Par Marc MAHUZIER, envoyé spécial dans la bande de Gaza ; publié le 13 juin 2017.
Dix ans de blocus n’ont pas seulement ruiné les pêcheurs de la bande de Gaza. Régulièrement, ils sont pris pour cibles par les vedettes de la marine israélienne. Même à l’intérieur de la zone protégée. Fadi Baker raconte comment, en avril, son petit bateau a été arraisonné et son jeune frère tué.
Avec ses coques de bateaux qui pourrissent au soleil, le port de Gaza offre un triste spectacle. Depuis qu’Israël a ordonné le blocus de la bande en réponse à la prise de pouvoir par le Hamas, le 15 juin 2007, les pêcheurs n’ont plus accès qu’à une toute petite zone côtière, large de 6 milles marins au nord (environ 11 km) et de 9 milles au sud, près de l’Égypte. « Mais le poisson est beaucoup plus loin en mer, sur les fonds rocheux. Nous n’attrapons plus rien », se désole Zakaria Baker, numéro 2 de l’organisation locale de producteurs.
« Deux vedettes venant du nord »
Avec 3 750 pêcheurs auxquels s’ajoutent environ 5 000 emplois induits, la capture de poisson est une activité essentielle à l’économie du Territoire. « Aujourd’hui, la plupart des familles sont au-dessous du seuil de pauvreté », assure Zakaria. Les débarquements ont fondu comme glace au soleil : 1 500 tonnes annuelles seulement, trois fois moins qu’il y a dix ans. Et peu d’espèces nobles comme la daurade, qui rapportait bien.
Privés d’accès à la ressource, les professionnels subissent surtout la brutalité et les attaques de la marine de guerre israélienne qui patrouille nuit et jour dans la zone. Lundi 15 avril, Fadi se trouvaient avec deux frères et un cousin dans le nord de l’étroit couloir maritime. C’était le jour de la « Nakba » (la catastrophe) qui commémore chaque année l’exode du peuple palestinien en 1948 pendant la guerre israélo-arabe. « On pêchait la sardine avec des lignes, à deux milles (3,8 km) de la limite, très à l’intérieur de la zone permise, assure le pêcheur, âgé de 32 ans. Soudain, on a vu deux vedettes venant du nord et qui nous fonçaient dessus à toute vitesse. On a essayé de s’enfuir, mais en quelques secondes elles étaient sur nous. »
Selon son récit, les militaires israéliens à bord des vedettes ont commencé à encercler leurs petits bateaux avec des tirs à l’arme automatique. « Ils étaient huit, tous le visage masqué, avec des fusils du genre M-16 américain. » Les tirs se seraient faits plus précis, touchant mortellement son frère Mahamad Majid, 25 ans, et détruisant le moteur.
Déjà deux morts cette année
« Ils sont ensuite montés à bord et ils ont emporté le corps sans rien nous dire. Mon père a dû attendre plusieurs jours pour le récupérer à la frontière. Il avait été autopsié. »
Selon Fadi Baker, les problèmes avec la marine israélienne sont fréquents. En 2016, ces attaques n’ont fait que des blessés. Mais cette année, Mahamad Majid serait le deuxième tué. « Ils détruisent aussi les filets que nous posons. Depuis le début du blocus, 45 bateaux ont été confisqués, 15 ont subi des dégâts, il y a eu une trentaine de blessés et 135 arrestations, avec encore neuf personnes en prison. Ils considèrent que la mer leur appartient. Ils veulent nous en chasser », commente Zakaria.
Madleen Kulab, 23 ans, est la seule femme pêcheur de Gaza. Petite fille, elle embarquait sur le bateau de son père. Quand il est tombé malade, elle l’a remplacé. Elle avait 14 ans. « À bord, je fais le même travail que les hommes », dit-elle. Elle aussi s’est fait tirer dessus. Une fois, elle a été blessée à la main. Regard farouche, Madleen assure : « C’est dangereux, mais je n’ai pas peur. »