Le 17 mai 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a conclu les audiences entre l’Afrique du Sud et Israël (voir le communiqué de presse officiel de la CIJ en anglais et en français).
Rappelons que c’est le 10 mai 2024 que l’Afrique du Sud, face à l’imminence d’une offensive militaire à Rafah dont Israël menace la population de Gaza depuis plusieurs semaines, a soumis une quatrième demande urgente de mesures conservatoires à la CIJ. Fait assez inhabituel dans l’histoire de la CIJ depuis s a constitution en 1946, celle-ci a fixé les audiences publiques six jours plus tard, en les convoquant pour le 16 mai (voir son communiqué de presse du 14 mai en anglais et en français).
Toujours à La Haye, et toujours par rapport avec ce qui se passe à Gaza, mais provenant d’une autre juridiction internationale, la Cour Pénale Internationale (CPI), une déclaration de la Présidence de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome a été publiée sur son site le 17 mai: elle condamne les menaces dont le personnel de la CPI a fait l’objet depuis la fuite d’informations sur d’éventuels mandats d’arrêt à l’encontre de membres du haut commandement militaire israélien et leurs supérieurs (voir texte complet de la dite déclaration).
Une brève mise en contexte
Depuis les Nations Unies, les experts et rapporteurs spéciaux sur les droits de l’homme ont alerté depuis plusieurs jours sur la catastrophe indicible dans laquelle une opération militaire d’Israël dans le dernier espace existant où est concentré un grand nombre de réfugiés et de déplacés palestiniens à Rafah, plongerait la population civile de Gaza (voir communiqué officiel).
Ces audiences à La Haye ont eu lieu alors qu’une grande partie de la communauté internationale tente de freiner l’élan destructeur d’Israël à Rafah, avec une mobilisation sans précédent sur les campus universitaires dans divers parties du monde exigeant, dans le cas des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, mais aussi de l´Espagne ou des Pays Bas, l’arrêt immédiat des livraisons d’armes et d’équipements militaires à destination d’Israël.
Ces audiences ont également été précédées d’une action visant à immobiliser en Espagne un navire à destination d’Israël chargé de munitions et de matériels utilisés par l’armée israélienne: voir sur ce sujet la lettre des députés européens détaillant le contenu de la cargaison, datée du 15 mai. Cette demande a conduit l’Espagne à déclarer officiellement qu’elle n’accepterait plus dans ses ports de navires à destination d’Israël avec ce type de cargaison (voir l’article de Periodico du 17 mai). Il serait bon de savoir le point de départ de ce navire et surtout, quels sont les autres options de ports en Meditérranée que des embarcations de ce type pourraient chercher suite à cette décision de l’Espagne.
Le 15 mai, comme chacun sait, la communauté palestinienne du monde entier commémore la Nakba ( النكبة « désastre » ou « catastrophe » en arabe). Nous renvoyons nos chers lecteurs à ce communiqué officiel de l’ambassade de Palestine en Argentine, ainsi qu’à ce long communiqué officiel du Mexique publié le même jour par son appareil diplomatique, et aux communiqués officiels du Chili en 2023 et de la Bolivie en 2022. Il s’agit d’ un geste symbolique à l’égard de la Palestine, très rarement répliqué au sein des appareils diplomatiques des États d’autres parties du continent américain et européen ce 15 mai 2024.
Photo extraite de l’article de presse du Times of Israel, édition du 18 mai 2024, intitulé « Panamanian-flagged oil tanker hit by missile in Red Sea ». La photo reproduite vient avec la légende suivante: « Yemenis deploy a giant Palestinian flag as they march in the Houthi-run capital Sanaa in solidarity with the people of Gaza on May 17, 2024 ».
Le 15 mai a également été la date choisie pour la publication d’un volumineux rapport de plusieurs centres de recherche nord américains et un centre sudafricain (voir rapport) sur les opérations militaires d’Israël à Gaza, qui conclut que :
« 263.This report has demonstrated that actions—past and continuing—taken by Israel’s government and military in and regarding Gaza following the Hamas attacks in Israel on October 7, 2023, constitute breaches of the international legal prohibitions on the commission of genocide, incitement to genocide, and failure to prevent and punish genocide.
264. This report has shown that Israel has committed the genocidal acts of killing, causing serious harm to, and inflicting conditions of life calculated to bring about the physical destruction of Palestinians in Gaza, a protected group that forms a substantial part of the Palestinian people. These genocidal acts have been motivated by the requisite genocidal intent, as evidenced in this report by the statements of Israeli leaders, the character of the State and its forces’ conduct against and relating to Palestinians in Gaza, and the direct nexus between them« .
