Par René Naba – COMITE VALMY
Deux personnalités éminentes du combat pro palestinien, qui
représentaient l’honneur du judaïsme marocain, l’écrivain Edmond
Amran El Maleh, et l’ingénieur Abraham Sarfati viennent de décéder en
moins d’une semaine, à trois jours d’intervalle, endeuillant le Maroc, le
judaïsme marocain et le combat palestinien.
-Edmond Amran El Maleh, militant de la première heure de la cause de
l’Indépendance du Maroc, est décédé lundi 15 novembre à l’hôpital
militaire Mohammed V de Rabat à l’âge de 93 ans. Né en 1917 à Safi
(Maroc), au sein d’une famille juive originaire d’Essaouira, Edmond Amran El
Maleh a longtemps été le responsable du Parti Communiste Marocain, du temps de la clandestinité, à l’époque du combat pour l’indépendance du Royaume du protectorat français.
A l’indépendance du Maroc, il cessera toute activité politique, quittant le Maroc en 1965 pour s’exiler, volontairement, en France, l’année où s’impose la dictature d’ Hassan II. A Paris où il demeurera pendant près de trente ans, Edmond Amran El Maleh, enseignera la philosophie, parallèlement à des activités journalistiques À partir de 1980, à 63 ans, il se met à écrire une série de romans et un recueil de nouvelles. Ses écrits sont tous imprégnés d’une mémoire juive et arabe qui célèbre la symbiose culturelle d’un Maroc arabe, berbère et juif.
Il a reçu, en 1996, le Grand Prix du Maroc pour l’ensemble de son œuvre.
« Écrivant en français, je savais que je n’écrivais pas en français. Il y avait
cette singulière greffe d’une langue sur l’autre, ma langue maternelle l’arabe, ce feu intérieur », soutiendra Edmond Amran El Maleh dans la revue « Le Magazine littéraire » en mars 1999.
Juif marocain, défenseur résolu de la cause palestinienne, à l’instar du mathématicien Sion Assidon et de l’ingénieur Abraham Sarfati, qui connaîtront la prison, Edmond Amran El Maleh appartient à cette catégorie de personnes qui font honneur au judaïsme marocain en ce qu’ils n’ont jamais renié leurs convictions, en dépit des contraintes et des tentatives de séduction.
Sa notoriété intellectuelle, grande, ne lui vaudra toutefois pas les feux de la rampe, en raison précisément de ses positions pro palestiniennes. Un hommage sera rendu mardi à ce grand intellectuel et homme de gauche au cimetière juif de Rabat, avant d’être inhumé le même jour, selon ses voeux, à Essaouira (sud-ouest).*
-Abraham Sarfati, Le plus célèbre des opposants marocains au régime du roi Hassan II, est décédé, lui, le 18 novembre 2010, dans une clinique de Marrakech.
Né à Casablanca, au Maroc, en 1926, dans une famille juive de la petite
bourgeoisie de Tanger, il sort diplômé de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, en 1949.
Son parcours militant commence très tôt. Il adhère en février 1944 aux
Jeunesses communistes marocaines, puis rejoint à son arrivée en France en
1945 le Parti communiste français. À son retour au Maroc en 1949, il adhère au Parti communiste marocain. Son combat anticolonialiste lui vaut d’être arrêté et emprisonné par les autorités françaises en 1950, puis assigné à résidence en France jusqu’en 1956. Il exerce des responsabilités importantes au lendemain de l’indépendance du Maroc. En tant que chargé de mission auprès du ministre de l’Économie (1957-1960), il est l’un des promoteurs de la nouvelle politique minière de Maroc indépendant. De 1960 à 1968, il est directeur de la
Recherche-développement à l’Office chérifien des phosphates. Abraham Sarfaty est révoqué de son poste pour s’être montré solidaire d’une grève de mineurs.
De 1968 à 1972, il enseigne à l’École d’ingénieurs de Mohammedia.
Parallèlement, il anime la revue Souffles dirigée par Abdelatif Laâbi.
Il payera un lourd tribu à son combat pour la démocratie au Maroc : 15 mois de clandestinité, 17 ans de prison et 8 ans de bannissement.
Juif anti-sioniste, Abraham Sarfati reconnaît l’État d’Israël, mais exige l’abolition de la loi dite « du retour » et milite pour la création d’un État palestinien. En 1967, il ne se reconnaît plus dans le nationalisme israélien et s’indigne du sort fait aux Palestiniens.
En 1970, il rompt avec un Parti communiste trop doctrinaire à ses yeux et
s’engage plus à gauche en participant à la fondation de l’organisation d’extrême gauche Ila Al Amam (En avant), en 1970. En janvier 1972, il est arrêté une première fois et sauvagement torturé. Des manifestations étudiantes en sa faveur pousse les autorités à le relâcher. À nouveau menacé, il entre en clandestinité en mars 1972. Une enseignante française, Christine Daure, l’aide à se cacher.
En 1974, il est arrêté après plusieurs mois de clandestinité. En octobre 1977,
lors du grand procès de Casablanca, il est l’un des cinq condamnés à
perpétuité. Il est accusé officiellement de « complot contre la sûreté de l’État », mais la lourdeur de la peine provient de son parti pris contre l’annexion du Sahara occidental, même si ce reproche ne figure pas dans l’acte d’accusation.
Il passe 17 ans à la prison de Kenitra où il obtient, grâce à l’intervention de
Danièle Mitterrand, d’épouser Christine Daure qui l’a toujours soutenu.
La pression internationale est telle, en sa faveur, qu’il est libéré en septembre 1991, mais aussitôt banni du Maroc. Il trouvera refuge en France avec son épouse, Christine Daure-Serfaty. De 1992 à 1995, il enseigne à l’Université de Paris-VIII (département de Sciences Politiques) sur le thème « Identités et démocratie dans le monde arabe ». Il est autorisé à renter au Maroc, en septembre 2000, et son passeport marocain lui est restitué. Il s’installe à Mohammedia avec son épouse, dans une villa mise à sa disposition et perçoit une retraite. En septembre 2000, il est nommé conseiller auprès de l’Office national marocain de recherche et d’exploitation pétrolière (Onarep). Abraham Sarfaty n’en transige pas moins sur les principes, face aux atteintes à la liberté de la presse, il demande en décembre 2000, la démission du Premier ministre Abderrahmane Youssouffi.