C’est bien compris que cette grande douleur, puis cette furie vengeresse, se sont rapidement transformées en une « guerre de civilisation », le plus terrible, le plus sanglant, le plus écœurant oxymore du monde ressurgi des tréfonds du XXe siècle. Un massacre des innocents, même si vous martelez que personne n’est innocent.
Vous n’avez rien compris, ou vous mentez, vous qui nous parlez « d’importation du conflit israélo-palestinien ».
Vous inventez des concepts, vous prétendez réfléchir mais vous réfléchissez avec vos pieds et encore, ce sont des pieds qui ne marchent pas, sauf s’ils portent des chaussures militaires.
Cette outrance meurtrière ivre de rage est menée en notre nom à nous, « Occident ».
A nous, les « non-musulmans », les « non-arabes ».
Si vous croyez que nous ne le savons pas. Si vous croyez que nous ne voyons pas quel genre de fraternité on a entendu recréer en France depuis dix ans.
Si vous pensez que nous sommes toutes et tous devenus idiots au point de ne pas voir ce qui se cache aussi derrière ces nouvelles croisades. Derrière la haine de « l’arabe », bien tenace et réelle, la haine de ce que « la gauche » a pu un jour porter comme horizons, comme espoirs d’émancipation, de luttes contre le capitalisme, comme rêves d’égalité. La crainte qu’elle puisse se renouveler et reprendre de la force. Il n’est jusqu’à nos sœurs assassinées et violées dont vous utilisiez les dépouilles pour asseoir sans vergogne cette haine.
Mais est-ce que nous vous avons demandé cela, nous les pauvres imbéciles d’ici ?
Est-ce que vous croyez que nous avons toutes et tous eu assez peur de tout, partout, et surtout des « arabes », qu’on a appelé ensuite « musulmans », puis « islamistes », pour que vous receviez notre bénédiction pour baigner dans le sang et la poussière cette Dresde orientale ?
Est-ce que vous croyez que nous avons assez perdu pied pour rire devant les photos de vos soldats singeant des habitants morts ou enfuis, dans leur propre maison ?
Est-ce que vous croyez que nous avons oublié vos fausses fioles d’armes chimiques brandies à l’ONU, vos accords avec les Talibans, pour ne pas douter une seconde de la justesse de votre « cause »?
Est-ce que vous croyez que nous sommes si lâches et si intoxiqués par votre propagande que vous avez notre bénédiction pour la pluie de bombes et de feu qui déferle sur le Liban ?
Est-ce que vous croyez que nos cerveaux sont tellement anéantis que nous ne voyons pas les cadavres, que nous ne vous en tiendrons jamais rigueur, de tous ces morts, ces brûlés, ces estropiés, ces effrayés à vie, s’ils vivent?
Et tout ça « en notre nom », même si ça n’est pas dit explicitement ? Ça n’est pas dit, mais c’est bien compris, sachez-le.
C’est bien compris que cette grande douleur, puis cette furie vengeresse, se sont rapidement transformées en une « guerre de civilisation », le plus terrible, le plus sanglant, le plus écœurant oxymore du monde ressurgi des tréfonds du XXe siècle. Un massacre des innocents, même si vous martelez que personne n’est innocent. C’est bien compris – bien noté – bien entendu.
Gardez la vous, votre folie meurtrière, votre dévastation de toute chose. Gardez le, votre mépris de la vie, des oiseaux, des enfants, des roses et des oliviers. Gardez la, votre haine et étouffez-vous avec surtout. C’est parce-que vous commettez toutes ces horreurs en notre nom que nous sommes particulièrement révulsés d’horreur et de dégoût. Poutine, à qui vous ressemblez comme deux gouttes d’eau, avait déjà fait cela en Tchétchénie. Aujourd’hui qu’il s’en prend à l’Ukraine porte avancée de l’Europe, au nom de la seule Russie, tout le monde est révolté mais à l’époque de la Tchétchénie où il luttait au nom de « nos civilisations », tout était pardonné.
Aujourd’hui, Nasrallah est mort. Sinouar est mort. Est-ce que cela vous arrête? Non pas du tout. Au contraire.
Alors ce n’est pas une « importation du conflit « . C’est une exportation du dégoût que cet enfer sur terre nous fait vivre chaque jour. Une régurgitation d’un conflit qui est tout sauf « local », sauf « national ».
Vous nous appelez « wokistes », « islamo-gauchistes », « idiots utiles de l’islamisme » et j’en passe.
Je vous crache dessus.
Nous nous appelons humains. Simplement humains.
La marée de plomb, de phosphore, de feu, de coups, de drones….que vous activez sans trêve, hélas, nous l’avions prévue, nous qui observons depuis des années maintenant le dépérissement de votre morale, l’appauvrissement de votre démocratie, le pourrissement de votre culture. Nous savions que cette fois-ci ce serait la grande, la terrible, l’interminable boucherie à venir. Cette fois-ci, ce serait « la bonne ». Tout était aligné : crimes d’une noirceur daeshienne, extrême-droite partout ou presque, lavage de cerveau général sur la colonisation, haine universelle des « arabes » savamment entretenue depuis vingt ans partout dans le monde, position économique centrale en Europe, dilemmes philosophiques résolus à coups de marteau, sans que plus personne ou presque moufte.
« Tout est près, les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs, on ne dormira jamais ». André Breton, Manifeste du surréalisme
C’est cela, votre folie si prévisible, qui pour beaucoup nous a empêchés, avec une grande souffrance, avec des déchirements intimes si violents, de pleurer vos morts, qui étaient aussi les nôtres. Nous étions sidérés d’effroi par la prévision du massacre à venir. C’est cela, ce carnage à venir tellement évident, qui nous a retenus malgré nous, de compatir totalement pour ces pauvres corps, pour ces otages. Cela qui nous a rendus prudents dans l’expression de notre désarroi et de notre condamnation morale. Qui nous a privés pour certains de la meilleure part de nous-même. Nous savions. Nous savions que cette fois, vous le feriez, réduire la Palestine et le Liban et leurs populations et leurs habitations et leurs mondes, en poudre. Au mépris, même, des vie des dits otages. En piétinant le droit international humanitaire. Que vous pulvériseriez cette partie du monde, et ce sans que nos gouvernements trouvent rien à y redire, mais même, vous y encouragent . Vous fournissent les armes. L’argent. Le soutien. Les excuses.
C’est avec une honte et un désespoir immense que je me lève désormais chaque matin, que je me couche chaque soir. A cause de vous. A cause de vous que chaque jour l’envie de mourir à mon tour me prend les tripes. Pour la première fois de ma vie je comprends Stefan Zweig. C’est le désespoir. Mais ce qui me retient de me tuer c’est de vouloir vous insulter.
Et d’essayer.
Essayer de sauver l’humanité. De sauver son âme (si on en a une). Et hurler chaque jour « Non, pas en notre nom ».
Elodie Tuaillon-Hibon