Depuis des années, une partie du mouvement de solidarité pour la Palestine nous enfume avec la « reconnaissance de l’État de Palestine » et son corollaire : la « solution à deux États ». Cette reconnaissance était nécessaire : le projet sioniste, dès le départ, visait à reproduire ce que les États-Unis et l’Australie avaient réalisé avec leurs peuples autochtones : les enfermer, les massacrer, les expulser et en tout cas les rendre incapables de défendre leurs droits.
« Courageusement », la France est devenue le 150ème pays à reconnaître la Palestine et elle a été précédée par d’autres dans le monde occidental. L’effet positif, c’est que la perspective de la disparition de la Palestine avec le massacre et/ou l’expulsion de ce peuple vers d’autres pays s’éloigne. Les génocidaires israéliens avaient cette intention, mais c’était trop demander aux pays arabes vassalisés. Pour la Jordanie où les Palestiniens sont déjà majoritaires sans détenir le pouvoir, faire venir un million de nouveaux réfugiés, c’était faire éclater le pays. En Égypte, le dictateur Sissi a envisagé un moment l’installation de Gazaouis dans le Sinaï. Il avait fait évacuer la ville égyptienne de Rafah à cet effet. Mais les manifestations pour la Palestine au Caire et à Alexandrie, les premières depuis le coup d’État de 2013, l’ont vite dissuadé. Il fallait trouver autre chose.
Macron et Trump : deux visions complémentaires
En septembre 2024, l’Assemblée Générale de l’ONU avait voté à une large majorité une motion exigeant qu’Israël évacue les territoires occupés en 1967 sous peine de sanctions. Bien sûr Israël a accentué la colonisation et le ministre Bezalel Smotrich a expliqué (sans rire) que « le droit international ne s’applique pas aux Juifs puisqu’ils sont le peuple élu ». La politique israélienne, ça a toujours été un mélange de déni (« nous n’avons expulsé personne, les Arabes sont partis d’eux-mêmes »), de fait accompli et d’impunité.
La session de septembre de l’ONU aurait donc dû porter sur les sanctions et leur application. Et puis, tel Zorro, Macron est arrivé avec un « plan génial », cosigné par un grand démocrate, le prince héritier MBS d’Arabie Saoudite, connu pour sa dextérité à pendre ou dissoudre à l’acide ses opposants. Il s’agissait de promouvoir une version encore plus édulcorée que la « solution à deux États ». La Palestine n’aurait ni frontière, ni armée, ni droit à l’autodétermination, ni économie, ni continuité territoriale. Le plan Macron renouait avec une vieille tradition impérialiste. En 1917, la déclaration Balfour donnait la Palestine aux colons sionistes. En 1922, la Société des Nations (SDN) confiait à l’Empire Britannique un « mandat » avec mission de conduire ce peuple « mineur » (les Palestiniens) à la maturité. Aujourd’hui, l’Occident et les États féodaux du Golfe seraient chargés de gérer ce peuple décidément rebelle.
Pour celles et ceux qui font mine de croire à la « solution à deux États », rappelons qu’il y a aujourd’hui environ 10 millions de descendants des Palestiniens victimes d’un nettoyage ethnique prémédité en 1948 et que cette « solution » ne les concerne pas. Ce n’est donc pas une paix. Et puis, Israël se définit comme État juif, donc sur une base ethnico-religieuse, ce qui est une aberration. Aucune paix sérieuse ne peut se faire avec le maintien de l’État juif et de l’idéologie qui l’a construit : le sionisme.
En tout cas, Macron a atteint son but, l’ONU n’a pas débattu des sanctions. Le plan Macron-MBS et le plan Trump ne sont en rien contradictoires, ils sont complémentaires. D’ailleurs Macron a immédiatement approuvé le plan Trump. Et des militaires français sont arrivés à Kiryat Gat, en Israël, pour « superviser » l’application de cet accord. Ils ne sont pas seuls, tout l’Occident est représenté.
Pourquoi les Palestiniens ont signé ?
