem Begin qui vient de diriger le massacre de Deir Yassin, veut visiter les Etats-Unis. Les plus grands intellectuels juifs américains de l’époque dont Hannah Arendt et Albert Einstein écrivent au président Truman : « Begin arrive, c’est un terroriste. Arrêtez-le ou expulsez-le ». Nous sommes clairement avec Arendt et Einstein contre Begin. Et nous sommes aujourd’hui au côté des anticolonialistes israéliens qui, comme les porteurs de valises français autrefois, luttent contre leur propre Etat et rendent possible un futur non barbare.
Dire les choses
Une certaine propagande utilise la novlangue pour parler de ce qui est à l’œuvre en Israël/Palestine. Elle parle de « territoires disputés », de « Judée-Samarie », de « barrière de sécurité » …
Il faut utiliser les mots qui caractérisent cette guerre : occupation, colonisation, discriminations, nettoyage ethnique, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, destructions de maisons, arrachage d’oliviers, confiscation de la terre et de l’eau, expulsions, emprisonnement massif, racisme, fragmentation de la Palestine, sociocide, apartheid. Le tribunal Russell sur la Palestine, tribunal symbolique animé entre autres par le regretté Stéphane Hessel a conclu en novembre 2011 que l’Etat d’Israël était coupable du crime d’apartheid tel qu’il est défini dans le droit international.
Toute forme de « symétrie » dans cette guerre est pour nous un contresens. Il y a un occupant et un occupé. S’il n’y a pas la paix, ce n’est pas « parce qu’il y aurait des extrémistes dans les deux camps ». C’est clairement parce qu’un rouleau compresseur colonial est à l’œuvre depuis des décennies.
En 2005, 172 associations de la société civile palestinienne ont lancé un appel mondial au boycott, désinvestissement, sanctions contre l’Etat d’Israël sur la base de trois revendications : la fin de l’occupation et de la colonisation, l’égalité des droits, le droit au retour des réfugiés palestiniens. L’Ujfp soutient totalement cet appel et fait partie de BDS-France qui coordonne les actions de boycott. Pour nous, ce boycott est multiple : économique, commercial, universitaire, syndical, culturel, sportif …
La question du sionisme
Comme l’a écrit Michel Warschawski dans la préface de mon livre[note]« Israël/Palestine : Du refus d’être complice à l’engagement »]], le sionisme n’est pas une histoire du passé. C’est une réalité politique d’une actualité brûlante. J’y ajouterai que le sionisme est un obstacle à une paix fondée sur l’égalité des droits et la justice et qu’il n’y a pas d’alternative crédible à ce type de paix.
Le sionisme est une théorie de la séparation qui proclame que Juifs et non-juifs ne peuvent pas vivre ensemble, que ce soit dans le pays d’origine des Juifs poussés à l’émigration, ou en Israël/Palestine. Le sionisme a entrepris une incroyable réécriture de l’histoire. L’histoire est têtue : la théorie centrale du sionisme, l’exil des Juifs et leur « retour » est une pure fiction comme l’a montré Shlomo Sand. Les Juifs d’aujourd’hui sont très majoritairement des descendants de convertis (citoyens de l’empire romain, Berbères, Khazars …) et les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement … les Palestiniens. Le sionisme est un nationalisme très particulier puisqu’il a inventé le peuple, la langue et la terre. C’est un colonialisme très particulier puisqu’il ne veut pas exploiter le peuple colonisé mais l’expulser. Bien que fondé par des Juifs majoritairement non-croyants, le sionisme a utilisé la Bible comme un livre de conquête coloniale.
Le sionisme instrumentalise de façon éhontée l’antisémitisme et la mémoire du génocide qui est notre histoire intime. Il masque le fait qu’il n’a quasiment jamais combattu les antisémites mais qu’il s’est nourri des persécutions pour renforcer son projet d’Etat juif. Toutes les institutions qui ont dépossédé le peuple palestinien de son propre pays (KKL, banque coloniale juive, Agence Juive, Haganah …) étaient en place des décennies avant Auschwitz et la création de l’Etat d’Israël.
Aujourd’hui, avec le complexe de Massada, le sionisme entretient le mythe des « Juifs à la mer », de l’anéantissement.
Les Juifs ont été pendant des décennies considérés en Europe comme des parias étrangers inassimilables. Le sionisme a entrepris de les transformer en colons partant coloniser le Proche-Orient au service de l’Occident.
Ceux qu’on appelle « la gauche sioniste » et qui ont dirigé Israël au moment des accords d’Oslo, ont participé à tous les crimes commis contre les Palestiniens. Le sionisme a gommé les différences idéologiques.