D’autre part, dans une déclaration des États membres de la Ligue arabe, qui se sont réunis le 16 mai dans la ville de Manama au Bahreïn (voir le texte intégral), on y lit que :
« We reiterate our categorical rejection of any attempts to forcibly displace the Palestinian people from their land in the Gaza Strip and the West Bank, including East Jerusalem. We call for urgent action for an immediate and permanent ceasefire, an end to the aggression in the Gaza Strip, protection of civilians and the release of hostages and detainees.
In this context, we strongly condemn Israel’s obstruction of ceasefire efforts in the Gaza Strip and its continued military escalation through the expansion of its aggression against the Palestinian city of Rafah, despite international warnings of catastrophic humanitarian consequences.
We also condemn the Israeli forces’ control of the Palestinian side of the Rafah crossing with the aim of tightening the siege on civilians in the Strip. This has led to the suspension of the crossing’s functioning and the cessation of the flow of humanitarian aid, and the loss of the main lifeline of the Palestinian population of Gaza, and in this regard we call on Israel to withdraw from Rafah, in order to ensure safe humanitarian access« .
Il n’est pas superflu de faire aussi référence à une déclaration de plusieurs experts des droits de l’homme des Nations Unies demandant le rétablissement des fonds suspendus par certains États à l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), après que les accusations d’Israël à son encontre à la fin du mois de janvier 2024 ont été confirmées comme étant sans fondement, ni preuves : voir la déclaration publiée le 17 mai par les Nations Unies et qui, comme cela devient habituel, a été fort très peu relayée par les médias grand public.
Nous avions eu l’occasion d’écrire sur la date exacte choisie par Israël pour lancer ces accusations contre l´UNRWA que:
« Comme détail non négligeable (passé sous silence par de nombreux commentateurs), ce rapport secret a été transmis par Israël aux États qui contribuent au fonctionnement de l’UNRWA quelques heures avant le 26 janvier 2024 à 13h00, heure à laquelle la CIJ a lu sa première ordonnance sur les mesures conservatoires« 1.
Un cabinet de guerre israélien au bord de l’implosion
En ce mois de mai 2024, un certain nombre d’annonces officielles en Israël témoignent de la crainte profonde que la CPI ne délivre dans les prochains jours des mandats d’arrêt contre ses hauts responsables pour les crimes commis par Israël à Gaza (voir l’article de The Guardian du 29 avril, l’article du Times of Israel et ce récent article de la BBC sur l’« alarme » que cela signifie en Israël, publié le 2 mai 2024).
Les réactions de colère en Israël (et dans certains milieux aux États-Unis) ont été telles, suggérant des actions et des représailles contre le personnel de cette juridiction pénale internationale, que le Bureau du Procureur de la CPI a jugé nécessaire de publier une déclaration officielle le 2 mai (voir le texte de la dite déclaration).
Afin de mieux comprendre le type de pressions exercées sur le personnel de la CPI, nous renvoyons nos chers lecteurs à cette lettre signée par une douzaine de sénateurs américains adressée au Procureur de la CPI et menaçant de voter des sanctions contre lui et les membres de sa famille, datée du 24 avril (voir texte).
Il convient de rappeler qu’en novembre 2012, lorsque l’Assemblée Générale des Nations unies a accordé à la Palestine le statut d’« État observateur non membre » (seuls neuf États ayant voté contre, à savoir le Canada, les États-Unis, les Îles Marshall, Israël, Nauru, Palau, Panama et la République tchèque), le Royaume-Uni a choisi de s’abstenir, parmi bien d’autres2. Les diplomates britanniques avaient pourtant annoncé qu’il voteraient pour, mais seulement si la Palestine donnait l’assurance qu’elle ne saisirait pas la CPI :
« The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court, but apparently came away unsatisfied » (voir la note de presse d’ un journal généralement bien informé aux Etats-Unis, comme l’est The Washington Post).
Cette profonde inquiétude concernant la justice pénale internationale rappelle une infidence diplomatique rendue publique par Wikileaks : en relation avec l’offensive militaire israélienne meurtrière à Gaza en 2009, on peut lire que lors d’une conversation avec des diplomates américains (voir le câble du 23 février 2010 de l’ambassade américaine à Tel-Aviv), la confidence suivante a été exprimée par le colonel Liron Libman :
“Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”.
