Dans l’un de vos textes, vous dénoncez très clairement l’infiltration importante de l’antisémitisme à l’intérieur du mouvement pour la Palestine en évoquant le « cas Shamir ». Est-ce que l’UJFP a déjà eu à régler ce genre de problème ou à rompre avec des personnes qui se sont fourvoyées ?
Infiltration importante, il ne faut pas exagérer. Mais elle existe et pose problème. Pourquoi ? La guerre au Proche-Orient n’est pas une guerre raciale, ethnique, religieuse ou communautaire. Elle porte sur des questions fondamentales : l’égalité des droits et la justice pour tous les peuples et le refus du colonialisme. Parce qu’il y a clairement un occupant et un occupé, parce qu’il y a en ce moment un véritable « sociocide» à l’œuvre et la destruction méthodique de la société palestinienne,
des Juifs (en Israël et en Europe) se sont engagés pour les droits du peuple palestinien. Une des nombreuses raisons de notre engagement, c’est que Juif, Sioniste, Israélite (pour reprendre le terme napoléonien) et Israélien, ce sont des choses tout à fait différentes. Ainsi, en ce qui me concerne, aussi loin que je remonte dans mon arbre généalogique, je suis 100% Juif, alors que je suis antisioniste, athée et français. Cette « captation » de l’identité juive au profit d’une idéologie que je considère comme criminelle est une des raisons du conflit.
Que disent les antisémites ? Que le problème, ce n’est pas le sionisme, ce sont les Juifs !! Que les tares de l’occupation viennent de la volonté des Juifs de dominer le monde. Autant nous partageons avec nos camarades palestiniens des valeurs universelles, autant les raisons de cet engagement sont à l’antithèse de celles des antisémites. Leurs théories ne sont pas seulement immorales et monstrueuses, mais elles sont (d’un point de vue palestinien) totalement contreproductives puisqu’elles renforcent le réflexe de peur chez les Juifs. Or, ce réflexe est une des causes du soutien aveugle à la politique israélienne.
Quelques précisions.
1) L’antisémitisme et le génocide Nazi sont des crimes européens. Le peuple palestinien paie pour un crime dans lequel il n’a pas la moindre responsabilité. Avant l’apparition du sionisme, il n’ y a rien de comparable à l’antisémitisme européen dans le monde arabo-musulman. De nombreux Palestiniens ont pris en compte le traumatisme causé par le génocide chez les survivants ou leurs descendants. Ainsi Elias Sanbar, Mahmoud Darwish et Edward Said ont empêché, il y a 8 ans, la tenue d’un colloque négationniste (avec Garaudy) à Beyrouth. Et Leila Shahid parle régulièrement dans ses conférences du génocide pour dénoncer le fascisme.
2) Shamir est totalement inconnu parmi les anticolonialistes israéliens. Il est même considéré comme étant lié à des services secrets, sentiment renforcé par le fait qu’il a une double identité (israélienne et suédoise). Converti au christianisme orthodoxe, il a repris les pires stéréotypes de l’antisémitisme chrétien. Donc bien sûr ses différents admirateurs ne sont pas des naïfs et ils sont complices de ce discours de haine. Pour eux, puisque l’Israélien Shamir dit les pires horreurs sur les Juifs, c’est qu’on a le droit de le dire et que c’est vrai.
3) En même temps, il n’est pas facile de dénoncer les antisémites. Personnellement, quand Dieudonné a parlé des banquiers juifs qui ont financé l’esclavage, j’ai instantanément compris la nature du personnage. Mais l’UJFP et l’AFPS viennent de perdre un procès contre un « personnage douteux » parce que l’intime conviction ne suffit pas devant la Justice quand on accuse quelqu’un d’être antisémite. Et moi-même, j’ai dû retirer un nom d’un article sur l’antisémitisme pour éviter un procès.
4)Les Sionistes font tout pour attiser les confusions. On parle d’Etat Juif, de colonies juives. Ainsi toute personne qui critique devient automatiquement un antisémite. Bref le sionisme attise consciemment l’antisémitisme. C’est un carburant dont il a besoin dans sa fuite en avant meurtrière.
