Gaza : malgré les horreurs, la société est toujours vivante

Nos médias ne parlent de Gaza que lorsqu’un hôpital, une école, un refuge a été bombardé, Tsahal n’hésitant pas à sacrifier des dizaines d’innocents pour un « terroriste » soupçonné d’y être présent… Cela donne des images de femmes en pleurs, d’enfants blessés, d’hommes fouillant des décombres à mains nues ; la bande-son étant assurée par les sirènes d’ambulance…

Plus rarement ceux-ci nous montrent des scènes de gens errant, repoussés sans cesse par « l’armée la plus morale du monde », de mers de tentes improvisées où s’entassent familles et petits orphelins, des femmes et des hommes agglutinés pour une distribution de nourriture ou d’un peu d’eau potable, d’enfants dénutris respirant difficilement dans les bras d’une mère désespérée…

Tous ces êtres que Yoav Gallant (ministre israélien de la Défense) ne cherchant même pas à dissimuler son racisme avait qualifié d’ « animaux humains » en les condamnant à un siège barbare. « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé », avait-il alors déclaré. (Rappelons que le 20 mai dernier, le procureur de la Cour pénale internationale a requis un mandat d’arrêt à son encontre pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité).

On pourrait croire que dans cet océan de mort, de maladie et de souffrance, ce sont la survie et le désespoir qui règnent en maitre. Pourtant la résilience des Palestiniens de Gaza se manifeste chaque jour sous différentes formes. Des gens s’organisent comme à al-Mawasi pour coordonner la distribution de l’eau, comme Abou Amir et ses équipes  pour apporter des tentes, organiser des lieux d’éducation ou de soutien psychologique, comme Marsel qui dirige une école solidaire… et comme tant d’autres…

Justement nous allons parler de Muhammad Naïm, un jeune homme qui s’est retrouvé avec sa famille à la rue après qu’Israël ait détruit la maison où il vivait avec ses parents, son frère et ses 4 sœurs.

Ce qu’il reste de la maison de la famille Naïm

Muhammad a 21 ans. Il étudiait le droit au département d’anglais de l’Université Al-Azhar (aussi bombardée) au nord de Gaza. Il est aussi scénariste et activiste communautaire, s’efforçant de faire entendre la voix de la jeunesse de Gaza dans le monde.

C’est aussi un danseur de dabké dans la troupe al-Fursan de Bashar Albelbeisi. (Belle revanche sur l’histoire qui se déroule en ce moment, le dabké palestinien a été classé par l’UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en décembre 2023).

Bashar voulait réaliser un film montrant la résilience des Palestiniens et la vie qui continue à Gaza et c’est Muhammad qui en a écrit le scénario. Tourné avec peu de moyens, entre deux bombardements, ce court-métrage, « Trying to survive »  est servi par la vitalité des jeunes gens de Gaza, des membres de la troupe, qui dansent dans les rues et les ruines. (On reconnait dans le film Mohammed et Bashar qui nous avaient accompagnés l’été dernier pendant notre tournée d’avant premières du film « Yallah Gaza » de Roland Nurier).

Malgré le contexte et les difficultés rencontrées pour tourner dans une ville privée de tout, le film a été réalisé. Mieux : ce film a été présenté dans plusieurs pays ; il a même gagné le 1er prix du Audience Award en mai dernier au Festival de films palestiniens de Houston.

L’affiche du film sur la plaquette du festival de Houston

Le quotidien de Muhammad et de sa famille est difficile. Très difficile ! Après avoir été déplacés plusieurs fois dans le Sud au gré des décisions militaires, ils ont fini par s’installer dans la région d’al-Mawasi, dans la fameuse « zone de sécurité » garantie par Israël.

C’est justement dans cette « zone de sécurité » que, le 13 juillet dernier, les forces de défense israéliennes ont décidé d’un bombardement destiné à éliminer 2 responsables du Hamas au mépris de la population civile qui y avait été poussée. La « frappe » a fait au moins 90 morts et 300 blessés selon l’ONU. Leur représentant sur place, Scott Anderson, a déclaré « J’ai vu des tout-petits doublement amputés, des enfants paralysés et incapables de recevoir des soins, d’autres séparés de leurs parents. J’ai également vu des mères et des pères qui ne savaient pas si leurs enfants étaient en vie. »

 

Muhammad entouré de ses 2 plus jeunes sœurs, Hajar (16 ans) et Batoul (12 ans)

La « rue » où ils vivent

Malgré toutes les difficultés rencontrées (pas d’eau potable, des insectes et des serpents qui se glissent sous leur tente de fortune), la gestion du quotidien (trouver de l’eau potable à 3€ le litre, des conserves – 14€ par jour pour la famille), les bombardements et les tirs de chars la nuit, Muhammad se rend chaque matin dans les tentes des déplacés pour s’occuper des enfants. Il invente des jeux qui permettent de les réconforter psychologiquement de la folie de ce qu’ils vivent au quotidien.

Le travail de Muhammad aide ces enfants à surmonter l’injustice et la douleur qu’ils vivent jour après jour en créant des moments heureux. Il considère qu’en utilisant des mécanismes appropriés ces séances améliorent leur résilience psychologique et les renforcent pour faire face aux crises et aux circonstances difficiles.

Son action vient en complément du travail de son ami Bashar qui, de son côté avec la troupe al-Fursan, utilise la danse, le dabké, pour permettre aux enfants de dépasser l’état de stupeur ou de désespoir dans lesquels ils se trouvent.

Muhammad ne cache pas son envie de vouloir mettre sa famille à l’abri, hors de Gaza. Avant que les forces de défense israéliennes ne s’emparent du terminal de Rafah, seul point de passage en Égypte, il avait lancé une cagnotte pour rassembler les sommes faramineuses réclamées par les agences assurant ce service (5 000€ pour un adulte, moitié moins pour un enfant). Mais c’était « avant »…

La résilience et la compassion, bref, l’humanité des Palestiniens de Gaza qui, contrairement aux prévisions et aux espoirs de certains, a pu résister à 17 années de blocus n’a pas faibli, même en ces temps où l’horreur s’ajoute aux restrictions, à la faim, aux maladies. Muhammad et les autres exemples cités ne sont pas uniques. Ils font honneur à l’espèce humaine.