Le sionisme n’est pas seulement une idéologie négationniste des droits et de la dignité du peuple palestinien, c’est une catastrophe pour les Juifs. La paix nécessitera une « rupture du front intérieur » en Israël et dans les communautés juives organisées, mais on n’a aucune chance d’y parvenir en masquant la réalité. En particulier, les « mensonges fondateurs » : la « terre sans peuple pour un peuple sans terre », les slogans : « les Arabes sont partis d’eux-mêmes en 1948 » ou « du désert, nous avons fait un jardin » doivent être combattus sans retenue. Le crime fondateur de cette guerre, c’est l’expulsion illégitime de la grande majorité des Palestiniens de leur propre pays en 1948-49. Et toute négociation pour une paix juste devra commencer par la tentative de réparer ce crime.
Cette guerre n’est pas une guerre religieuse. Du côté israélien, le courant « national-religieux » n’apparaît massivement qu’en 1967. En face, il y a 35 ans, il n’y avait ni Hamas, ni Hezbollah. Ces mouvements sont apparus en réaction à l’occupation. Cette guerre est clairement une guerre coloniale.
Refuser les fausses solutions
La « communauté internationale » porte une très lourde responsabilité dans la perpétuation de cette guerre. Elle ne soutient pas les dirigeants israéliens parce qu’elle est mal informée mais parce que l’Etat d’Israël tel qu’il est, surarmé et avec des technologies de pointe, correspond à ce que souhaitent les dirigeants occidentaux. Les négociations imposées aux Palestiniens surtout par les gouvernements américains et leurs alliés (Camp David, Taba, Feuille de route …) ont été essentiellement des exigences de capitulation des Palestiniens.
L’idée de ressusciter Oslo est tout à fait illusoire. Les dirigeants sionistes ont sciemment détruit la faisabilité de « deux Etats sur la base des frontières d’avant 1967 ». Dans les faits, la « ligne verte » a totalement disparu. La colonisation n’est pas rampante, elle est omniprésente. Ce sont les colonies qui encerclent les agglomérations palestiniennes et ce qui reste de la Palestine ressemble à des bantoustans éclatés. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a quasiment autant de Juifs israéliens que de Palestiniens mais la Palestine a été fragmentée avec des formes de discriminations différenciées (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem Est, Palestiniens d’Israël, réfugiés …). On est entrée de fait dans le cadre d’une lutte anti-apartheid et pour l’égalité des droits sur un espace unique.
La question fondamentale n’est pas un ou deux Etats, c’est la fin de l’Etat juif et des structures racistes et discriminatoires dont il s’est doté. Comme le dit Shlomo Sand « Etat juif et démocratique, c’est un oxymore ». Qu’il y ait un ou deux Etats, il faudra que ce soit les sociétés de tous leurs citoyens, avec une égalité réelle des droits et un partage équitable des richesses. Les 3 revendications palestiniennes de l’appel de 2005 sont incontournables. Et si on tient absolument à l’idée « deux Etats pour deux peuples », on ne voit pas pourquoi les Israéliens auraient droit à 78% de la Palestine historique.
S’en remettre de façon incantatoire à l’ONU n’est pas opérant. Il ne faut pas oublier que le partage de la Palestine de 1947 décidé par l’ONU était illégal. Il est la cause de la guerre de 1948 puisque 375000 Palestiniens du futur Etat juif avaient déjà été expulsés le 15 mai 1948 quand la guerre éclate officiellement. Il ne faut pas oublier que l’ONU a renoncé à faire appliquer le retour des réfugiés palestiniens prévu par les accords d’armistice et a laissé les Israéliens détruire plusieurs centaines de villages palestiniens pour rayer la Palestine de la mémoire collective. Plus près de nous, l’ONU a largement contribué à l’impunité des dirigeants israéliens, jamais sanctionnés malgré des crimes avérés comme la construction du mur, l’attaque contre le Sud du Liban, l’opération « plomb durci » ou l’attaque du Mavi Marmara. Seuls les Palestiniens et en particulier les Gazaouis ont été collectivement sanctionnés pour avoir « mal » voté et l’ONU a avalisé le blocus de Gaza décrété « entité hostile ». L’admission de la Palestine comme « Etat non membre » à l’ONU traduit l’impopularité d’un Etat voyou, mais n’a pas changé le rapport de forces sur le terrain.
Changer le rapport de force, ce n’est pas s’en remettre à l’ONU ou à d’hypothétiques médiateurs. C’est traiter Israël comme on a traité l’Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. C’est soutenir la résistance palestinienne. C’est amplifier le BDS.
Parce que cette guerre n’est ni raciale, ni communautaire, ni religieuse, parce qu’elle porte sur des questions universelles (l’égalité des droits, le refus du colonialisme), il est fondamental qu’il existe une composante juive dans le mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien.