Il n’y a pas de père : les adolescents palestiniens, tête haute pour la libération

La violence des actes de la résistance contre l’occupation chez les jeunes est un symptôme de la désorganisation de la société dans laquelle ils luttent pour survivre.

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Un jeune Palestinien en aide un autre à mettre son keffieh, lors d’affrontements avec les soldats israéliens près de la colonie juive illégale de Bet El, dans Ramallah, en Cisjordanie occupée, le 4 octobre 2015. (AFP)

La participation auto-inspirée et improvisée d’adolescents qui n’ont aucune affiliation politique est un phénomène marquant dans le soulèvement actuel. Ils sont des mineurs nés après les Accords d’Oslo et qui ont observé à distance les trois guerres contre Gaza, ils ont assisté à la sauvagerie croissante des colons contre nos villageois en Cisjordanie, et aujourd’hui, ils voient clairement comment l’expansion israélienne s’accapare tout ce qui est palestinien dans Jérusalem.

Ces garçons ne sont ni désespérés ni suicidaires, et pas davantage des délinquants et des contrevenants à la morale. Au contraire, les biographies de beaucoup d’entre eux révèlent une recherche ambitieuse pour l’excellence et la réussite. Ils se perçoivent eux-mêmes comme capables, altruistes et protégeant le peuple palestinien – ils sont prêts à endurer le sacrifice extrême pour réaliser ces objectifs.

Ahmad Manasra, 13 ans, a été blessé par les Israéliens et a été laissé baignant dans son sang sur la ligne du tramway, accompagné des cris obscènes des passagers israéliens demandant « qu’on lui mette une balle dans la tête », en représailles d’accusations selon lesquelles il aurait poignardé un jeune Israélien. Ce jeune était étudiant à Al Nayzak, inscrit à un programme parascolaire pour étudiants talentueux en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques.

Mustafa Al Khatib, 17 ans, était un étudiant apprécié et éminent de l’École Al Ibrahimeyeh. Mais les enfances de ces jeunes sont complètement non reconnues par les Israéliens, dont l’article de presse le lendemain de l’évènement était intitulé : « Un terroriste de 13 ans poignarde un garçon de 13 ans ».

Je ne cherche pas à encourager la violence, mais je suis conduite à en comprendre et à en expliquer les origines, et à demander qu’il y soit donné une réponse d’adulte. L’adolescence est une phase de développement normalement caractérisée par l’impulsivité, la vulnérabilité émotionnelle et une recherche d’identité. Cependant, nos adolescents ne traversent pas cette phase de façon paisible.

« Nous allons t’emmener à la salle Numéro Quatre. Sais-tu ce que c’est ? Tu y entres sur tes deux jambes, mais tu en ressors à quatre pattes ». Ce témoignage a été fréquemment rapporté après que des mineurs ont été interrogés par les Israéliens dans le complexe russe de Jérusalem au cours des dernières années – bien avant les affrontements actuels. Tel est l’objectif stratégique des Israéliens pour les Palestiniens qui vivent sous l’occupation : les objectiver et les exploiter comme des animaux à quatre pattes, contemplant le sol, n’osant pas se relever pour leurs droits. « Le seul bon Arabe est un Arabe mort », ce slogan souvent répété par les Israéliens exprime leur sentiment majoritaire envers les Palestiniens.

Aujourd’hui, nous voyons ces « Arabes morts » et ces « Palestiniens à quatre pattes » se relever contre la violation et l’intimidation constantes de leur peuple, nous les voyons agresser leur oppresseur avec des armes primitives. Ce faisant, ils réaffirment, sous une forme extrême, qu’ils ont volonté et subjectivité, qu’ils sont capables de décider des choix, et qu’ils sont prêts à risquer une mort probable en se relevant contre l’ennemi. Mais ce qu’ils ne sont pas prêts à faire, c’est de vivre « à quatre pattes ».

Des pères désemparés

Au fil des années, l’occupation a sapé la structure de la famille palestinienne et désorganisé la communauté. Les pères palestiniens sont affaiblis, incapables de subvenir aux besoins de leur famille ou de la protéger contre les dommages. Quatre-vingts pour cent des habitants de Jérusalem vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans un logement inadéquat et insalubre, avec un statut de « résident temporaire » qui peut leur être retiré pour la moindre marque perçue d’un défi de l’occupant. La toxicomanie est un problème croissant. Il existe des divergences terriblement visibles dans le mode de vie et les opportunités, entre l’est et l’ouest de Jérusalem. Plus ils respirent librement à Jérusalem-Ouest, plus ils nous étouffent à Jérusalem-Est.

De nombreux pères palestiniens ont été tués ou rendus psychologiquement absents par l’emprisonnement ou le traumatisme de la torture ; un tiers de tous les hommes palestiniens ont connu la détention israélienne à un moment ou à un autre depuis 1967. Beaucoup de ces pères, libérés après de longues années en prison, sont devenus l’ombre de ce qu’ils étaient auparavant. Ces pères voient bien que leurs fils aînés, bien qu’encore de simples adolescents, sont devenus « le père », à leur place.

Nos enfants font souvent l’expérience de ce qu’est une arrestation d’enfants dans leur maison. Ils ont vu leur père rester désemparé alors que des soldats masqués d’Israël faisaient irruption avec leurs chiens militaires, criant sur la famille en hébreu, alors qu’un petit frère était arraché de son lit. Dans certains cas, le père est même contraint de remettre ses enfants aux soldats, ravalant ses larmes. Ils ont vu leur mère frappée, humiliée et déshabillée quand elle avait trop tenté de défendre ses enfants, et ils ont vu leur père paralysé, incapable de les protéger. Falah Abu Maria, de Beit Ummar, a été tué alors qu’il tentait de défendre son fils contre les soldats, en juillet.

