INTERVIEW – Elsa Lefort : « Tout est fait pour contraindre Salah Hamouri à quitter la Palestine »

Interview d’Elsa Lefort par Élodie Farge, publiée le 23 août sur le site de Middle East Eye.

Aujourd’hui est un triste anniversaire pour Salah Hamouri, ses proches et soutiens, déclare son épouse un an après son incarcération, mais « c’est aussi un triste anniversaire pour la diplomatie française qui se fait humilier et mépriser par Israël »

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Il y a un an jour pour jour, le 23 août 2017, le militant des droits de l’homme franco-palestinien Salah Hamouri était arrêté en pleine nuit à Jérusalem-Est par les forces israéliennes, puis placé en détention administrative.

Le jeune homme, âgé de 32 ans à l’époque, avait déjà passé sept ans de sa vie dans les geôles israéliennes pour des accusations qu’il a toujours réfutées et qui n’ont jamais été prouvées. Fervent défenseur, depuis, de la cause des détenus politiques palestiniens, il rêvait de devenir avocat et venait juste de réussir l’examen du barreau.

Il s’apprêtait en outre à retrouver sa femme, Elsa Lefort, et leur bébé en France après plusieurs semaines de séparation. Car c’est en effet toute la famille de Salah Hamouri qui est victime de l’« acharnement » d’Israël.

En janvier 2016, Elsa Lefort, alors employée au consulat de France à Jérusalem, est frappée d’une interdiction d’entrée sur le territoire israélien pour des raisons de « sécurité ». Alors enceinte de six mois, elle se retrouve contrainte d’accoucher en France, rendant impossible toute obtention par l’enfant à naître du statut de résident de Jérusalem, et l’exposant ainsi lui aussi au risque de ne pas pouvoir un jour se rendre sur sa terre, celle de son père et de ses ancêtres.

Depuis l’arrestation de son mari, Elsa Lefort a tout fait pour obtenir sa libération, laquelle a par ailleurs été explicitement exigée par un groupe de travail du Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans un rapport.

Mais ses démarches auprès des autorités françaises, notamment le président de la République Emmanuel Macron, ont été vaines : la détention de Salah Hamouri a été renouvelée pour trois mois fin juin. Héritage du mandat britannique en Palestine, la détention administrative permet à Israël de maintenir indéfiniment en prison toute personne dérangeante, sans charges ni procès.

Elsa Lefort revient pour MEE sur son combat pour faire libérer Salah Hamouri, sur l’impuissance d’une diplomatie française timorée face à un Israël au-dessus de toutes lois, sur l’absence de couverture médiatique qui emprisonne son mari dans des « murs de silence », mais aussi sur la pression à laquelle font face les couples « mixtes » comme le sien et le sort des milliers de détenus palestiniens victimes de l’arbitraire israélien.

Middle East Eye : Tout d’abord, comment allez-vous, vous et votre enfant ? Et comment va votre époux, Salah Hamouri ? Avez-vous pu lui rendre visite ? Quelles sont ses conditions de détention ?

Elsa Lefort : Nous allons tous bien et restons forts, même si le temps commence à se faire long et que nous espérons pouvoir être réunis au plus vite.

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Je n’ai jamais pu rendre visite à mon époux depuis le début de sa détention. Étant interdite d’entrée sur le territoire israélien, le droit élémentaire de mon époux de recevoir la visite de sa femme et son fils lui sont bafoués. Nous ne nous sommes pas vus depuis son dernier séjour en France, en juin 2017, il devait venir nous voir le 31 août mais a été arrêté quelques jours avant.

Il est incarcéré dans la prison [de Ketziot] située dans le désert du Néguev, uniquement avec d’autres prisonniers politiques palestiniens. Les conditions de détention sont sommaires, certaines cellules sont de simples tentes, d’autres des préfabriqués et d’autres des bâtiments. L’été a été particulièrement chaud et difficile.

Salah a le droit à une visite familiale de 45 minutes par mois qui a lieu derrière une vitre par l’intermédiaire d’un combiné. Le consul général de France à Tel Aviv lui rend également visite une fois par mois.

MEE : Salah Hamouri a été détenu pendant sept ans (2005-2011) puis arrêté à nouveau en août 2017, trois jours après avoir passé avec succès l’examen du barreau. Les autorités israéliennes justifient cette nouvelle détention en l’accusant d’être « retourné travailler au sein de l’organisation terroriste du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ». Que pensez-vous de cette justification ?

EL : Ces accusations sont infondées et ridicules. Si les autorités israéliennes avaient réellement quelque chose à reprocher à mon époux, il ne serait pas en détention administrative, elles auraient émis un chef d’inculpation contre lui.

