IEP Strasbourg : un partenariat contre l’éthique, validé par procuration

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Le 8 avril 2025, le Conseil d’administration de l’IEP de Strasbourg a voté le maintien de son partenariat avec l’Université Reichman en Israël, malgré une opposition massive des étudiants et enseignants, et en contradiction avec les recommandations d’un comité d’examen interne qui avait unanimement conclu à la nécessité de rompre ce partenariat pour des raisons éthiques et légales. Ce vote, survenu le jour même où le secrétaire général de l’ONU qualifiait Gaza de « champ de mort », s’est appuyé principalement sur les procurations de membres extérieurs absents du Conseil. Le ministre de l’Enseignement supérieur avait fait pression en amont, menaçant l’établissement de recours judiciaires si le partenariat était rompu. L’AURDIP dénonce une décision politique prise au mépris du droit international et de la volonté de la communauté universitaire, et salue le courage des étudiants et personnels de l’IEP qui défendent le droit international.

Le 8 avril 2025, le Conseil d’Administration de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg a voté la poursuite de son partenariat avec l’Université Reichman de Herzliya, en Israël. Ce vote, ironiquement, s’est déroulé le jour même où Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, décrivait Gaza comme un champ de mort (a killing field) et accusait Israël, par son blocage de toute aide aux frontières de Gaza, de manquer à ses obligations élémentaires à l’égard de la population civile (il se faisait d’ailleurs ainsi le simple écho des déclarations de la veille du ministre Bezalel Smotrich, déclarant que « pas même un grain de blé » n’entrerait dorénavant dans Gaza).

Ce vote est une péripétie de plus dans une année de conflit qui a mis aux prises étudiants, professeurs et personnels de l’IEP avec la direction de leur établissement. De très nombreux étudiants demandent la fin du partenariat et le respect du droit international. La direction de l’IEP est restée sourde à leurs revendications, alors même que l’implication de l’Université Reichman dans la politique génocidaire israélienne a été documentée par un travail d’enquête précis, d’une grande probité scientifique, réalisé par les étudiants – qui stigmatisent aussi les positions « dénuées de toute perspective humaniste, pacifiste et critique au regard de la guerre » de l’institution israélienne.

Le conflit est ainsi devenu emblématique des deux attitudes qui s’affrontent aujourd’hui en Occident. D’un côté, la volonté de faire pression sur Israël en recourant à des moyens pacifiques pour faire cesser les massacres à Gaza et en Cisjordanie ; de l’autre, un soutien aveugle aux institutions israéliennes qu’aucune destruction, aucun éducide, aucun déplacement forcé de population, aucun massacre, aucun nettoyage ethnique, aucun génocide, aussi documentés soient-ils, ne doit venir remettre en cause – soutien qui n’exclut pas, et même requiert de temps à autre, une larme de crocodile ostentatoirement versée sur la situation « dramatique », pour citer le Président Emmanuel Macron, des Palestiniens.

La direction de l’IEP affirmera sans doute que la démocratie a tranché et que le vote impose la poursuite de la collaboration avec l’Université Reichman. Elle aura peut-être même le cynisme de sermonner les étudiants en les accusant d’un déni de démocratie. Mais les choses sont loin d’être aussi simples. Il y a un mois, en effet, pour sortir du blocage, l’IEP avait mis en place un « comité d’examen » de dix membres élus parmi les enseignants et les étudiants, qui avait pour mission de se prononcer sur le partenariat problématique. Ce comité a réalisé une série de consultations au niveau national et international, travaillé en interne et produit un rapport sérieux et fouillé, dont la conclusion confirmait à l’unanimité l’obligation, tant légale qu’éthique, de rompre le partenariat avec l’Université Reichman.

C’est en se fondant sur ce rapport que le Conseil d’administration du 8 avril devait se prononcer. Pour dissiper toute ambiguïté, le ministre de l’Enseignement supérieur, M. Philippe Baptiste, avait, la veille encore, fait peser des menaces sur l’établissement, se déclarant décidé à porter l’affaire devant le tribunal administratif au cas où l’issue du vote ne serait pas conforme à ses attentes. Triste cas d’école où un vote d’organe dit « collégial » permet à des membres extérieurs – soigneusement et préalablement triés, on s’en doute – de neutraliser la volonté exprimée par la communauté réelle de l’établissement. En effet le résultat du vote (14 pour, 16 contre, 3 abstentions) n’a été obtenu que grâce aux procurations de 10 administrateurs extérieurs absents, envoyées pour appuyer la direction de l’établissement et écraser la revendication émanant de la collégialité réelle de l’établissement.

Le ministre, pour justifier par avance ce qu’il savait être un coup de force, avait sorti de son chapeau la justification suivante : « un établissement ne peut pas décider d’arrêter un partenariat pour des raisons politiques ». Comme aux États-Unis, le procédé, cousu de fil blanc, consiste à accuser les étudiants d’être motivés par des raisons « politiques » alors qu’ils ne demandent que le respect des recommandations du droit international (dont le ministre ne parle évidemment pas). Faut-il rappeler que dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour Internationale de Justice a établi l’existence d’un « risque réel et imminent » que des actes de génocide soient commis à Gaza (Afrique du Sud c. Israël, §74), tout en établissant la plausibilité des violations de la Convention pour la prévention du génocide ?  Et que suite à l’avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice (CIJ) le 19 juillet 2024 – qui a jugé la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés comme illégale et a exigé qu’Israël mette fin à cette présence dans un délai de 12 mois (point 2)  – le rapport des Nations Unies du 18 septembre 2024 (point 6) insiste sur la nécessité de donner pleinement effet à cet avis ?  En l’occurrence, donc, c’est le ministre de l’Enseignement supérieur qui paraît mû ici par des raisons très politiques : celles qui ont fait du soutien inconditionnel à Israël un principe de la politique française depuis quelques années.

Plus triste encore, en accusant les étudiants d’intolérance, d’outrance, de surenchère, voire de violence, l’appareil d’État profère des accusations auxquelles c’est lui, bien plus que les étudiants, qui prête le flanc. À un double titre : en tant qu’il défend la politique israélienne, dont le suprémacisme belliqueux n’est plus à démontrer. Mais, aussi, en tant qu’il en importe certains modes opératoires en France : restriction des libertés d’expression et de manifestation, criminalisation de certaines positions politiques (antisionisme grossièrement assimilé à l’antisémitisme), acquiescement à un apartheid rampant – apartheid, oui, dès lors qu’il est évident que les étudiants au nom à consonance arabe ne pourront pas, comme leurs camarades aux noms bien de chez nous, se rendre en Israël/Palestine sans risquer d’être tracassés, refoulés, voire incarcérés, à l’aéroport.

À la différence des États-Unis, la France n’est pas une ploutocratie. Il est d’autant plus triste de constater qu’à défaut d’un board of trustees faisant la pluie et le beau temps dans les nominations et les révocations universitaires, c’est le ministère de l’enseignement supérieur en personne qui, en usant et abusant des moyens à sa disposition, se charge de combattre toute tentative effective – et, répétons-le, pacifique – pour faire pression sur les institutions israéliennes. L’AURDIP ne peut que déplorer une telle évolution autoritaire et adresser tout son soutien aux étudiants, enseignants et personnels de l’IEP Strasbourg qui défendent dans l’adversité, avec un grand courage, les valeurs universelles de l’humanité. Ils sont l’honneur de ce pays.

Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP)

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