Gaza – Gaza, l’indicible

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Dire l’indicible. Déporté à Auschwitz à l’âge de 24 ans, Primo Levi a essayé. Pas seulement de raconter la torture, la violence, la faim, la mort omniprésente, mais aussi de décrire la difficulté de survivre et de se reconstruire.

Les images de corps émaciés que nous recevons de Gaza rappellent ce que les alliés ont découvert en 1945 dans les camps de concentration. En plein 21ème siècle, les dirigeants d’un pays qui ressemble tellement au nôtre, ont décrété qu’il n’y avait pas « d’innocents » à Gaza. Ils organisent la famine et tirent tous les jours sur une population affamée qui cherche de la nourriture. Ils bénéficient d’un soutien des dominants de ce monde qui se reconnaissent en eux. Et une nette majorité des Israéliens veut en finir avec Gaza.

Ils ont détruit tous les hôpitaux. Ils ont tué sans doute plus de 100 000 personnes, femmes et enfants en grande majorité. Ils ont assassiné 220 journalistes, plus que pendant les deux guerres mondiales, la guerre du Vietnam et celle de Yougoslavie réunies. Ils se sont fait des selfies devant des prisonniers torturés. Ils ont joué avec des sous-vêtements de femmes, pillés dans les immeubles détruits. L’association française « Israël for ever » s’est filmée, bloquant les camions d’aide humanitaire pour qu’ils n’entrent pas à Gaza.

Les enfants paient un prix terrible. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont été assassinés ou blessés. Les mères demandent à leurs enfants de rêver à un morceau de pain. Les enfants demandent à leurs parents qu’on leur tatoue le bras pour qu’ils puissent être identifiés s’ils sont retrouvés dans un immeuble pulvérisé. Les bébés meurent, faute de lait maternel.

Tout ceci est parfaitement documenté. Pendant des mois, nos dirigeants politiques et la plupart des médias à la botte nous ont enfumés avec les « attaques terroristes du Hamas » ou les « femmes éventrées et les bébés décapités ». On nous avait déjà fait le coup en Irak il y a plus de 20 ans avec les « armes de destruction massive ». Et une justice d’abattage s’est spécialisée chez nous dans les condamnations de personnes, au hasard jeunes et arabes, pour « apologie du terrorisme ». Ce permis de tuer a été d’une redoutable efficacité.

Un jour, on enseignera le génocide à Gaza comme on enseigne le judéocide nazi ou comme on commence à dire la vérité sur celui du Rwanda. En attendant, les défenseurs bien pensants d’Israël, même celles et ceux qui commencent à avoir des états d’âme ou à se demander si on ne va pas les accuser de complicité, refusent avec énergie de parler de génocide à Gaza. Fondamentalement pour eux, contrairement à ce qu’expliquent Amnesty International, Human Rights Watch ou tous les spécialistes israéliens de la question du génocide, le seul génocide est et restera celui que les Juifs ont subi. Le besoin de s’approprier cette mémoire est vital pour essayer de sauver l’image d’un pays qui a totalement sombré.

Gaza, comment on est arrivé là ?

On nous dit souvent que ce « conflit » est « compliqué ». Pas du tout.

Au départ, un « roman national » raconte une histoire abracadabrantesque : que les Juifs vivraient dans ce pays depuis des milliers d’années, que « Dieu a donné cette terre au peuple juif »1, qu’ils ont été chassés de leur pays, qu’ils rentrent chez eux grâce au sionisme, qu’il n’y a pas de peuple palestinien mais des intrus … Cette fable continue d’être utilisée pour masquer une conquête coloniale.

Il n’y a quasiment plus de débat historique. Cette région a toujours été une terre de mélange, le  « royaume unifié » de David et Salomon n’a pas d’existence historique, les Juifs d’aujourd’hui sont essentiellement des descendants de convertis et les descendants des Judéens sont … les Palestiniens.

C’est en Europe que se sont développés l’antijudaïsme chrétien et l’antisémitisme racial. Ce sont des Européens qui ont perpétré le génocide nazi. Le sionisme n’a pas lutté contre l’antisémitisme, il s’est appuyé sur les antisémites pour pousser les Juifs à quitter l’Europe. Le projet colonial sioniste a eu comme modèle ce que les Européens ont réalisé en Amérique ou en Australie : enfermer, expulser ou exterminer le peuple autochtone, détruire sa société, s’emparer d’un maximum de terres. Et le but du sionisme a été de transformer les Juifs, considérés comme parias inassimilables en Europe, en colons européens en Asie.