Avant tout parce que les survivants de ce génocide n’en pouvaient plus et n’auraient pas pardonné la continuation de l’extermination en cours. La vie dans les tentes avec un quotidien entouré par la mort, la famine et la souffrance était insupportable, surtout pour les femmes. Dans ce génocide, l’armée israélienne a utilisé une technologie de pointe et des méthodes nouvelles d’extermination.
La libération des « otages » (ce mot induit une différence insupportable entre Palestiniens et Israéliens privés de liberté. Son utilisation est le résultat d’une culture suprémaciste) était inéluctable : à terme les bombardements israéliens les auraient tous tués.
À l’évidence, à moins de pratiquer une langue de bois qu’on entend parfois dans le mouvement de solidarité, les Palestiniens n’ont pas gagné. Mais ils n’ont pas perdu non plus : le 7 octobre a servi de prétexte à un génocide prémédité depuis longtemps dont le but était de vider Gaza de sa population. Malgré un chiffre réel qui est sans doute au-delà de 200 000 morts (10 % de la population), malgré une brutalité et une cruauté opérées avec raffinement, la population de Gaza est toujours là et elle manifeste son attachement à rester sur le bout de terre qui lui reste.
Un des buts du 7 octobre était la libération des prisonniers palestiniens. Ne jamais oublier que 900 000 Palestiniens ont connu la prison depuis 1967. Cela représente 40 % des hommes entre 18 et 50 ans. Dans les prisons israéliennes, il y a des enfants, il y a de nombreux cas de tortures et de privation de soins. On y garde même les corps de ceux qui meurent avant l’expiration de leur peine. Pour Gilad Shalit, il y avait eu 1 000 libérations (dont celle de Yahia Sinwar), un des buts du 7 octobre était de faire sortir tous les prisonniers. Avec la trêve, près de 2 000 prisonniers sont sortis de cet enfer. Certes Israël garde les prisonniers emblématiques (Marwan Barghouti du Fatah, Ahmed Saadat secrétaire général du FPLP, le docteur Abou Safiya directeur de l’hôpital Kamal Adwan … ) mais environ 250 prisonniers à vie ont été libérés. Tous disent que l’exil qu’ils vont subir est plus enviable que les prisons israéliennes.
Le maintien de la trêve est bien sûr au bon vouloir des assassins et cette trêve a été déjà violée à de très nombreuses reprises. Il n’y a aucune garantie. Mais cette guerre tuait en moyenne 300 personnes par jour. Ça, c’est probablement fini. Depuis mars 2025 et la rupture unilatérale de la trêve précédente par Nétanyahou, la famine était organisée et les images que les alliés avaient découvertes dans les camps nazis en 1945 commençaient à ressembler à celles de Gaza. Des camions d’aide humanitaire rentrent à présent et la frontière de Rafah devrait rouvrir. Cette ouverture est fragile et les camions sont en nombre insuffisant. Mais il y en a et l’UNRWA s’est engagée, si l’aide humanitaire n’est pas entravée, à nourrir toute la population jusqu’à mars prochain.
Une Palestine sous tutelle et une modification de la géographie
Les États-Unis sont un co-auteur du génocide. Celui-ci aurait été instantanément arrêté si Biden, puis Trump avaient cessé les livraisons d’armes et de munitions. On n’a jamais vu un bourreau vouloir libérer sa victime.
Le plan Trump n’a pas rompu avec la logique coloniale de la Riviera et ses buts n’ont pas changé.
D’abord, il s’appuie sur une modification de la géographie de Gaza. Ainsi Rafah était une ville de 250 000 habitants. Après avoir abondamment bombardé la ville, les Israéliens ont fait venir les Caterpillars pour écrouler les murs qui n’étaient pas tombés. Puis ils ont fait enlever les gravats. Là où il y avait une ville, il ne reste que du sable et des dunes. Un Palestinien ne peut plus reconnaître l’endroit où il a vécu.
