Intervention de Sonia Fayman le 28 – 01 – 2021 au Forum Social Mondial : Anticolonialisme et antiracisme – Retour sur l’expérience d’une solidarité en France

1 – Le CICP et l’UJFP dans la semaine anticoloniale et antiraciste

Comme l’a rappelé Claude Szatan, le Cedetim s’est créé dans le mouvement des luttes de libération nationale contre le colonialisme.

Et le CICP a poursuivi en ce sens, à partir de 1976.

CICP c’est Centre international de culture populaire : le nom manifeste la conviction que la solidarité internationale est ancrée dans la culture populaire. Mais ce n’est pas une donnée immuable. La culture populaire, comme la solidarité internationale ont subi les assauts du libéralisme, si bien que le maintien de l’existence du CICP est un combat de tous les jours, appuyé sur les piliers que sont le Cedetim, IPAM (Initiatives Pour Un Autre Monde) et les 80 autres associations membres du CICP.

On peut dire que l’orientation du CICP c’est l’hospitalité militante. En dehors des associations membres nous y accueillons régulièrement des assemblées de mouvements en lutte : lycéens, COP 21. Aujourd’hui, la porte est ouverte dans le cadre du FSM, même s’il faut respecter des mesures de protection vis-à-vis du virus.

Il s’agit d’animer la vie d’une maison de 80 associations venues d’un peu partout et impliquées dans des actions de solidarité un peu partout, mais absolument pas de les contrôler. Plutôt de leur permettre d’agir en toute indépendance tout en faisant partie d’un collectif mobilisé.

Le caractère collectif de la semaine anticoloniale et antiraciste fait écho à notre fonctionnement : offrir la possibilité matérielle à des associations/organisations de se réunir et de mettre en commun. Faire collectif est un enjeu fort dans une période où les organisations fonctionnent plus en « silo ».

C’est aussi vrai sur notre participation au FSM. En effet, le CICP est un lieu historique du mouvement altermondialiste (depuis le premier FSM le CICP s’est articulé avec des organisations issues de différentes luttes anticoloniales et a participé à consolider les liens à l’échelle internationale (CICP très en force notamment à Tunis).

Ce que le CICP souhaite apporter via la semaine anticoloniale et le FSM c’est de pouvoir faire dialoguer le mouvement altermondialiste, les organisations qui s’inscrivent dans le mouvement de décolonisation et peut être les organisations antiracistes, notamment les associations de racisés.

2 – L’UJFP, organisation antiraciste et antisioniste

L’UJFP est une association juive laïque dont les membres ne sont pas tous juifs mais qui se rassemblent pour porter une parole juive dans les mouvements sociaux, avec comme boussole la lutte contre tous les racismes et toutes les oppressions.

Nous sommes antisionistes et donc anticoloniaux au sens où nous nous opposons à l’idéologie qui a permis que se construise au Moyen Orient un État, Israël, qui a expulsé des centaines de milliers de ses habitants autochtones, les Palestiniens, et où seuls les juifs jouissent de tous les droits. Comme d’autres juifs de par le monde nous ne reconnaissons aucune centralité juive à l’État d’Israël. Et nous contestons la prétention de cet État à s’exprimer en notre nom. Que fait le chargé d’affaire à l’ambassade d’Israël, à Strasbourg lors d’un rassemblement suite à la manifestation d’antisémitisme d’un livreur refusant de faire une livraison chez des juifs ? Et que faisait Netanyahou à la cérémonie du Vel d’Hiv de 2017 lors de laquelle Macron (qui soit dit en passant commence par Monsieur le premier ministre d’Israël, cher Bibi) a reconnu, à la suite de Chirac, la complicité de la France dans la déportation des juifs de France et son rôle en particulier dans cette rafle qui a causé la mort de plus de 13000 personnes en déportation ? Nous récusons le droit de ces représentants d’Israël à parler à notre place.

Nous participons chaque année à la semaine  anticoloniale et antiraciste où nous avons l’occasion d’échanger avec d’autres groupes qui militent contre le colonialisme et l’occupation, notamment celle du Sahara occidental.