Le colonel Liron Libman, haut fonctionnaire israélien, était (et est probablement toujours en ce mois de mai 2024) très au fait des règles du droit international applicables : il a été pendant de nombreuses années à la tête du Département de Droit International de Tsahal.
Comme on le sait, Israël et son fidèle allié étasunien ont toujours été extrêmement sensibles sur cette question : le dépôt par la Palestine le 21 janvier 2009 d’une déclaration d’acceptation de la juridiction de la CPI fut considéré par le service juridique de l’armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme, inconnue des spécialistes : le « terrorisme légal »3).
Ces incidences de 2009 et ce qui a été observé en pleine Assemblée Générale des Nations Unies en 2012 de la part de la diplomatie britannique – mais fort peu diffusé – peuvent expliquer le niveau actuel de nervosité au sein du cabinet de guerre israélien à propos de la CPI.
En outre, on a de plus en plus le sentiment que l’opération militaire à Gaza, qui a débuté il y a plus de sept mois, n’a pas atteint un seul des objectifs officiels affichés comme tels par les autorités militaires israéliennes : les otages israéliens capturés par le Hamas depuis le 7 octobre restent cachés avec leurs gardiens quelque part à Gaza, la capacité opérationnelle du Hamas est maintenue, malgré les pertes subies, avec des attaques et des pertes régulières du côté israélien; et les principaux chefs militaires du Hamas sont toujours en vie, ordonnant même le tir régulier de roquettes artisanales depuis Gaza en direction du territoire israélien par de petites unités mobiles de combat du Hamas.
Depuis plusieurs jours, le débat entre certains membres du cabinet de guerre israélien est plus que notoire : voir sur le sujet cet article du Times of Israel du 17 mai et cet article très complet de The Altlantic du 18 mai ainsi que cette tribune publiée dans Haaretz à la même date. Le 18 mai également, un ultimatum de l’un des membres de ce cabinet au Premier ministre israélien a été rapporté : voir l’article du New York Times intitulé « Benny Gantz Threatens to Leave Israel’s Government » dont la lecture est recommandée.
Bien évidemment, si l’impasse à Gaza se fait évidente, une nouvelle confrontation d’Israël (soit avec le Liban, soit avec la Syrie, soit avec l’Iran qui n’a pas souhaité répondre aux provocations, si ce n’est l’attaque massive annoncée quelques heures avant sur le territoire israélien du 19 avril dernier) permettrait aux autorités israéliennes de continuer leur dangereuse fuite en avant, qui permet à son actuel cabinet de guerre de se maintenir au pouvoir en Israël : l’objectif étant de « tenir » jusqu’aux élections aux États-Unis en novembre 2024.
Les pétitions de l’Afrique du Sud et d’Israël en bref
Dans son intervention du 16 mai (voir verbatim), l’équipe juridique sud-africaine a conclu sa présentation fort détaillée en demandant à la CIJ d’ordonner d’urgence à Israël de faire ce qui suit (p. 63) :
« (1) immediately, and further to its obligations under the Court’s previous Orders of 26 January 2024 and 28 March 2024, cease its military operations in the Gaza Strip, including in the Rafah Governorate, and withdraw from the Rafah Crossing and immediately, totally and unconditionally withdraw the Israeli army from the entirety of the Gaza Strip.
(2) immediately, and further to its obligations under provisional measure 4 of the Court’s 26 January 2024 Order and provisional measures 2 (a) and 2 (b) of the Court’s 28 March 2024 Order, take all effective measures to ensure and facilitate the unimpeded access to Gaza of United Nations and other officials engaged in the provision of humanitarian aid and assistance to the population of Gaza, as well as fact-finding missions, internationally mandated bodies and/or officials, investigators, and journalists, in order to assess and record conditions on the ground in Gaza and enable the effective preservation and retention of evidence; and ensure that its military does not act to prevent such access, provision, preservation or retention;
(3) submit an open report to the Court (a) on all measures taken to give effect to these provisional measures within one week as from the date of this Order; and (b) on all measures taken to give effect to all previous provisional measures indicated by the Court within one month as from the date of this Order”.
Pour sa part, dans une défense bien plus réduite en termes de durée et d’équipe juridique (en tout trois personnes) présente à La Haye le 17 mai, la délégation israélienne a conclu son intervention devant les juges (voir verbatim) en demandant à la CIJ dans la dernière partie de sa plaidoirie (p. 30) ce qui suit :
» The State of Israel requests the Court to reject the request for the modification and indication of provisional measures submitted by the Republic of South Africa.”