Environ 58% de la bande de Gaza reste occupée par les troupes israéliennes, la zone à moins de 3 km de la frontière et l’essentiel des terres agricoles. Il est peu probable que les habitants puissent rentrer chez eux. Déjà une « ligne jaune » existe pour séparer zone occupée et zone évacuée. Le même type de ligne de démarcation a été utilisé pour étendre les colonies en Cisjordanie
Le scénario qui est appliqué là-bas semble se reproduire à Gaza. Occuper un maximum de territoire et entasser la population dans des villes ou des zones surpeuplées. La population de Gaza va être concentrée sur une toute petite partie du territoire : des parties des villes de Gaza et Khan Younis, la zone centrale (Deir ei-Balah et Nuseirat) et le bord de mer (Al Mawasi). La création de ces camps de concentration présage des conditions de vie très dures en saison des pluies et pendant l’hiver.
Pour nourrir Gaza, il faudrait que tous les points de passage soient ouverts. Pour l’instant, il n’y a que partiellement Keren Shalom (Abu Salem). La frontière de Rafah devrait ouvrir mais les Palestiniens sont exclus de son contrôle qui sera égyptien, européen et bien sûr israélien.
Le Proche-Orient a déjà connu une « reconstruction » après une guerre : celle de Beyrouth a coûté cher, les monarchies du Golfe ont payé, et elle a été mafieuse : le bord de mer a été privatisé et les banlieues détruites sont restées sordides.
Quelque chose de semblable se profile à Gaza. Les génocidaires ne paieront rien, ce sont leurs complices qui ont signé les accords d’Abraham qui le feront. On reconstruira des « smart towns » , des villes « intelligentes », avec des rues bien perpendiculaires et des caméras de surveillance partout. Bref une Riviera dont on n’aura pas pu expulser les autochtones.
Il est significatif que Trump ait balancé le nom de Tony Blair pour chapeauter l’œuvre occidentale. Il est britannique, cela évoque instantanément Balfour et le « mandat » qui ont permis la réussite du sionisme. Il a envoyé l’armée britannique en Irak pour détruire des « armes de destruction massive » dont tout le monde savait qu’elles étaient fictives. Il a dirigé le « quartet » après les accords d’Oslo dont le but était d’obtenir des Palestiniens l’abandon de toutes leurs revendications. Et il a un beau sourire. Dans le film « No other land », on le voit visiter une école que les Bédouins ont construite à Masafar Yatta pour résister au nettoyage ethnique en cours. Il sourit, serre plein de mains et, peu après son départ, les bulldozers israéliens détruisent l’école.
La Palestine aux Palestiniens
Malgré une nouvelle « Nakba », malgré un génocide d’une ampleur incroyable, la Palestine n’a pas disparu. Il y a toujours entre la Mer et le Jourdain sensiblement autant de Juifs israéliens que de Palestiniens. Mais ces derniers sont fragmentés et subissent un très grand nombre de formes d’oppression, de discrimination et de destructions.
Le génocide à Gaza est, pour les messianiques fascistes au pouvoir en Israël un laboratoire sur la faisabilité du projet sioniste originel : peut-on faire disparaître le peuple palestinien ? Tout montre qu’ils n’y parviendront pas. La Palestine survit depuis des décennies grâce à un tissu associatif avec des toutes petites associations de quartiers, de femmes, de paysans, d’étudiants … et des grandes ONG. Elle est aussi caractérisée par un rapport assez incroyable aux enfants. Tout est fait pour les éduquer, pour les pousser à apprendre comme si un monde meilleur était possible pour eux.
En plein génocide, l’organisation de la société civile gazaouie a tenu. La défense civile (= les pompiers bénévoles), les soignants, les journalistes ont continué à faire leur travail malgré les très nombreux assassinats ciblés qui les ont frappés. Les municipalités ont continué à fonctionner et, chaque fois que c’était possible, les distributions d’eau ou de médicaments et le ramassage des ordures ont eu lieu. Les ministères ont fait leur travail, organisant les soins et produisant chaque jour les statistiques des destructions et des assassinats. L’OCHA (Coordination des affaires humanitaires, organisme de l’ONU) a systématiquement confirmé leurs informations.
