Il est temps de l’admettre. La politique intérieure d’Israël est l’apartheid

Bradley Burston est un chroniqueur et rédacteur en chef d’haaretz.com, l’édition électronique d’Haaretz. De plus il tient un blog, « A Special Place in Hell » (je le traduirais bien par  » Une place à part en enfer ») sur le site web d’Haaretz. C’est un journaliste expérimenté, connu et respecté des médias israéliens.

Né aux Etats Unis, militant dans un mouvement de jeunesse sioniste, Bradley Burston a émigré en Israël à la fin de ses études. Il a commencé sa carrière de journaliste au Jerusalem Post, un quotidien de la droite dure israélienne. Il a rejoint Haaretz il y a 15 ans.

En 2006 Bradley Burston a reçu le prix Eliav-Sartawi, une distinction accordée à un journaliste qui contribue à une meilleure compréhension entre les peuples du Proche Orient Awards pour son article « Let their people go » (« Laissez leur peuple sortir »)1 qui décrit le drame qui s’y déroule avec sobriété et humanité. L’article se termine par un appel à ouvrir les portes de Gaza: « Gaza (…) devrait être un paradis, pas l’enfer sur terre. Ils (les Palestiniens) sont notre sang. Leur futur, qu’on le veuille ou pas, est aussi le nôtre ».
Sioniste convaincu, ardent défenseur d’Israël, opposé convaincu au BDS mais toujours profondément humain Bradley Burston n’hésite pas à interpeler Benjamin Netanyahou quand celui-ci veut chasser les réfugiés africains d’Israël: « Let My People Stay. In Israel. Even if They’re Africans. Or Arabs. » (Laissez mon people rester en Israël, qu’il soit Africain ou Arabe). Témoin aux yeux ouverts, Bradley Burston ne peut que constater – avec dépit – que oui, le régime israélien est celui de l’apartheid. C’est ce qu’il exprime dans ce dernier article 2.


Je faisais partie de ceux qui étaient en désaccord quand on appliquait l’étiquette « apartheid » à Israël. Plus maintenant.

Ce que je vais maintenant écrire n’est pas facile pour moi. Je faisais partie de ceux qui étaient en désaccord quand on appliquait l’étiquette « apartheid » à Israël. On pouvait compter pour soutenir qu’en dépit du fait que les politiques de colonisation et d’occupation étaient antidémocratiques, brutales, que c’était un suicide à petites doses, que le terme d’apartheid ne pouvait pas s’appliquer.

Je ne fais plus partie de ces gens-là. Plus depuis ces dernières semaines.

Je n’en fais plus partie depuis que des terroristes ont incendié une maison en Cisjordanie, détruisant une famille, assassinant un petit garçon de 18 mois et son père, brulant la mère à plus de 90% et ensuite entendre le gouvernement israélien décréter que cette même famille n’était pas éligible au soutien financier et aux compensations automatiquement allouées aux victimes du terrorisme. Et alors que les colons y ont droit.

Je ne peux plus continuer à soutenir ces idées. Plus depuis que la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, déclarant que jeter des pierres était un acte de terrorisme, poussait le passage d’une loi tenant les lanceurs de pierre passibles de jusqu’à 20 ans de prison. La loi n’indiquait pas si elle ne s’appliquait qu’aux seuls Palestiniens. Il n’y avait pas besoin de le préciser.

Et, seulement une semaine plus tard, dans une colonie de Cisjordanie, des Juifs ont jeté des pierres, des meubles et des bouteilles d’urine sur des soldats et des policiers. En guise de réponse, Benjamin Netanyahou les a immédiatement récompensés avec la promesse de construire des centaines de logements dans les colonies.

C’est ce qu’est devenue l’application de la loi : 2 versions d’un même bouquin. Une pour Nous et une que l’on jette aux Autres. Apartheid.

Nous avons ce que nous avons créé. Nous sommes ce que nous faisons, y compris les mille différents dommages que nous faisons à des millions d’autres. Nous sommes ce que nous constatons en aveugles. Notre Israël est ce qu’il est devenu: l’apartheid.

Il y eut un temps où je faisais une distinction entre les actes de Benjamin Netanyahou et ce pays que j’ai tant aimé, si longtemps. C’est fini. Chaque jour nous découvrons de nouvelles atrocités.

J’étais quelqu’un qui voulait croire qu’il y avait des limites imposées par la démocratie – ou au moins des contraintes réalistes – auxquelles le Premier ministre voulait bien se plier. Même qu’il avait à accepter quelques compromis face aux fiers tenants de l’apartheid afin de conserver son pouvoir.