En outre, ces enfants ont fait l’expérience d’une direction palestinienne répressive et inefficace. Après les élections législatives palestiniennes de 2006, le Président palestinien en a justifié le rejet des résultats en déclarant « Si nous avons à choisir entre le pain et la démocratie, nous choisissons le pain ». Juste avant la dernière guerre de l’été 2014 contre Gaza, ce même Président a informé les Palestiniens que « la coordination avec Israël en matière de sécurité était sacrée ». Et récemment, à l’ouverture d’une session parlementaire au Conseil national palestinien, il a fait cette déclaration scandaleuse : « Nous n’avons rien à voir avec Jérusalem, le Prophète a quitté La Mecque ». La direction palestinienne a autorisé le siège étouffant de la bande de Gaza et elle a agi en coordination avec l’Égypte et Israël pour en inonder les tunnels. Tout récemment, la direction palestinienne arrêtait tout Palestinien qui recelait le potentiel de se lever contre les colons en Cisjordanie, et elle a brutalement réprimé les manifestations pacifiques qui s’opposaient aux agressions israéliennes contre la mosquée Al Aqsa.

Israël a délibérément attaqué et discrédité quiconque pourrait incarner le rôle d’un vrai père aux yeux des Palestiniens. Beaucoup de dirigeants palestiniens ont été purement et simplement assassinés par les forces israéliennes ; le ministre palestinien Zeyad Abu Ein est mort lors d’un affrontement violent avec les soldats ; un juge palestinien a été tué sur le pont Allenby dans des circonstances controversées, et la direction palestinienne avec citoyenneté israélienne tout entière subit des pressions et est menacée d’expulsion. Israël a arrêté des dizaines de membres du Conseil législatif palestinien et il est allé jusqu’à proposer une fouille corporelle des membres arabes de la Knesset avant qu’ils ne pénètrent dans la Knesset, afin de rabaisser encore davantage l’image de la direction palestinienne.

Les adolescents palestiniens savent très bien que leur avenir personnel est extrêmement limité sous l’occupation, avec son imposition forcée de conditions désespérées, économiques, politiques et sociales. Mais c’est la promesse de « l’avenir » qui aide les enfants et les jeunes dans leur développement et reporte à plus tard leur impulsivité naturelle et les aide à accepter les conseils de leurs parents. Ne prévoyant rien et leur potentiel étant gaspillé à l’avance, les adolescents palestiniens n’ont plus l’envie de maîtriser la témérité et l’impulsivité propres à leur âge. Ressentant eux-mêmes qu’ils n’ont rien à perdre et personne sur qui prendre modèle, ils sont sans défense face à une identification concrète avec le traumatisme massif, la violence, le deuil et la mort tout autour d’eux.

L’occupation avec ses rêves brisés magnifie et masque à la fois toutes les autres formes de l’aspiration de l’adolescent et de la souffrance de l’adolescent. L’implication violente dans la résistance contre l’occupation chez ces jeunes est un symptôme de la désorganisation de la société dans laquelle ils luttent pour survivre. Et les adultes palestiniens, ayant souvent succombé à l’humiliation, à la peur et à une impuissance inculquée, ont échoué à répondre à ces enfants sans peur, mais aussi sans père car nous n’avons pas fait la moitié du chemin vers eux ; nous avons laissé un vide par notre incapacité à relever le défi de nos responsabilités.

La confrontation entre l’occupé et l’occupant est le résultat naturel de la réalité palestinienne – bien plus que la fausse soumission officielle typique aux Israéliens ponctuée par des crises occasionnelles contre eux. Notre direction n’a pas été capable de fixer un agenda et une stratégie nationale pour la libération ; elle a évité et craint le processus de sensibilisation des Palestiniens, et elle a interdit de mettre au point tant un discours authentique que la fourniture d’outils véritables pour la libération.

Notre direction a échoué dans la promotion de l’éducation comme véhicule de notre dignité, et elle a négligé le travail de guérison du traumatisme de l’humiliation. Au lieu de cela, nos dirigeants ont encouragé le chauvinisme factionnel, la polarisation, la corruption et le népotisme, et ils ont distribué leurs faveurs sur la base de la docilité et de l’affiliation politique.

Les actes de nos jeunes expriment un désir ardent de liberté et de dignité, mais ce désir a besoin de notre soutien et qu’on l’entretienne. Nous devons protéger notre jeunesse contre son intrépidité qui peut faire avorter leur vie et leur objectif – et tel ce sera le cas en l’absence de frontières formelles, d’instauration de limites, et des valeurs sociales auxquelles une direction paternelle pourvoie.

La réaction spontanée de nos enfants face à l’occupation doit être un avertissement de la nécessité d’une réforme politique fondamentale en Palestine, elle doit nous alerter sur la nécessité de survivre en tant qu’individus et de faire prospérer une nation. Leurs actions doivent être une sonnette d’alarme pour nous les adultes, un catalyseur pour organiser un projet significatif véritable pour mettre fin à l’occupation.


Samah Jabr est Jérusalémite, elle est une psychiatre et une psychothérapeute qui s’intéresse au bien-être de sa communauté, bien au-delà des questions de santé mentale.

par Samah Jabr – Middle East Eye – 19 octobre 2015

Traduction : JPP pour Les Amis de Jayyous

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    Samah Jabr est Jérusalémite, elle est une psychiatre et une psychothérapeute qui s’intéresse au bien-être de sa communauté, bien au-delà des questions de santé mentale.

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