Les institutions sionistes qui ont dépossédé le peuple palestinien de son propre pays ont été créées avec la protection de l’impérialisme britannique bien avant le judéocide.

C’est un courant « de gauche » qui a créé Israël. Les instruments de cette conquête ont été le syndicat Histadrout2, les kibboutz, la Haganah (ancêtre de l’armée actuelle) et l’Agence Juive. La Nakba3 (1948-49) a été un nettoyage ethnique prémédité perpétré avec la complicité des vainqueurs de la Deuxième Guerre Mondiale. C’est la « gauche » qui a piétiné la résolution de l’ONU sur le retour des réfugiés palestiniens. « Les vieux mourront, les jeune oublieront », « Nous n’avons expulsé personne, les Arabes sont partis d’eux-mêmes », deux citations de Ben Gourion. C’est toujours la « gauche sioniste » qui a réalisé la conquête de 1967 et a initié la colonisation. Cette « gauche » a créé un monstre qui à présent lui échappe, son rôle historique étant achevé.

La droite sioniste qui réalise le génocide actuel a toujours été une droite fasciste. Le père de Nétanyahou, Bension, était le secrétaire de Jabotinsky dont la milice violente, le Bétar, s’entraînait en Italie fasciste à la fin des années 1930. Yitzhak Shamir, futur Premier ministre israélien, assassinait des soldats britanniques pendant le judéocide. Les dirigeants israéliens ne sont pas les descendants des victimes du génocide nazi, ils sont les descendants idéologiques des collabos.

Gaza a été incroyablement calomniée. Dans ce petit territoire surpeuplé, 80 % de la population sont des réfugiés. Ils sont bouclés par terre, par mer et par air (pour avoir « mal » voté) depuis 2006. Ils ont subi  des bombardements meurtriers à répétition, l’occupant détruisant en priorité la centrale électrique, la station d’épuration des eaux, les fermes à poulets … Gaza, c’est une multitude d’associations qui permettent à la société de tenir dans les pires conditions. Quand la population a manifesté pacifiquement en 2018-20194, l’occupant les a mitraillés comme à la foire. Alors le 7 octobre 2023, la « cocotte-minute » a explosé5 comme elle avait explosé le 1er novembre 1954 en Algérie après 124 ans d’un colonialisme particulièrement meurtrier6.

Mon père, seul survivant des 67 membres du groupe Manouchian arrêtés et torturés (par la police française) en novembre 1943, m’avait dit peu avant sa mort : « tu sais, on savait que, si on luttait, on était condamné à mort et, si on ne luttait pas on était aussi condamné à mort. Alors on a décidé de lutter ». Les Palestiniens, de Gaza comme de Cisjordanie, sont dans cette situation.

Gaza, le laboratoire du fascisme qui vient

La mondialisation libérale a permis le transfert d’une importante partie de la richesse produite dans le monde, depuis les salariés vers les dividendes des actionnaires. Les ultra riches et les oligarques affairistes accèdent au pouvoir suprême dans de nombreux pays et ils ne veulent pas de contre-pouvoirs. Des gouvernements de type mafieux apparaissent. Des dirigeants élus détruisent les lois pour se maintenir (Erdogan, Orban) ou n’hésitent pas à recourir à la violence (Trump, Bolsonaro, Poutine …).

Dans cette nouvelle phase, les textes internationaux et les structures qui ont été créées pour réguler le monde capitaliste deviennent des obstacles. Le droit international, l’ONU, les Cours de justice internationales, les traités pour freiner les appétits extractivistes, tout cela est à abattre.

Du coup, ce qu’Israël fait contre la Palestine est devenu un rêve éveillé pour les dominants de ce monde. Voilà un pays qui réprime avec une violence infinie les populations réputées dangereuses (Arabes, musulmans …), qui offre une revanche coloniale à tous les nostalgiques, voilà une start-up technologique qui fabrique les armes les plus perfectionnées. Les armées et les polices du monde entier viennent se former dans cet eldorado. En plus, ces armes montrent tous les jours leur efficacité en rasant Gaza et en terrorisant la population. Voilà un pays indispensable (avec les monarchies patriarcales et esclavagistes du Golfe) pour dominer le Proche-Orient et ses ressources stratégiques. Voilà un pays qui utilise avec succès l’antiracisme (la lutte contre l’antisémitisme) pour promouvoir le suprémacisme et l’écrasement de la moitié de la population qu’il contrôle.