On peut comparer l’équipe israélienne de trois personnes présente à La Haye le 17 mai avec l’équipe israélienne devant la même CIJ qui était présente en janvier 2024 lors des audiences à La Haye (voir les premières pages du verbatim du 11 janvier).
De quelques détails intéressants
Outre l’importance en nombre de l’équipe juridique sud-africaine décrite dans les premières pages de chacun des comptes rendus de ces deux jours d’audience à La Haye, qui contraste avec la modeste équipe juridique d’Israël, il est également intéressant de relever qu’Israël s’est contenté d’une plaidoirie des plus courtes observées (30 pages) : en soi, cela peut déjà indiquer un manque de préparation pour contrer la plaidoirie de l’Afrique du Sud.
Dans la première partie de sa plaidoirie, Israël fait la déclaration suivante à la CIJ :
« 5. Mr President, Israel received notification of this hearing on Monday, less than four days ago, while it was observing a particularly painful national Remembrance Day. This notification came as a great surprise, because the Court had already invited Israel to submit its observations on South Africa’s request in writing by Wednesday of this week.
6. Israel was preparing its written observations when the Court suddenly announced that it would hold an oral hearing instead. In seeking to accommodate the Court’s decision, Israel immediately reached out to its legal team so as to guarantee that it could properly be represented by counsel. That proved impossible, as Israel’s lead counsel is shipborne this week and other counsel were likewise unable to come to The Hague on such short notice. For this reason, Israel wrote to the Court, in good faith, asking that the hearing be rescheduled to next week. It explained that the dates fixed by the Court significantly impacted Israel’s ability to be sufficiently well represented and the fundamental principle of equality of arms. Israel’s request was rejected. The date of this hearing remained that which South Africa had expressly requested « .
L’argument d’Israël selon lequel le délai extrêmement court fixé par la CIJ l’a empêché de se présenter avec une équipe juridique complète peut cacher une autre réalité, beaucoup moins avouable de la part des diplomates israéliens présents à La Haye : l’impossibilité pour Israël de trouver en Israël des avocats disposés à le défendre publiquement durant des audiences au Peace Palace.
C’est probablement la première fois dans l’histoire de la CIJ depuis 1946 qu’un État se plaint auprès des juges de la CIJ d’un délai très court pour se défendre : un argument qui pourrait être interprété de diverses manières par certains membres de la CIJ lors des délibérations qui ont commencé peu après la fin des audiences, le 17 mai.
Il convient de noter que dans la dernière partie de son intervention devant les juges de la CIJ, il est indiqué que pour Israël :
« 39. Granting South Africa’s request would be to side with a terrorist organization, which will no doubt celebrate any such decision. It is to legitimize, protect and reward Hamas’ despicable method of warfare, to enable its heinous crimes to persist, with all the consequences that might follow« .
Il n’est pas certain que la défense d’Israël soit consciente de l’effet que ces soi-disant « arguments » pourraient avoir sur l’esprit des 15 juges en exercice, et même du juge ad hoc nommé par Israël (qui se prononceront non seulement sur cette quatrième demande urgente en indication de mesures conservatoires, mais aussi sur la requête de l’Afrique du Sud sur le fond dans quelques années).
Perspectives de la demande de mesures provisoires urgentes présentée par l’Afrique du Sud à la CIJ à l’encontre d’Israël
Un État est libre, lorsqu’il plaide à la barre de La Haye, de se plaindre de la brièveté du délai qui lui est imparti par la CIJ et d’invoquer tout ce qui bon lui semble pour assurer sa meilleure défense.
Cependant, au lieu d’exposer ses arguments dans le verbatim habituel de plus de 60 pages après une audience à La Haye par un État, quel qu’il soit, et quel que soit le litige l’opposant à un autre Etat, Israël a choisi cette fois-ci de se défendre avec une présentation qui a duré la moitié du temps imparti aux deux parties pour présenter leurs arguments respectifs.
Cette demande de l’Afrique du Sud en indication de mesures provisoires urgentes à la CIJ (voir le texte de la demande en français et en anglais) fait suite à des exercices très similaires et fort récents entre l’Afrique du Sud et Israël à La Haye :
– une requête de l’Afrique du Sud contre Israël accompagnée d’une demande en indication de mesures provisoires urgentes déposée le 29 décembre 2023, (voir texte en anglais et en français) qui a donné lieu à une toute première ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024 (voir texte en anglais et en français), ayant fait l´objet de quelques rares commentaires4. Quelques rares auteurs ont notamment mis en avant les implications de cette ordonnance de la CIJ pour les États tiers 5.