La population s’est organisée dans les camps où elle a été déportée. Elle a assuré collectivement l’alimentation, l’hygiène, la santé, l’éducation des enfants chaque fois que c’était possible. Des élèves ont pu passer le baccalauréat, souvent par internet. Des psychologues font un travail fantastique, en particulier auprès des femmes, pour permettre aux victimes de continuer à vivre malgré l’anéantissement de ce qui avait été leur vie. Là où c’est possible, un peu d’agriculture a redémarré. Quand les vedettes israéliennes ont été occupées par les flottilles, les pêcheurs sont sortis en mer et ont ramené un peu de poisson.
Gaza n’est pas seulement une population éduquée, c’est une population pluraliste qu’on ne peut pas réduire aux partis politiques et encore moins au Hamas. Celui-ci est critiqué pour ne pas avoir pu ou su assumer les conséquences du 7 octobre et pour être incapable de protéger la population.
Après une réunion à Pékin en 2024, il y a eu un accord de différentes factions palestiniennes au Caire. L’enjeu est que la Palestine ne soit pas mise sous tutelle impérialiste, que sa voix soit entendue. Pour le mouvement de solidarité, c’est un enjeu essentiel. Répondre aux besoins et aux demandes de la société civile. Aider à sa réunification, faire en sorte qu’elle soit l’acteur principal de la reconstruction annoncée.
Trump es ses alliés annoncent une occupation de Gaza et une incitation de la population à quitter ce territoire.
Cette guerre se joue chez nous
Toutes les guerres menées par une puissance impérialiste et/ou coloniale n’ont pu se terminer que quand une fracture importante est apparue dans la société coloniale. Cela a été le cas de la France lors de la guerre d’Algérie, des États-Unis lors de la guerre du Vietnam ou de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il n’y aura pas de fracture dans la société israélienne tant que des sanctions dans tous les domaines ne la frapperont pas.
Le génocide a brisé durablement l’image d’Israël. Des manifestations très importantes ont eu lieu en Espagne, en Italie, en Irlande et même aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Des pays ont rompu les relations diplomatiques. À l’ONU, une nette majorité de pays ont exprimé leur franche hostilité face à l’État génocidaire. Des manifestants ont littéralement expulsé l’équipe de cyclisme Israël Premier Tech de la Vuelta espagnole. Israël a été exclu des championnats du monde de gymnastique.
Ce génocide a été rendu possible par une triple complicité. Celle des États-Unis, celle des principaux pays arabes et celle de l’Europe. C’est une complicité totale : politique, militaire, économique, idéologique, médiatique, syndicale, bancaire …
La guerre se joue sur deux fronts :
En Palestine et en particulier à Gaza. Malgré les atrocités qu’il subit, le peuple palestinien doit continuer à faire société. Une des tâches du mouvement de solidarité est d’aider les producteurs, de travailler avec la société civile pour qu’elle puisse prendre en main la vie quotidienne.
Elle se joue aussi chez nous. L’opinion a commencé à basculer. Le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) remporte des succès notables. Israël doit devenir un État paria. Il ne faut laisser aucun répit aux auteurs du génocide et à leurs complices. Le génocide à Gaza est un laboratoire de la marée brune qui commence à déferler sur le monde et qui détruit tout sur son passage : la liberté, la solidarité, la justice sociale, les droits des peuples …Défendre la Palestine, ce n’est pas un supplément d’âme, c’est défendre notre peau. Nous devons tout tenter pour forcer les dominants de ce monde à isoler et à sanctionner Israël à l’image de ce qui a été entrepris contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. En remodelant la Palestine au prix de dizaines de milliers de morts, les dominants remodèlent le monde et généralisent la loi de la jungle. Ne les laissons pas faire !
(Article publié dans « Courant Alternatif » de novembre 2025)