Sa détention administrative (sans charge ni jugement) n’est qu’une partie de l’acharnement dont font preuve les Israéliens envers mon époux depuis plusieurs années. Après lui avoir volé sept ans de sa vie lors de trois détentions arbitraires, elles ont entravé son droit d’étudier, de se rendre en Cisjordanie et de fonder une famille.

Mon expulsion d’Israël, l’impossibilité de donner naissance à notre fils à Jérusalem et cette détention sont les pièces d’un même puzzle : tout est fait pour contraindre mon mari à quitter sa terre natale de Palestine.

MEE : Quelles démarches avez-vous effectuées auprès des autorités françaises, et pour quels résultats ?

EL : Dès l’arrestation de mon époux, nous avons d’abord alerté les services consulaires à Jérusalem afin qu’ils veillent à son intégrité physique. Ensuite, nous avons contacté l’Élysée. Il a fallu près de deux mois pour que nous obtenions une réponse de leur part.

Après de nombreux messages et avec le soutien actif de nombreux citoyens, élus, syndicats et partis politiques, l’Élysée a fini par nous répondre et nous avons pu rencontrer à plusieurs reprises la cellule diplomatique.

Dès les premiers échanges, le côté arbitraire de cette détention a été établi et la nécessité d’une action de la France pour faire libérer notre compatriote a été reconnue. Ceci a visiblement été fait à plusieurs reprises auprès de l’ambassade d’Israël en France et, enfin, le 10 décembre 2017, Emmanuel Macron a demandé lui-même à Benyamin Netanyahou de libérer Salah. Il a renouvelé cette demande lors de leur dernière rencontre à Paris, le 5 juin dernier.

Je ne doute pas que les actes soient là, mais force est de constater qu’un an après son arrestation, mon époux est toujours enfermé, malgré les demandes du président de la République française. Je doute sincèrement que les moyens suffisants aient été mis sur la table pour obtenir cette libération.

Si, aujourd’hui, c’est un triste anniversaire pour Salah, ses proches et soutiens, c’est aussi un triste anniversaire pour la diplomatie française qui se fait humilier et mépriser par Israël.

MEE : Peut-on dire que la réaction de la France concernant votre mari est symptomatique de sa position sur le conflit israélo-palestinien plus largement ?

EL : Oui, cela illustre parfaitement la position de la France depuis plusieurs décennies. Israël tue, colonise, annexe, emprisonne, expulse, légalise l’apartheid, détruit en violant systématiquement tous les conventions et traités internationaux dont elle est signataire et la communauté internationale reste muette.

Quelles réactions lors des assassinats, des bombardements à Gaza, des arrestations d’enfants, de femmes et d’hommes ? Un silence assourdissant…

Tant que cet État bénéficie d’une telle impunité, il n’y a pas de raison qu’il change sa politique et ses façons d’agir, d’où l’importance d’une action forte de la diplomatie pour contraindre Israël au respect du droit des Palestiniens.

MEE : Qu’en est-il de votre propre interdiction de vous rendre en Israël et donc dans les territoires palestiniens occupés ? De nombreux conjoint-e-s de Palestinien-ne-s font face au même problème, est-ce une politique délibérée selon vous ? Si oui, à quelle fin ?

EL : J’ai été interdite d’entrée sur le territoire israélien le 5 janvier 2016, alors que mon visa était valable jusqu’au 12 octobre 2016. La raison invoquée était la « sécurité de l’État d’Israël ». Sécurité au nom de laquelle, alors que j’étais enceinte de six mois, j’ai été placée trois jours en détention puis expulsée vers la France alors que mon mari, mon travail et ma vie étaient à Jérusalem.

De nombreux couples dits « mixtes » vivent ce genre de déchirement. Les demandes de visas des conjoints étrangers sont particulièrement difficiles à obtenir et très onéreuses, ce qui oblige souvent les familles à faire le choix entre l’éclatement, l’exil ou l’illégalité.

Israël utilise clairement les conjoints étrangers des Palestinien-ne-s pour les contraindre à l’exil. Il y une telle proportion de couples mixtes qui rencontrent des difficultés pour résider ou même aller simplement visiter la Palestine que l’on ne peut penser qu’il s’agisse d’un hasard.

C’est bel et bien une politique délibérée visant à vider la Palestine de ses habitants.

MEE : Que pensez-vous du traitement médiatique de cette affaire en France ?

EL : Comme souvent lorsqu’il s’agit d’Israël, les médias maintstream sont timides voire totalement silencieux. C’est navrant, on a tous en tête les campagnes médiatiques pour d’autres Français détenus à l’étranger, la dernière en date étant celle pour [le journaliste français détenu en Turquie] Loup Bureau, en 2017.