C’est fini. Plus depuis Danny Danon 3. Plus depuis que le choix du Premier ministre pour nous représenter, nous Israël, aux Nations unies, s’est porté sur un homme qui avait proposé une loi pour annexer la Cisjordanie. De créer des bantoustans où les Palestiniens vivraient sans Etat et privés des droits humains les plus basiques. Celui qui va nous représenter, nous tous, à l’ONU, l’homme qui va porter notre parole au Tiers monde est le même qui avait qualifié de « plaie nationale » 4 les demandeurs d’asile africains.

L’homme qui va personnifier Israël à l’ONU est le même politicien qui avait proposé une législation destinée à écraser les ONG qui secourent les Palestiniens et s’opposent aux institutions de l’occupation. En même temps sa loi donnait le feu vert au gouvernement pour continuer à financer des ONG d’extrême-droite soupçonnées de transférer cet argent pour soutenir la violence des Juifs partisans des colonies.

Que veut dire apartheid, façon israélienne ?

Apartheid c’est un clergé fondamentaliste, suprématiste, fer de lance du renforcement de la ségrégation, des inégalités, et de l’assujettissement.

Apartheid c’est Avi Dichter Avraham 5, législateur du Likoud et ancien chef du Shin Bet, qui décide un dimanche 6 l’organisation de routes et d’autoroutes séparées pour les Juifs et les Palestiniens en Cisjordanie.

Apartheid c’est des centaines d’attaques de colons contre la propriété, les moyens de subsistance et la vie des Palestiniens qui se terminent sans condamnation, inculpation ni même de suspects. Apartheid c’est un nombre incalculable de Palestiniens emprisonnés ou abattus sans jugement, tirés dans le dos alors qu’ils s’enfuyaient et sans aucune raison.

Apartheid c’est des fonctionnaires israéliens utilisant armée, police, tribunaux militaires et détention administrative draconienne, en principe pour faire tomber les terroristes mais surtout pour fermer aux Palestiniens toute voie de contestation non-violente.

A la fin du mois dernier, malgré la condamnation sans ambiguïté du directeur de l’Association médicale israélienne 7 et de plusieurs groupes de défense des droits humains opposés à la torture, Israël a voté la loi intitulée « Loi pour prévenir les dommages causés par les grèves de la faim ». Celle-ci autorise le gavage de force des prisonniers au prétexte que leur vie serait en danger. Gilad Erdan, le Ministre de la Sécurité intérieure 8 de Benjamin Netanyahou qui a « poussé » pour fait passer cette loi, a qualifié les grèves de la faim des Palestiniens enfermés depuis des mois sans inculpation ni procès de « nouveau type d’attaque-suicide qui va menacer l’Etat d’Israël ».

Il n’y a que dans un système aussi tordu que l’apartheid qu’un gouvernement a besoin d’étiqueter et de traiter la non-violence comme du terrorisme.

Il y a quelques années, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, des Juifs qui aimaient leur pays mais détestaient ses lois, ont participé avec courage à la lutte non-violente qui a renversé un régime de racisme et de déni des droits humains.

Puisse-t-on en Israël suivre leur exemple.

par Bradley Burton, paru dans Haaretz, le 18 août 2015.

Traduction Michel O.


Note-s
  1. En anglais à: http://www.commongroundnews.org/article.php?id=3047&lan=en&sp=1 . Le titre est un détournement d’un passage de la Bible (Exode 8:1: L’Eternel dit à Moïse: Va vers Pharaon, et tu lui diras (…) laisse aller mon peuple…).[]
  2. Titre original  » It’s Time to Admit It. Israeli Policy Is What It Is: Apartheid », tribune de Bradley Burston, Haaretz du 17 août 2015, http://www.haaretz.com/blogs/a-special-place-in-hell/.premium-1.671538?date=1439896151895 . Traduction, introduction et notes, Michel, UJFP[]
  3. Danny Danon est le nouvel ambassadeur d’Israël à l’ONU (14 août 2015). Membre du Likoud, il est considéré comme un « faucon » dans son propre parti ! Il a notamment déclaré qu’il n’y avait aucune place au Likoud pour quiconque est en faveur d’un accord de paix avec les Palestiniens. Il est contre la solution à 2 Etats (bien qu’il prétende très diplomatiquement le contraire aujourd’hui).[]
  4. Elégante allusion aux 10 plaies d’Egypte.[]
  5. Moshe Dichter, Avi pour les intimes était le directeur de la Shabak (le Shin Bet). Il a été ministre de la Sécurité intérieure de 2006 à 2009 et de la Défense intérieure de 2012 à 2013.[]
  6. Dimanche est le 1er jour de la semaine de travail en Israël (qui se termine par le shabbat).[]
  7. Le Dr Leonid Eidelman, voir  » Gavage forcé, le médecin qui a osé dire non »[]
  8. Gilad Erlan est précisément ministre de la Sécurité intérieure, ministre des Affaires stratégiques (dont le dossier nucléaire iranien) et de la diplomatie publique (notamment la lutte contre le boycott)[]