– une deuxième demande en indication de mesures provisoires déposée par l’Afrique du Sud le 6 mars, qui a donné lieu à une deuxième ordonnance de la CIJ le 28 mars 2024 (voir texte en anglais et en français) et que nous avons eu l’occasion d’analyser6.
La répétition soutenue de ces demandes urgentes à la CIJ par l’Afrique du Sud au fil du temps est largement due au manque de respect d’Israël pour la justice internationale, ignorant tour à tour ces deux ordonnances contraignantes de la CIJ, en maintenant intacte la même stratégie de la part de ses forces militaires à Gaza et qui a commencé le soir du 7 octobre 2023, à savoir : bombardements incessants et aveugles sur la population civile de Gaza, sous prétexte d’« opérations ciblées » dont le seul « objectif » est d’anéantir des chefs ou des groupes de combattants du Hamas. La mort du personnel humanitaire de l´ONG World Central Kitchen survenue le 4 avril 2024 a mis en évidence l´absence de précision de l’armée israélienne dans le ciblage de ses bombardements.
Le 7 mai, l´ONG Human Rights Watch a intitulé son communiqué de presse, dont la lecture est recommandée, « Gaza : Israël bafoue les ordonnances de la Cour internationale de justice« . On laissera à nos chers lecteurs le soin de chercher dans la grande presse internationale quels medias se sont fait écho ou ont fait une référence quelconque à ce texte, émanant pourtant d´un ONG souvent citée dans la grande presse internationale lorsqu’il s´agit de crises et de conflits dans d’autres latitudes.
En outre, l’attitude déterminée de l’Afrique du Sud et la défiance d’Israël susmentionnée ont conduit d’autres États à demander à la CIJ de se joindre à l’Afrique du Sud dans sa requête, en tant qu’États également parties à la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du génocide: il s’agit en effet d’un instrument international qui compte 153 États parties, selon l’état officiel des signatures et des ratifications. On dénombre pour le moment les demandes d’intervention suivantes:
– le Nicaragua, qui a présenté une demande d’intervention et ce des le 23 janvier 2024 (voir le texte de sa demande en anglais et en français).
– la Colombie, qui a présenté une demande d’intervention le 5 avril 2024 (voir texte en anglais uniquement).
– la Libye, qui a présenté une demande similaire le 10 mai (voir texte en anglais uniquement).
Un point d’interrogation subsiste quant à savoir quel sera l’État européen qui, État partie à la convention sur le génocide de 1948, sera la premier depuis l´Europe à soumettre officiellement une demande d’intervention en soutien à la requête sur le fond présentée par l’Afrique du Sud.
L’action insensée d’Israël à Gaza
Malgré tous les avertissements, l’action militaire israélienne à Gaza se poursuit jour après jour, avec son lot dramatique de pertes en vies humaines et de blessures graves infligées aux habitants de Gaza; tandis que par ailleurs, les attaques du Hamas infligent également des pertes régulieres à l’armée israélienne (bien moindres en nombre).
Dans le dernier rapport de situation des Nations Unies (au 17 mai 2024, voir le rapport), le nombre de morts à Gaza dépasse les 35.300, tandis que 279 soldats israéliens ont perdu la vie :
« Israeli bombardment from the air, land, and sea continues to be reported across much of the Gaza Strip, resulting in further civilian casualties, displacement, and destruction of houses and other civilian infrastructure. Ground incursions and heavy fighting also continue to be reported, especially in Jabalya and eastern Rafah. As of 17 May, Rafah Crossing remains closed. Kerem Shalom Crossing is operational, but the prevailing security and logistical conditions are hampering humanitarian aid deliveries at scale.
Between the afternoon of 15 and 10:30 on 17 May, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 70 Palestinians were killed and 120 were injured, including 31 killed and 56 injured in the last 24 hours. Between 7 October 2023 and 17 May 2024, at least 35,303 Palestinians were killed and 79,261 were injured in Gaza, according to MoH in Gaza.
The following are among the deadliest incidents reported between 14 and 16 May:
– On 14 May, at about 14:30, seven Palestinians were reportedly killed when a house was hit in Beit Lahiya in North Gaza.
– On 15 May, at about 1:00, five Palestinians, including a girl, were reportedly killed and others injured when a house was hit in Al Bureij Refugee Camp.
– On 15 May, at about 2:00, four Palestinians were reportedly killed when their house was hit on Old Gaza Street in Jabaliya, in North Gaza.