5)Les antisémites infiltrés dans le combat pour la Palestine sont peu nombreux, mais ils constituent un réseau cohérent. Les militants actifs les connaissent et mettent en garde. Ces antisémites ont pourtant montré leur capacité de nuire en infiltrant des manifestations (contre les galas de Magav), des associations (Pour un seul Etat en Palestine) ou des projets (la caravane pour la Palestine). Nous mettons en garde, mais c’est un combat permanent et il y a toujours des vrais « naïfs ».
6)Fondamentalement, la question de l’antisémitisme est secondaire dans ce conflit. Non, en disant cela, je n’ai pas la haine de moi et je suis bien fils de rescapés déportés élevé dans le souvenir permanent du grand massacre. Mais c’est mon histoire personnelle et encore une fois, ce crime n’a rien à voir avec la Palestine.
Est-ce qu’au sein de l’UJFP vous ne militez que pour ce que l’on appelle «la solution à un Etat» ?
Quand en 1988, au nom du peuple palestinien, l’OLP a reconnu Israël dans ses frontières d’avant 1967 et a accepté de limiter le futur Etat Palestinien à 22% de la Palestine historique, le mouvement de soutien a suivi cette position. Donc historiquement l’UJFP défend 2 Etats vivant côte à côte sur un pied d’égalité. Sauf que, depuis Oslo, les dirigeants israéliens ont tout fait pour ruiner cette solution. Il y a aujourd’hui près de 500000 Israéliens vivant à Jérusalem Est ou en Cisjordanie occupée. La frontière internationale (ligne verte) n’est indiquée nulle part et il faut une carte française pour voir que l’autoroute Tel-Aviv-Jérusalem passe en territoire occupé ou que l’usine Ahava au bord de la Mer Morte est aussi en territoire occupé.
Avec le Mur, les routes de contournement et les colonies qui s’urbanisent, l’annexion et le fait accompli sont des réalités de tous les jours.
À l’UJFP et parmi les anticolonialistes israéliens, des militant-e-s restent très attaché-e-s à l’idée de deux Etats en soulignant que rien n’est irréversible, pas même la colonisation. Et qu’il ne faut pas être utopique car l’écrasante majorité des Israéliens sont attachés à leur Etat. Pour d’autres, l’imbrication des deux populations est telle que toute séparation est impossible. Il y a aussi le fait que de moins en moins de Palestiniens sont pour deux Etats (dans mes deux derniers voyages, c’était très clair). Les 20% d’Israéliens qui ne sont pas Juifs supportent de moins en moins le fait d’être des sous-citoyens dans un Etat Juif.
Un nombre croissant d’Israéliens anticolonialistes et des partis palestiniens progressistes sont pour un seul Etat. Ma position personnelle irait plutôt vers un seul Etat. Parce que viscéralement, je suis opposé au communautarisme, aux fantasmes meurtriers de pureté ethnique ou à cette idée tragique (chère au sionisme) que les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux.
Mais face à la tragédie actuelle, la position de l’UJFP (et la mienne), c’est de revendiquer la fin de l’occupation, le démantèlement des colonies, le droit au retour des réfugiés et l’égalité totale sur tous les plans. Pour la forme étatique que cela prendra, on verra quand ces conditions fondamentales seront réalisées ce que décideront les négociateurs. Peut-être deux Etats dans un premier temps et à terme une confédération. Mais c’est vrai que l’idée historique de l’OLP (« un seul Etat démocratique et laïque ») serait idéologiquement la plus juste.
Que pensez-vous de « l’initiative de Genève » ?
Si j’étais méchant, je dirais « pas grand-chose ». Tout le monde veut la paix, mais pour les Israéliens, cela prend souvent un autre sens : « foutez nous la paix ». Je suis bien sûr favorable à toute bonne volonté et à toute initiative allant vers la fin de la barbarie.
Ça ne veut pas dire être favorable à n’importe quel processus. Avec le recul, on sait pourquoi Oslo a totalement échoué. Et l’UJFP a clairement condamné le processus issu de la conférence d’Annapolis qui essaie d’arracher une capitulation palestinienne : « acceptez le bantoustan qu’on vous offre et on vous aidera économiquement et militairement contre le Hamas. »
Il y a quelque chose qu’il faut comprendre à propos de la paix : aucune paix n’était possible à la fin de la guerre d’Algérie sans l’indépendance. Aucune paix n’était possible en Afrique du Sud sans la fin de l’Apartheid et le refus de la partition du pays. Et aucune paix ne sera possible en Palestine sans la reconnaissance du fait que la Naqba était un crime (qu’il faut réparer). Il ’y a donc aucune symétrie possible dans les négociations ou aucune chance de faire la paix en tablant sur une connivence entre « modérés » des deux camps.