Pourquoi Salah ne bénéficie-t-il pas d’une telle mise en lumière ? N’est-il pas assez français ou est-il incarcéré dans le « mauvais » pays ? Je pense que c’est un peu des deux, les médias craignent souvent d’aborder les injustices commises par Israël compte tenu des nombreuses pressions. Ils préfèrent alors l’autocensure.

Les médias ont le devoir d’informer justement et honnêtement nos compatriotes au lieu de faire le silence sur la détention arbitraire de Salah Hamouri, comme c’est le cas depuis un an, créant de la sorte une seconde prison pour Salah, faite d’un mur de silence.

C’est une question d’éthique et de responsabilité. Heureusement que l’on peut compter depuis le début de la détention de Salah sur des médias qui n’ont pas peur d’affronter ces groupes de pressions et qui œuvrent pour faire vivre la liberté d’expression.

MEE : Comment se porte son comité de soutien et la mobilisation en sa faveur ? Est-elle aussi forte que lors de sa précédente arrestation ? A-t-il reçu le soutien de personnalités publiques, comme l’acteur François Cluzet la dernière fois ?

EL : Le comité de soutien rassemble des femmes et des hommes de différents horizons, des citoyen-ne-s, élu-e-s, militant-e-s associatifs, militant-e-s politiques, des avocat-e-s, des journalistes, des chercheur-e-s, des intellectuel-le-s, des artistes…

Elle a été plus rapide à mettre en place que lors de la première incarcération et elle réunit des personnes de tous bords politiques (sauf extrême droite), de quoi prouver que la question de la détention d’un compatriote arbitrairement incarcéré n’est pas une cause réservée à un petit cercle, mais que toute personne attachée à la justice peut et doit s’en saisir.

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Le comité a permis de faire bouger la diplomatie française et ce n’était pas une mince affaire. Sans la mobilisation de tou-te-s, le sort de Salah serait totalement confidentiel. Même le groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a publié un rapport concernant Salah, qui estime que celui-ci doit être libéré immédiatement.

Lors de la précédente incarcération, il n’y avait pas autant de personnes, organisations, associations et encore moins le président de la République qui avaient demandé la libération de Salah, c’est un pas énorme que nous avons franchi, même si toutes et tous, nous regrettons qu’à ce jour, les demandes de la France ne se fassent pas plus pressantes.

MEE : Salah Hamouri est un militant des droits de l’homme qui défend en particulier la cause des prisonniers palestiniens. En quoi cette lutte est-elle importante ?

EL : Le sort des prisonniers politiques palestiniens, même s’il commence à être évoqué internationalement, notamment avec des cas de détenus emblématiques comme a pu récemment l’être la toute jeune Ahed Tamimi, reste encore assez méconnu. Ils sont actuellement 5 820 enfants, femmes et hommes dans les prisons israéliennes, parmi eux, 446 sont en détention administrative comme Salah, sans charge ni jugement.

Depuis 1967, on estime à 800 000 le nombre de Palestiniens qui ont connu les geôles de l’occupant, toute la société palestinienne est touchée, chaque famille a la douleur d’avoir un ou plusieurs membres incarcérés.

Les conditions de détention sont très difficiles, les méthodes d’interrogatoire sont inhumaines. L’incarcération d’un membre d’une famille est non seulement une souffrance et une punition collective, mais elle est également utilisée pour faire pression sur les familles. Par exemple, pour obtenir un droit de visite, certaines familles sont contraintes de céder leurs terres à l’occupant…

La détention est un enjeu majeur dans la société palestinienne, et notamment celle des mineurs, qui sont durablement traumatisés.

Après sept ans de détention, Salah a souhaité devenir avocat et se spécialiser dans le droit international pour plaider inlassablement la cause de toutes celles et ceux qui connaissent la froideur des prisons de l’occupant. Peu importe les pressions, ce combat l’animera toujours.

MEE : Gardez-vous espoir quant à une libération prochaine ?

EL : On garde toujours espoir. La peine actuelle de Salah court jusqu’au 30 septembre. Nous espérons qu’elle ne sera pas, une nouvelle fois, renouvelée. Les fins de peine des détenus administratifs sont une réelle torture psychologique pour eux comme pour leurs proches. Rien ne nous garantit qu’il soit libéré.

Je reste persuadée que seule une action diplomatique forte de la France pourra permettre de mettre fin le plus rapidement possible à cette injustice. Le 27 juillet 2018, Israël a libéré une prisonnière politique de nationalité turque, à la demande de Donald Trump. C’est bien la preuve que toutes ces détentions politiques peuvent avoir une issue politique, le tout est de s’en donner les véritables moyens.

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