Gilles Perrault, « un homme à part ». Ce qualificatif d’Alain Gresh, qui l’a bien connu, illustre bien la dimension des engagements militants de Gilles Perrault, décédé le 3 août 2023 à l’âge de 92 ans.
Gilles Perrault a été en effet à la fois journaliste, historien, avocat, militant anticolonialiste et pour les droits humains en général, romancier talentueux, scénariste.
L’UJFP, qui avait animé avec lui à Cherbourg une conférence-Débat sur le thème : « Palestine : quelles conditions pour une paix juste et durable ? » et signé avec lui plusieurs déclarations de solidarité avec le peuple palestinien se souviendra de la multiplicité de ses engagements.
- Contre la peine de mort avec son livre « Le pull-over rouge »
- Pour l’abolition de la dette du Tiers Monde
- Contre le Front National (association « Ras le Front »)
- Pour la mémoire du militant anticolonialiste Henri Curiel, avec la publication de « Un homme à part » – et ses relations étroites avec Alain Gresh
- Pour la publication de « L’orchestre rouge » expliquant l’activité clandestine extraordinaire de Léopold Trepper lors de la seconde guerre mondiale
- Pour le retentissement de son livre « Notre ami le roi » condamnant le régime de torture du roi du Maroc d’Hassan 2
- Et de nombreux autres.
L’UJFP retient particulièrement des engagements de Gilles Perrault que la diversité des approches et des talents renforce l’efficacité du militantisme pour les causes justes.
La Coordination nationale de l’UJFP, le 6 août 2023
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Ci-dessous, l’hommage d’Alain Gresh
Gilles Perrault est mort dans la nuit du 2 au 3 août. Installé depuis des décennies dans le village de Sainte-Marie du Mont, proche des plages du débarquement de Normandie, ce qui lui permettait de satisfaire sa passion pour l’événement, il s’était fait rare à Paris. La dernière fois que nous nous sommes croisés c’était lors de l’inauguration de la plaque en l’honneur d’Henri Curiel, Égyptien juif, militant internationaliste assassiné à Paris le 4 mai 1978. C’est à l’occasion de son enquête pour préparer le livre consacré à Curiel, Un Homme à part, que nous nous étions rencontrés pour la première fois, en 1981 je crois. Il m’avait alors demandé l’autorisation de mentionner que j’étais le fils de Curiel. L’ouvrage connut un immense succès qui contribua à faire connaître la figure de Curiel en France et bien au-delà, et à perpétuer sa mémoire et surtout ses combats.
Synchronicité étrange, la veille du décès de Gilles, je m’étais replongé dans ce livre, toujours étonné de mesurer comment ce Français complètement étranger à l’Égypte avait pu raconter de manière si vivante l’histoire de ce pays dans les années 1940 et 1950, bien mieux que nombre de spécialistes. Gilles m’avait appelé il y a quelques semaines pour m’annoncer, fou de joie, qu’un producteur, avait acheté les droits d’Un Homme à part. Nous en avons discuté et il suggéra même que je puisse jouer le rôle de Curiel, il avait simplement oublié que j’ai 75 ans – et, de toutes façons, j’aurais fait un piètre acteur.
A l’heure où il est de bon ton de discréditer tous ces militants qui dans la seconde moitié du XXe siècle ont combattu pour des « lendemains qui chantent », il ne cherchait pas à cacher ses sympathies, lui qui avait été trop jeune pour s’engager dans la Résistance, pour ces luttes d’émancipation qui ont marqué son époque. L’œuvre de Gilles Perrault est immense, comme ses succès. De L’Orchestre rouge à ses livres sur le débarquement du 6 juin 1944, en passant par sa saga sur les services secrets de Louis XV, Le Secret du roi, et ses nombreux romans dont certains furent adaptés à l’écran. Sans oublier Notre ami le roi, un bombe qui ébranla le roi Hassan II du Maroc et ses relations avec la France et qu’il évoqua longuement dans un entretien pour Orient XXI.
Engagé, Gilles Perrault le fut, au meilleur sens du terme. Il fut l’un des fondateurs de Ras l’Front dans les années 1990, une première tentative d’organiser la résistance au Front National. Mais l’expérience tourna court. Didier Daenickx, dans un pitoyable pamphlet publié en 1997, dont le style sinon le contenu rappelle celui de Georges Suffert dans Le Point sur « le patron des réseaux d’aide aux terroristes » et qui aboutit à l’assassinat de Curiel en 1978, accusa Perrault, rien de moins que d’être un un négationniste, un « être à double visage dont l’ombre noire obscurcit cette fin de siècle ». Rien de moins !
Gilles mit fin alors à ses activités militantes – il écrira joliment qu’il s’était inscrit à « l ’ANPE de la militance » -, ce qui n’était que partiellement vrai car il continua à se mobiliser pour des causes diverses, des prisonniers basques au droit de mourir dans la dignité. Il fut un soutien fidèle aussi d’Orient XXI.
Avec Gilles Perrault, je perds un ami très cher et la France un insatiable enquêteur, une voix rare et courageuse, qui continuera d’être portée par tous ses écrits qu’on redécouvre chaque fois avec un plaisir d’autant plus grand que son écriture épouse la réalité avec grâce et subtilité. Toutes mes condoléances à Thérèse son épouse qui fut un soutien précieux dans ces dernières années difficiles où il faut faire face au vieillissement inéluctable, à ses quatre fils ; et une pensée pour leur fille Géraldine prématurément décédée.