Hold-up télévisuel à Ramallah

Lettre du Proche-Orient

Le raid s’est déroulé mercredi 29 février, à 2 heures du matin, en toute discrétion et impunité. Les Jeep et véhicules blindés israéliens, avec à leur bord une quarantaine de soldats, techniciens du ministère des télécommunications et agents du Shin Beth (le service de sécurité intérieure) ont foncé dans les rues désertes de la capitale du non-Etat palestinien. La ville dormait, ils n’ont pas rencontré âme qui vive et, de toute façon, les Ramallahwis s’écartent au passage d’une troupe de soldats israéliens.

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Cette prudence est d’abord celle des forces de sécurité palestiniennes. Cela ne fait pas plaisir au général Adnan Damiri, leur porte-parole, de l’admettre, mais c’est un principe de réalité : « Mes hommes ont pour consigne de s’éloigner, nous confirme-t-il. Nous ne voulons, ni ne pouvons, entrer en confrontation avec l’armée israélienne. Alors, nous laissons faire. » Les soldats israéliens se sont arrêtés devant l’immeuble de Watan-TV, dans le quartier de Qaddoura, l’ont cerné, puis ont mené tambour battant leur razzia.

En un peu plus d’une heure, les deux émetteurs, 25 ordinateurs, les archives, des vidéos, les contrats, les factures, une foule de dossiers, ont été confisqués. Peu de mots ont été échangés : les soldats avaient « des ordres », notamment de se saisir des émetteurs. Puis, le convoi s’est ébranlé, pour se rendre à peu de distance, à Al-Bireh, au siège de Al-Quds Educational TV. Il était 3 h 30 du matin. Le même scénario s’est déroulé, mais le butin a été plus maigre : l’émetteur de la station et quelques équipements.

Le lendemain, les réactions des Palestiniens ont été empreintes de stupeur, avant de laisser place au fatalisme : l’armée israélienne est chez elle à Ramallah. Les Etats-Unis, l’Union européenne, la France, ont protesté, enfin plus exactement « déploré ». Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dénoncé « un assaut flagrant contre la liberté d’expression » et le premier ministre, Salam Fayyad, a estimé que le but d’Israël est « d’affaiblir ce qui reste de la stature de l’Autorité nationale palestinienne ».

Ramallah est située en zone « A » de la Cisjordanie, laquelle, aux termes des accords de paix d’Oslo II (1995), est sous contrôle exclusif de l’Autorité palestinienne. Rien à voir, en principe, avec la zone « B », où Israël conserve la responsabilité de la sécurité, et encore moins avec la zone « C », entièrement sous l’emprise de la puissance occupante. Le siège de l’Autorité palestinienne, c’est la Mouqata’a, au centre de cette ville bourgeonnante de 200 000 habitants (durant le jour), où Mahmoud Abbas a sa résidence officielle.

Mais le roi est nu : le raid de l’armée israélienne a rappelé que l’Etat palestinien, dont M. Fayyad s’efforce avec ténacité de poser les fondations, et dont M. Abbas demande qu’il soit reconnu par les Nations unies, est un Etat croupion, dont la souveraineté est virtuelle, tout comme l’autorité de son président. Huit jours après la descente des soldats israéliens, les directeurs de Watan-TV et Al-Quds TV, Mouammar Orabi et Haroun Abuarrah, ne se perdent pas en conjectures sur les raisons de cette opération coup- de-poing : « Il s’agissait de nous réduire au silence », dit le premier. Leur but était double, précise le second : « Ils veulent récupérer nos fréquences, pour des raisons politiques tout autant que commerciales. Ils voulaient aussi rappeler aux médias palestiniens un message simple : « Nous sommes là, chez vous ; quand nous voulons, nous pouvons tout contrôler. » «  L’explication des autorités israéliennes est autre : les soldats sont intervenus pour fermer « deux télévisions pirates à Ramallah », Watan-TV et Al-Quds TV, qui « interrompent significativement d’autres chaînes légales et perturbent les communications aériennes » de l’aéroport Ben-Gourion, à Tel-Aviv.

Suleiman Zuhairi, ministre adjoint des télécommunications palestiniennes, s’en étranglerait presque de rage : il montre, documents à l’appui, que les deux chaînes émettent sur les mêmes hautes fréquences UHF depuis quinze ans et sont enregistrées comme telles depuis 2004 à l’Union internationale des télécommunications (UIT). Il souligne que Watan TV et Al-Quds TV diffusent respectivement sur 615,2 MHz (mégahertz) et 607,2 MHz, alors que la bande de fréquence des aéroports et des avions est comprise entre 108 et 137 MHz.

« Techniquement, martèle-t-il, les interférences sont impossibles. La vérité est que les Israéliens veulent faire taire toutes les voix qui luttent contre l’occupation et la colonisation. Ils veulent récupérer les fréquences des Palestiniens sur la bande UHF et, par-dessus tout, ils veulent tuer la solution de deux Etats. » Suleiman Zuhairi rappelle que les accords d’Oslo ont créé une commission conjointe des télécommunications (JTC), et que celle-ci n’a été saisie d’aucune plainte israélienne. Il est vrai que ladite commission est une feuille de vigne : « Depuis dix ans, aucune fréquence ne nous a été accordée, et nous n’avons pas le droit d’importer des émetteurs », souligne-t-il.

Dans leur malheur, Mouammar Orabi et Haroun Abuarrah ont presque de la chance : en 2002, au début de la deuxième Intifada, les soldats israéliens avaient occupé les locaux de Watan-TV et Al-Quds TV pendant 40 et 19 jours, et tout avait été détruit. S’agit-il du signe avant-coureur d’un nouveau tour de vis sécuritaire en Cisjordanie ? Les deux hommes ont une certitude : « Ils vont revenir. » Ce n’est pas le général Damiri qui les démentira : « L’armée israélienne fait des incursions deux ou trois fois par semaine à Ramallah ; et la nuit, je ne le sais pas toujours… »

lzecchini@lemonde.fr

Laurent Zecchini

Le 10.03.12

source : lemonde.fr