Une initiative comme Genève peut avoir d’excellentes intentions, mais si elle ne change strictement rien à l’occupation, aux barrages, aux colonies, à l’annexion, aux humiliations quotidiennes, elle est vouée à l’échec. Si elle examine à égalité les revendications des deux camps, elle n’a pas d’avenir. Il n’y a aucune égalité entre occupant et occupé.
Il faut écouter ce que disent les Palestiniens qui ont négocié avec les Israéliens.
Elias Sanbar trouve que ses interlocuteurs (genre Yossi Beilin) affichaient une forme de complexe de supériorité dévastateur : « nous sommes les plus forts, mais par humanisme, nous allons faire des concessions ». Attitude confirmée par ce que disent des « pacifistes » israéliens comme David Grossman pour qui la légitimité israélienne ne se discute pas, mais on peut à la rigueur en concevoir une petite pour les Palestiniens.
Écoutons un autre Palestinien, Albert Aghazarian : « le problème, c’est le sionisme. Les Israéliens ont peur un jour de ne plus avoir peur. Quand on négocie avec eux, ils refusent de discuter des points de désaccord. Nous, on voudrait pouvoir négocier en confiance. Eux veulent arracher des accords partiels sur des points secondaires pour que rien ne change. » Pendant des années, les négociateurs israéliens ont eu en face d’eux des Palestinien-ne-s laïques, parlant hébreu, capables de comprendre la psychologie israélienne. Ils ont tout fait pour les humilier et les marginaliser, les rouler dans la farine. Même Rabin a installé 50000 nouveaux colons entre Oslo et son assassinat.
Pour moi, une vraie négociation suppose déjà une égale dignité. Et elle devrait s’inspirer du compromis sud-africain. Partir de la réalité : la Naqba était un crime. Les colonies sont des chancres. Les Israéliens doivent comprendre que leur reconnaissance en 1988 par l’OLP était une incroyable concession qu’ils n’ont pas voulu saisir. S’ils veulent assurer leur insertion au Moyen-Orient, ils doivent saisir cette concession. En vouloir plus est criminel et sans issue.
Quelles sont vos relations avec les autres associations françaises, notamment avec celles qui proposent d’autres approches comme « La paix maintenant » ?
Il y a très peu de relations avec « La Paix Maintenant ». C’est à la fois compréhensible et regrettable. Compréhensible parce que, c’est ce que je vais expliquer, nous sommes en divergence sur l’essentiel.
Regrettable parce que, du coup, on n’arrive plus à se parler et qu’il n’y aura pas de paix sans la rupture d’une partie de « l’opinion juive » avec l’aventure meurtrière dans laquelle elle est entraînée. Quand on parle de « La Paix Maintenant », il faut distinguer Israël et la France et il faut distinguer les individus.
Michel Warschawski parle parfois de « la petite roue » (les anticolonialistes israéliens) et de la grande (La Paix Maintenant, la base du Meretz ou du parti travailliste). En 1982, lors de la première invasion du Liban, la petite roue avait entraîné la grande et des centaines de milliers d’Israélien-ne-s étaient descendus dans la rue pour protester contre le massacre de Sabra et Chatila. Ce n’est plus le cas. En Israël, « La Paix Maintenant » est devenue une sorte
d’appendice du parti travailliste, allant jusqu’à soutenir la dernière guerre au Liban.
Je voudrais rendre hommage à Dror Etkes. Il est interviewé dans le film « Iron Wall ». Il fait un travail infatigable de dénonciation de l’avancée de la colonisation. C’est un peu une exception et je ne suis pas sûr qu’il soit encore à La Paix Maintenant. Il y a en Israël des gens qui sont sionistes, qui pensent que l’occupation salit le pays. Certains refuzniks étaient sur cette position. Elle est de moins en moins tenable. La réalité des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité radicalise ces sionistes humanistes. Néanmoins, j’ai beaucoup de respect pour ceux qui rompent au nom de valeurs morales.