Mais surtout, voilà un pays où le sionisme et la colonisation ont rendu idéologiquement hégémonique l’extrême droite dans sa variante coloniale et messianique. Les colons, les religieux, les Juifs venus du monde arabe, les Russes, l’armée … tous, même les exclus discriminés, ont adhéré majoritairement à un modèle social qui s’éloigne chaque jour un peu plus de celui de la « démocratie libérale ».

Pour nos principaux dirigeants politiques et pour nos grands médias, le soutien inconditionnel aux génocidaires israéliens, c’est l’adhésion à un modèle autoritaire, suprémaciste et militariste. C’est l’idée que, comme en 1938, la solution à la crise du capitalisme, c’est la liquidation des droits fondamentaux et des acquis sociaux. Les textes que quelques idéalistes avaient mis dans le paysage après 1945 sont à abattre au même titre que le compromis social mis en place à cette époque. Avec Nétanyahou et les assassins qui l’entourent, il n’y a plus de « droit international ». C’est la loi de la jungle et le droit du plus fort. Ce que Trump traduit par son projet de « Riviera » à Gaza.

Il y a des résistances. Les génocidaires avaient oublié la lutte des classes. Les dockers de Marseille et Gênes refusent de charger des armes vers Israël. Dans ce pays, pour la première fois depuis octobre 2023, des manifestants ont défilé avec les portraits d’enfants gazaouis assassinés. Quelques militants anticolonialistes ou les journalistes de Haaretz refusent la fascisation de leur société. Par dizaines de milliers, des Israéliens quittent leur pays parce que ce messianisme meurtrier leur est insupportable.

Il est devenu difficile en Europe d’être négationniste vis-à-vis du génocide en cours. Alors, à l’mage des « résistants du mois de septembre » 7, certains se mettent à condamner le « méchant » Nétanyahou et à vendre tout ce qui pourrait rendre Israël plus présentable, à commencer par la « solution à deux États ». La rabbine Delphine Horvilleur, celle qui affirmait qu’il n’y avait pas d’apartheid en Israël et que c’était une démocratie, regrette de « s’être tue trop longtemps ». L’ancien ambassadeur Élie Barnavi qui expliquait en décembre 2023 que le ratio de « deux civils tués pour un terroriste » était raisonnable, supplie le monde entier de débarrasser Israël de sa direction actuelle.

Il aura fallu 21 mois pour que les syndicats français appellent ensemble à manifester. Ils oublient juste dans leur appel de demander l’exclusion de la Histadrout de la Confédération Syndicale Internationale à laquelle ils appartiennent. Le secrétaire général de la Histadrout, Arnon Bar David, s’est pourtant fait filmer en train d’écrire (en plein génocide) sur un obus de la compagnie Elbit8 « avec le soutien des travailleurs israéliens ».

Il aura fallu 21 mois pour que le gouvernement français trouve « intolérable » … en fait, ce qu’il trouve intolérable, c’est d’être obligé de désapprouver. Mais tout ce qu’il pourrait faire pour arrêter ce génocide, cesser les livraisons d’armes, abroger l’accord économique Union Européenne-Israël, rappeler l’ambassadeur, cesser de criminaliser la solidarité avec la Palestine, il ne le fera pas.

Soutenir la Palestine, secourir la population de Gaza, ce n’est pas un supplément d’âme. C’est défendre nos droits, c’est lutter contre le racisme et le colonialisme, c’est refuser la généralisation de la loi de la jungle. C’est combattre un néo-fascisme qui vient.

Johann Chapoutot vient d’écrire « Les irresponsables » où il montre comment la droite « libérale » et les forces de gauche ont permis l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Meriem Laribi a écrit « Ci-gît l’humanité » en décrivant Gaza.

Sommes-nous en 1938 ?

La guerre en Palestine se joue en bonne partie chez nous. Elle repose sur notre capacité d’obliger nos gouvernements complices à sanctionner cet État génocidaire. La victoire de Gaza sera la notre. La défaite aussi, si elle a lieu.


Note-s

  1. Pour Ben Gourion «Dieu n’existe pas, mais il a donné cette terre au peuple juif».[]
  2. Syndicat des « travailleurs juifs » créé en 1920.[]
  3. La catastrophe en arabe.[]
  4. Les marches du retour.[]
  5. L’expression est de Michel Warschawski.[]
  6. Lire le livre d’Henri Louzon (éditions Acratie) qui montre qu’un tiers de la population a été tuée entre 1830 et 1870.[]
  7. Nom donné aux Français qui, après avoir été bien silencieux pendant l’occupation nazie, sont devenus plus résistants que les résistants après la libération de Paris en août 1944.[]
  8. Principale entreprise israélienne d’armement.[]