Nous agissons en lien avec d’autres organisations juives antisionistes. Il en sera question lors de l’intervention de Pierre Stambul dans le grand débat transversal de la semaine, le samedi 6 février et lors de celle de Jean-Guy Greilsamer dans la soirée du 9 février.

La Palestine sera aussi à l’honneur dans la soirée inaugurale de la semaine, le vendredi 5 février, avec un film présenté par la coopérative Andines sur les dattes de Palestine et la présentation de la résistance culturelle animée par ATL Jénine avec les Amis des Arts et de la Culture de Palestine.

L’autre axe de l’UJFP, c’est l’antiracisme politique, c’est à dire :

– une analyse politique du racisme, comme construction de domination sociale : c’est le racisme de la colonisation fondé sur le mépris des peuples que la France a colonisés et esclavagisés, c’est le racisme vis-vis des descendants des peuples colonisés, c’est le racisme à l’égard des migrants d’où qu’ils viennent comme s’ils menaçaient une intégrité-identité fantasmatique française, c’est le racisme à l’égard des juifs, qu’il se manifeste franchement ou se déguise en philosémitisme.

– une ligne de conduite qui ne fait pas le tri entre les différentes formes de racisme, par exemple en dénonçant la manipulation de l’antisémitisme par tous ceux qui en font un cas à part en adoptant par exemple l’expression « le racisme et l’antisémitisme ». Nous sommes concernés au premier chef par l’antisémitisme mais nous contestons son traitement particulier. Voir la médiatisation d’actes antisémites comparée à celle des attaques islamophobes. Un deux poids deux mesures inacceptable.

– une alliance, un soutien aux luttes menées par les groupes racisés qui se positionnent dans les mouvements sociaux sans pour autant être reconnus comme acteurs à part entière de ces mouvements. C‘est pourquoi nous sommes attentifs aux analyses qui vont à la racine de la production du racisme et dans la démystification des faux combats ou des dénonciations superficielles comme celle de ne voir le racisme que dans les discriminations (Norman Ajari)1 ou les violences policières (Franco Lollia)2. Ces manifestations du racisme renvoient à sa source institutionnelle. C’est pourquoi on parle de racisme d’État. C’est pourquoi il est important de soutenir l’expression autonome des organisations racisées.

– une mobilisation aux côtés de celles et ceux qui sont attaqués par la droite et par une partie de la gauche bien pensante dans leur persistance à professer un universalisme qui ne fait que puiser dans un fétichisme nationaliste qui s’est choisi les musulmans comme boucs émissaires des crises de la période actuelle. C’est ainsi que nous avons dénoncé la dissolution du CCIF par le gouvernement sur des motifs totalement fantaisistes en faisant un allié du djihadisme alors que c’est une organisation de défense des droits des personnes victimes d’islamophobie. C’est ainsi aussi que nous avons publié sur le site de l’UJFP une tribune d’Houria Boutelja déprogrammée par Mediapart et que, plus généralement nous soutenons son droit à la parole publique, contre celles et ceux qui l’insultent en déformant sciemment ses propos (Printemps républicain et autres). Dominique Natanson, dans un texte sur le site de l’UJFP, a très bien souligné comment notre gouvernement profite de chaque attentat terroriste pour mettre au pas toute contestation issue des quartiers populaires, et je rappelle que ces quartiers reproduisent douloureusement l’ordre colonial, par la gestion séparée des populations.

– un positionnement sur l’antiracisme décolonial qui regarde en face la subsistance dans la société française d’un complexe de supériorité ouvrant droit à tenir en laisse plusieurs gouvernements de l’Afrique francophone dans des échanges gagnant-gagnant avec les élites de ces pays, au mépris de leurs peuples, que ce soit là-bas ou ici. Notre participation régulière au FSM est ancrée dans ce positionnement, afin, notamment d’approfondir des liens que nous entretenons avec des organisations et miltiant.es de ces pays et d’en tisser de nouveaux.

Je vous remercie.


Note-s
  1. Norman Ajari : Impasses du réductionnisme de classe. Sur un texte de Beaud et Noiriel, Mediapart, 4 janvier 2021[]
  2. Entretien avec Franco Lollia par Nahal Benahmed, 20 janvier 2021, site du PIR[]
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