Nous avons fait venir à Marseille des refuzniks sionistes en 2002. Leur position choquait nos amis palestiniens. Et pourtant, si un jour une paix juste devient possible, ce sera grâce à tous ceux qui auront rompu.
De nombreux Israéliens ou Juifs célèbres issus du sionisme finissent par rompre face à la réalité : Uri Avnéry devenu un combattant infatigable, Nahum Goldman (qui avait rencontré Arafat), Théo Klein, Avraham Burg, Shulamit Aloni …
La Paix Maintenant en tant que mouvement a été incapable de rompre. Le sionisme a gommé les différences idéologiques.
Ce qui différencie la droite de la gauche en Israël, c’est que la droite fait ce qu’elle dit. Cela fait plus de 70 ans qu’elle est pour le transfert (l’expulsion définitive de tous les Palestiniens, l’achèvement de la guerre de 48).
La gauche officielle israélienne l’a suivie : elle a participé activement à tous les crimes contre les Palestiniens : l’expulsion de 1948, la guerre de 67 et la décision de lancer la colonisation, la destruction du processus d’Oslo entreprise par Pérès et Barak, la construction du mur impulsée par le travailliste Ben Eliezer, le blocus de Gaza initié par Barak et Ramon (ou Vilnaï qui promet une Shoah aux Palestiniens), l’invasion du Liban avec Amir Peretz … La Paix Maintenant en Israël est bien souvent devenue l’auxiliaire de cette politique criminelle, surtout chaque fois qu’il y a eu des ministres travaillistes. Il n’y a pas de bonne colonisation, de bonne localisation du Mur (La Paix Maintenant approuve un Mur construit sur
la ligne verte), de bonnes invasions. Il n’y a qu’un seul choix possible, défendre les droits du peuple Palestinien.
En France, c’est pire. Qui sont les personnalités juives françaises qui se disent pacifistes, qui ont encensé l’initiative de Genève et qui passent leur temps à dénoncer les jeunes issus de l’immigration comme ennemis de la France ? Finkielkraut ? BHL ? Enrico Macias,«ambassadeur de la paix de l’ONU» qui va chanter pour la police de l’air et des frontières israéliennes ? Lanzmann qui justifie qu’on arrache les oliviers parce que les terroristes se cachent derrière ? On trouve même des élus du PS qui président « l’Association pour le Bien-être du soldat israélien ». J’ai voyagé l’année dernière en Israël avec des militant-e-s ou sympathisant-e-s de La Paix Maintenant. Les discussions ont été parfois tendues quand je sortais les mots qui fâchent : occupation, apartheid, boycott. Là où ils s’extasiaient devant les nouveaux quartiers de Jérusalem, je voyais les colonies construites sur les ruines de Deir Yassin. Là où ils voyaient des Arabes Israéliens, je voyais des sous-citoyens (50% en dessous du seuil de pauvreté). Pour eux, le Mur est une bonne chose, il suffit de changer son tracé et ils sont en admiration devant Israël.
Il y a quand même eu des débats intéressants. Un d’entre eux était allé voir un cousin proche devenu colon. On partageait la même incompréhension teintée d’effroi devant les processus qui transforment un citoyen moyen en colon autiste. Quand je leur disais : « si j’étais Palestinien, je pense que j’aurais les mêmes idées car elles sont universelles. Et toi ? » Ils étaient obligés de reconnaître que le sionisme n’est pas universel. Quand j’ajoutais : « je pense que la politique israélienne est criminelle pour les Palestiniens, on est en désaccord sur ce point. Mais je pense aussi qu’elle est suicidaire pour les Israéliens.
Comment peuvent-ils imaginer s’imposer dans la région à l’échelle de l’histoire par la violence et l’humiliation ? » Là aussi, accord. Ils savent que cette politique est suicidaire.
Que répondez-vous à ceux qui affirment que l’UJFP «diabolise» Israël à outrance en lui imputant l’entière responsabilité de la situation actuelle?