– On 15 May, at about 16:30, five Palestinians were reportedly killed and 15 injured when a group of Palestinians were hit in Al Jala Street, in Gaza city.
– On 16 May, at 00:25, four Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in central Rafah.
– On 16 May, at about 4:35, several Palestinians, including children and women, were reportedly killed when a residential building was hit in Abu Iskandar area in Ash Sheikh Radwan, in Gaza city.
– On 16 May, at about 11:50, five Palestinians, including two children and two women, were reportedly killed and others injured when a residential building was hit east of the European Gaza Hospital in eastern Khan Younis.
Between the afternoons of 15 and 17 May, six Israeli soldiers were reported killed in Gaza. As of 17 May, 279 soldiers have been killed and 1,723 soldiers have been injured in Gaza or along the border in Israel since the beginning of the ground operation, according to the Israeli military. In addition, according to the Israeli media citing official Israeli sources, over 1,200 Israelis and foreign nationals, including 33 children, have been killed in Israel, the vast majority on 7 October. As of 17 May, it is estimated that 132 Israelis and foreign nationals remain captive in Gaza, including fatalities whose bodies are withheld « .
En guise de conclusion
Se plaindre au juge des délais de dépôt des mémoires est souvent expliqué dans les facultés de droit comme étant la pire défense qu’un avocat puisse présenter dans le cadre d’un procès devant un juge. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de discuter de mesures préliminaires de nature urgente devant un juge, après plusieurs exercices similaires.
Dans le cas d’Israël, qui en est à sa troisième apparition à La Haye depuis le début de l’année 2024, cet « argument » est d’une valeur toute relative, et pourrait être interprété de bien des manières par les 15 juges de la CIJ et même par le juge ad hoc désigné par Israël.
L’extrême urgence avec laquelle la CIJ a ordonné ces audiences à La Haye devrait également se refléter dans le délai dans lequel la CIJ rendra son ordonnance, probablement dans quelques jours.
Comme lors de la lecture de l’ordonnance du 26 janvier 2024, Israël a procédé à une subtile opération de communication, afin de distraire la pression internationale, en accusant faussement l´UNRWA de complicité dans l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, on peut s’attendre à une autre modalité de ce genre : ce, afin de de détourner une nouvelle fois la pression médiatique internationale de la part des autorités israéliennes, quelques jours avant la lecture de cette nouvelle ordonnance de la CIJ.
Ces modalités sont fort variées, car reposant en grande partie sur la créativité et les capacités des services de renseignement israéliens.
- Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos des nouvelles mesures conservatoires urgentes ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ) à l’encontre d’Israël« , Société Québecoise pour le Droit International (SQDI, blog), édition du 10 avril 2024. Texte disponible ici.[↩]
- Cf. BOEGLIN N., « Le nouveau statut de membre de la Palestine aux Nations Unies : une perspective latinoaméricaine« , Le Monde du Droit, édition du 3 janvier 2013. Texte disponible ici.[↩]
- Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des États- Unis à l’égard de la Cour Pénale Internationale, Paris, Pedone, 2010, p. 325. Quelques déclarations du chef de la délégation étasunienne après la conférence de Rome de juillet 1998 sont également plus qu’éclairantes : « En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d´Israël d’être victime d’accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés » (p. 172). On lira avec intérêt la tentative des États-Unis afin d’exclure de la définition de crimes de guerre le « transfert par un État d’une partie de sa population dans un territoire qu´elle occupe » (pp. 171-172).[↩]
- En langue française, cf. MAISON R., « A la Cour internationale de justice, un revers pour Israël« , Orient XXI, 30 janvier 2024. Texte disponible ici. Et notre article BOEGLIN N., « Gaza / Israël : quelques réflexions concernant l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice (CIJ)« , site de la Société Québécoise pour le Droit International (SQDI), 2 février 2024. Texte disponible ici; ainsi qu’en langue espagnole BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la ordenanza de la Corte Internacional de Justicia (CIJ)« , 26 janvier 2024. Texte disponible ici.[↩]
- Cf. para exemple, AL TAMIMI Y., « Implications of the ICJ Order (South Africa v. Israel) for Third States« , EJIL Talk, édition du 6 février 2024. Texte disponible ici.[↩]
- Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israël : à propos des nouvelles mesures conservatoires urgentes ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ) à l’encontre d’Israël« , Société Québécoise pour le Droit International (SQDI, blog), édition du 10 avril 2024. Texte disponible ici.[↩]