Si le fait de ne pas renvoyer dos-à-dos occupant et occupé, c’est diaboliser Israël, j’assume. Dans ma jeunesse, j’ai diabolisé le colonialisme français, l’impérialisme américain, le stalinisme et l’Apartheid sud-africain. Et j’assume toujours. Si le fait de dire qu’en 40 ans, 650000 Palestiniens ont connu la prison (c’est comme si en France, il y en avait eu 10 millions), c’est diaboliser Israël, OK. Dans toute cette guerre, le sionisme a toujours procédé par fait accompli impuni. Le choix qu’il a laissé aux Palestiniens a toujours été : « acceptez la sécurité de l’occupant, acceptez de vivre dans vos réserves et votre bantoustan et il y aura la paix. ».
Entre Méditerranée et Jourdain, il y a grosso modo 5 Millions de Juifs et 5 Millions de
Palestiniens. Les premiers occupent 90% de l’espace, monopolisent la terre et l’eau, ont un niveau de vie 20 fois supérieur aux autres. Si ce n’est pas du colonialisme et de l’Apartheid, c’est quoi ?
Sur la responsabilité des uns et des autres, je ne désapprouve pas la décision palestinienne de 1988 (reconnaître Israël), ni même la signature des accords d’Oslo. Les dirigeants de l’OLP ne voulaient pas lutter jusqu’au dernier Palestinien vivant. Sauf qu’ils ont été incroyablement naïfs. Ils pensaient que les Israéliens saisiraient la valeur du compromis proposé et signeraient « la paix des braves » chère à Arafat. L’OLP a signé un accord qui n’exigeait pas la fin de la colonisation. Résultat, depuis Oslo, le nombre des colons a quadruplé. Chaque fois qu’on parle d’évacuation, la classe politique israélienne dit : « oui mais on garde Jérusalem Est, Ariel, Maale Adoumim, les blocs de colonies, la vallée du Jourdain … ».
Il faut lire Charles Enderlin sur l’échec des discussions de Camp David et Taba. La responsabilité israélienne est écrasante sans compter celle de Clinton qui a tout essayé pour faire capituler Arafat et pour lui faire porter la responsabilité de l’échec des discussions. En fait, et c’est Tom Segev qui l’écrit, depuis 1967, la colonisation est devenue le projet central d’Israël avec derrière l’idée folle de faire venir tous les Juifs en Israël. Si demain, un gouvernement Israélien acceptait un retour aux frontières de 67, tout le monde sait qu’il y aurait la paix. Alors oui, ils ont l’entière responsabilité du drame actuel.
Prenons l’exemple de Gaza. Ça finit par rappeler le ghetto de Varsovie, la déportation en moins. On va accuser les assiégés de ne pas accepter passivement d’être étranglés ? On va renvoyer dos-à-dos les assiégés et ceux qui les affament ?
Vous rejetez avec véhémence la notion « d’Etat juif ». En quoi le caractère juif de l’Etat est-il inconciliable avec l’égalité pour ses habitants ?
Le droit international, la déclaration internationale des droits de l’homme fixent le cadre de ce qu’est la citoyenneté. Les Juifs Européens sont bien placés pour comprendre l’importance de ces droits. Depuis le début de la sortie du ghetto, cela a été une lutte incessante
pour l’égalité des droits, jalonnée en France par des événements emblématiques (l’Abbé Grégoire, l’affaire Dreyfus …) et par l’engagement massif des Juifs dans des mouvements progressistes, laïques ou révolutionnaires.
La notion d’Etat Juif part de plusieurs mensonges fondateurs. Pour les Sionistes, l’antisémitisme est inévitable, il est inutile de le combattre, les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux. On y ajoute que la Palestine était une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » et on a le projet actuel à l’œuvre rendu viable par le génocide nazi.
Juif, c’est quoi ? Pour les Nazis, c’est une race. Pour les Sionistes, c’est une identité transmise par la mère ou par la religion. En fait le Judaïsme est composite. Il y a plusieurs peuples Juifs avec une histoire commune liée à la religion. Prétendre que les Juifs Yéménites ou Polonais, c’est le même peuple, c’est un mensonge. Prétendre que les Juifs sont les descendants de ceux qui ont quitté la Palestine avec la destruction du temple en est un autre.
En Israël, on a bricolé une identité juive qui repose sur une série de mystifications. Pour construire l’Israélien nouveau, on a tué le Juif, le cosmopolite, celui qui avait transposé le messianisme dans une forme d’universalisme. L’histoire officielle israélienne parle de la diaspora comme d’une parenthèse alors qu’elle est centrale dans l’histoire du judaïsme. On s’est acharné à faire disparaître les langues juives (ladino, judéo-arabe, yiddish), les cultures, les valeurs. On affirme contre toute vraisemblance historique la continuité de la présence juive en Palestine (sauf qu’elle était bien plus faible que dans les pays voisins). Le sionisme a fabriqué un « homo judaicus » nouveau chauvin, militariste, colonialiste. L’antithèse du judaïsme qui a produit les Einstein, Freud, Hannah Arendt, Abraham Serfaty, Henri Curiel.…
Dans l’Etat Juif à construire, il fallait expulser l’indigène et cela a commencé pendant le mandat britannique. Cela a été presque achevé (avec préméditation) en 1948. Puis il a fallu s’emparer de la terre. Cela a été une confiscation incessante et continue jalonnée par des massacres (Kafr Kassem en 1956 ou Nazareth, c’est de là qu’est partie la célébration de la « journée de la terre »).
Tout est bon pour assurer la suprématie démographique. Parmi les Russes arrivés depuis 20 ans, un demi-million qui n’ont rien à voir avec le judaïsme. Non seulement ils bouffent du porc (ce n’est pas un reproche, moi aussi), mais certains sont carrément nazis et antisémites. Peu importe, eux sont citoyens de l’Etat Juif. En 2002, des rabbins intégristes ont déniché une communauté religieuse Aymara aux confins du Pérou et de la Bolivie. Ils les ont convertis au judaïsme, leur ont appris deux mots d’hébreu et les ont fait immigrer directement dans la colonie de Gush Etzion. Eux aussi sont citoyens de l’Etat Juif. Idem pour des Ethiopiens chrétiens qu’on a fait venir en disant que c’étaient des Falashas convertis contre leur gré. Faute d’ouvriers Palestiniens, l’Etat Juif manque de prolétaires.
Et les Non Juifs en Israël ? 50% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté (contre 15% des Juifs). Plein d’emplois leur sont interdits (officiellement pour des motifs de sécurité) : les compagnies des eaux, du téléphone, de l’électricité, les transports publics …
Résultat, un chômage massif. Les 180000 Bédouins du Néguev ont été rassemblés autour de Beersheva. Tout le reste du désert a été confisqué. Autour de Beersheva, ils forment 28% de la population mais n’occupent que 1% du territoire. On les a parqués dans 7 « villages planifiés ». 120000 personnes habitent des villages non reconnus, bidonvilles de tôle ondulée sans eau, sans électricité, sans route. Dès qu’ils construisent en dur, l’armée démolit et expulse (270 démolitions l’an dernier). C’est beau d’être citoyen non juif dans un Etat Juif !! La loi israélienne ne reconnaît aucun acte de propriété des Bédouins sur les terres où ils ont toujours vécu.
Quelle que soit la structure étatique future (un ou deux Etats), cela devra être l’Etat de tous ses citoyens avec une égalité totale. J’ajouterais, et c’est une des raisons de mon engagement, que l’Etat Juif représente une menace terrible … pour les Juifs. Il est déjà largement responsable de l’exode des Juifs Arabes. Pour les Juifs Français, il nous condamne à être complices ou « traîtres ayant la haine de soi ». Israël exige des Juifs une « allégeance » qui menace
leur intégration et leur pleine accession à l’égalité des droits. Nous sommes citoyens français et nous refusons les crimes faits « en notre nom ».
Est-ce que selon vous, Israël en tant qu’«Etat juif» est moins légitime que les autres Etats de la région qui se revendiquent «arabes» ?
Je n’ai aucune sympathie particulière pour les régimes de la région. Le régime Saoudien qui décapite régulièrement ou le régime corrompu et dictatorial de Moubarak sont haïs en Palestine. L’historien « dissident » Ilan Pappé est très sévère sur l’attitude des pays arabes pendant la Naqba. Ils n’avaient aucune envie de se battre. Les seuls qui pouvaient mettre en échec les Israéliens, l’armée Jordanienne, avaient un accord secret avec les dirigeants sionistes pour dépecer la Palestine et ne se sont battus que sur le tracé de la frontière.
Depuis la Naqba, de nombreux pays Arabes ont commis des crimes contre les Palestiniens : souvenons-nous de Septembre Noir en Jordanie ou de l’OLP assiégée par les troupes syriennes au Liban. Les pays Arabes ont souvent eu des attitudes assez ignobles avec les réfugiés palestiniens, le Liban étant sûrement le pays où les discriminations sont les plus
flagrantes.
Les Palestiniens, et notamment tous les militants laïques et révolutionnaires, ont toujours représenté une menace pour les régimes arabes. Je n’ai aucune sympathie pour la notion d’Etat Arabe. Je fais miens les propos de Kateb Yacine peu avant sa mort au début de la guerre civile algérienne : « qu’est-ce que c’est que cette idiotie d’Algérie arabe et musulmane ? Je ne suis ni arabe, ni musulman ». Il était Kabyle et athée et avait risqué sa vie pour l’indépendance algérienne. Là encore, plutôt que deux Etats, un Juif et un Arabe, je préférerais un seul Etat laïque et démocratique. Et je pense que la laïcité n’est pas une spécificité française (d’autant qu’elle est très attaquée en France). Elle est indispensable au « vivre ensemble ».
Dans une interview au journal d’Oran vous revendiquez le droit au retour des réfugiés palestiniens. A qui ce droit s’adresse-t-il et dans quel contexte (droit de retour dans un futur Etat palestinien ou y compris en Israël )? Est-ce que vous comprenez les craintes d’Israël à ce sujet ?
Les Palestiniens sont un peuple de réfugiés, c’est la conséquence de la Naqba, c’est le cœur de la guerre actuelle. Les réfugiés représentent plus de 50% de la population totale palestinienne. Vouloir éliminer cette question relève du négationnisme. En plus les Israéliens ont inventé pour les Juifs une prétendue « loi du retour » qui me donne à moi, Juif français de la deuxième génération, instantanément la nationalité israélienne si j’émigre alors qu’on interdirait aux Palestiniens de revenir chez eux. On aurait le droit d’avoir la mémoire des Juifs d’Oran, d’Odessa ou de Vilnius et les Palestiniens seraient obligés d’oublier que leurs parents sont partis de Haïfa, Safed ou Jaffa ? Justement, quand on visite Wadi Nisnas, un des rares quartiers palestiniens de Haïfa, on trouve des clés sur une maison quittée en catastrophe il y a 60 ans. Quand on discute avec un Palestinien d’Israël, il explique pourquoi il se sent un miraculé. Quand on discute avec les jeunes du camp de Jénine, ils égrènent leurs villes ou villages d’origine, tous situés en Israël. Parmi les associations anticolonialistes israéliennes, il y a Zochrot, une association qui a ressuscité la mémoire des 750 villages détruits en 1948. L’association montre aux Palestiniens leurs anciens villages, les fait discuter avec les nouveaux occupants. Fin décembre, j’étais à Al Waladja, un village de l’agglomération de Béthléem situé tout près de l’ancienne ligne verte qui se bat contre la construction du Mur qui encercle Béthléem. Les ruines de leur ancien village sont toutes proches, de l’autre côté du vallon. Ils ont été chassés en 1948, ils sont décidés à s’accrocher à leurs terres malgré les maisons dynamitées.
Les Israéliens auraient souhaité le crime parfait. Un peu comme aux Etats-Unis ou en Australie où les Indigènes ne sont plus en situation de réclamer leurs droits. Seulement voilà, les réfugiés et leurs descendants sont toujours là, dûment recensés par l’UNRWA.
Le droit au retour n’est pas négociable. Ce serait nier la Naqba. Après, quelles seront les conséquences de ce droit ? On verra dans la négociation. Tous les cas seront possibles. Retour dans l’Israël d’avant 67, retour dans l’Etat Palestinien, indemnisations, intégration dans les pays d’accueil avec plein exercice de la citoyenneté. De quoi ont peur les Israéliens ? De ne plus être entre eux dans un Etat Juif ? Leurs peurs ressemblent à celle des citoyens de Neuilly qui ne veulent pas de logements sociaux chez eux. Les Israéliens veulent tout, c’est impossible. Ce peuple existe et restera, il devra accepter de faire partie du Proche-Orient et cesser d’être une base avancée de l’Occident. Et il devra apprendre l’égalité des droits et le partage équitable. Sinon, il n’a pas d’avenir.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Cette question m’est posée le 1er mars 2008, alors que la liste des morts s’allonge à Gaza et que les dirigeants israéliens, après avoir transformé Gaza en « entité hostile » affament et détruisent ce territoire. Et ils annoncent une invasion prochaine, synonyme de nouveaux crimes. Donc bien sûr, j’ai des accès de désespoir et rien ne pousse à l’optimisme. La société israélienne est globalement autiste, incapable de réaliser l’impasse totale dans laquelle elle s’enfonce. C’est une société profondément malade, corrompue, raciste, militarisée, gangrenée par l’intégrisme religieux, minée par le pire libéralisme, le business et l’égoïsme (je ne crois pas être injustement sévère, ces qualificatifs correspondent à la réalité). Une caricature totale de ce qu’était le judaïsme avant le grand massacre. Nurit Peled parle de virus. Leibowicz s’autorisait le terme judéo-nazisme. Le projet à l’œuvre en Israël, continuer les expulsions et la guerre, poursuivre la colonisation, tuer, emprisonner, soumettre … est un projet de mort. Il est sans issue, les Palestiniens ne capituleront jamais. Le complexe de Massada, c’était préférer le suicide à la domination romaine. C’est aujourd’hui la fuite en avant meurtrière, l’accumulation des crimes, l’incapacité de comprendre les conséquences des meurtres et des humiliations. La société israélienne s’imagine menacée et victime, il est classique que le bourreau se prenne pour une victime.
Qu’est-ce qui pourrait permettre d’être moins pessimiste ?
On pourrait penser que l’échec israélien au Liban, l’échec américain en Irak et l’arrivée possible d’Obama vont changer la donne. Je suis de ceux qui croient qu’aucun dirigeant américain ne peut changer de politique vis-à-vis d’Israël. Il y a l’existence du courant « Chrétien Sioniste ». Ce courant millénariste (et antisémite) influence des millions d’Américains. C’est lui qui a financé de nombreuses colonies dont Maalé Adoumim. Et puis Israël est le bras armé de l’Occident en Orient et sa classe dirigeante est à même d’obliger tout gouvernement américain à le soutenir inconditionnellement. On pourrait espérer qu’Israël va enfin être boycotté et sanctionné. Hélas, on ne voit rien venir. Pour que ça bouge, il faudrait forcer la direction israélienne à changer. Or la société israélienne ne souffre pas économiquement de la guerre. Son économie de pointe n’a plus besoin de centaines de milliers
de travailleurs immigrés palestiniens. La croissance est soutenue. Tant que les Israéliens ne subiront pas les conséquences des crimes de leur Etat, ils n’évolueront pas. Il n’y aura pas de aix avec le projet sioniste. Ce projet se nourrit de la peur, de la fuite en avant. La paix passe par une « sécularisation », une forme de post-sionisme (le terme est d’Esther Benbassa) où les Israéliens cesseraient de rêver à leurs conquêtes meurtrières et accepteraient d’être un peuple comme un autre avec tous leurs droits, mais rien que leurs droits. Le sionisme n’est pas la fin de l’histoire juive. Ce processus de dégénérescence de l’idéologie dominante est possible mais hélas pas proche. Sans lui, pas de paix. En ce sens, les anticolonialistes israéliens ou ici en France l’UJFP, nous avons une importance supérieure à nos (trop maigres) effectifs. Nous montrons qu’une autre voie est possible et indispensable, un peu comme les porteurs de valises pendant la guerre d’Algérie ont montré qu’il y avait une alternative au colonialisme. Pour la paix, il faudrait un compromis à la Sud-Africaine. La direction israélienne en est totalement incapable, elle a toujours méprisé le droit. Elle n’a jamais été punie.
Alors quel espoir ?
Une rupture du « front intérieur » en Israël. Une mobilisation de l’opinion mondiale obligeant les gouvernements à cesser de garantir l’impunité d’Israël pourrait enfin forcer la recherche d’une vraie paix.