Un texte collectif de victimes et parents de victimes de violences policières.
Par une proposition de loi enregistrée le 20 octobre dernier, les députés de la majorité présidentielle entendent limiter le droit de diffuser l’image des agents de police et de gendarmerie dans l’exercice de leurs fonctions afin de leur apporter « un cadre d’action protecteur ». C’est oublier que, à l’inverse, le droit de filmer la police protège la population.
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La question de la restriction du droit de captation et de diffusion de l’image des forces de police est lancinante au « pays des droits de l’Homme ». Déjà en 2008, le Ministre de l’intérieur adressait à ses directeurs de services une circulaire par laquelle il leur rappelait que « Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image ».
Cet état du droit résulte du fait qu’en cette matière la liberté d’information prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée, sauf dévoiement par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête.
La stricte déontologie applicable aux agents de sécurité intérieure renforce d’autant plus ce droit à l’information, comme le rappelait la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans son avis n° 2005-29 : « Le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques ».
Pourquoi cette attaque en règle à une situation juridique stable et équilibrée ? Le parti au pouvoir semble motivé par des mobiles politiques qui auront pour conséquences malheureuses de faire entrave à la Justice.
Une motivation politique
La proposition de loi relative à la sécurité globale prévoit de punir la diffusion, « dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique », de l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale agissant dans le cadre d’une opération de police. Pourtant, le droit pénal regorge déjà d’instruments destinés à réprimer les atteintes, ou les appels à porter atteinte, à l’intégrité physique ou psychique des personnes, quel qu’en soit l’instrumentum. Pourquoi alors prévoir un nouveau délit ? L’explication est à rechercher ailleurs que dans le droit.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron est marqué par le mécontentement de la rue : situation quasi-insurrectionnelle insufflée par les Gilets Jaunes, grèves dures et manifestations des syndicats contre la réforme des retraites, mobilisation historique et internationale contre le racisme. Avec à chaque fois, au centre de l’attention, les violences policières, les mutilations et les décès. Le pouvoir s’est systématiquement activé à dénier l’existence de ces violences : si les manifestants perdent un œil, c’est qu’il fallait maintenir l’ordre public, et si des gens meurent à l’occasion d’une opération de police, c’est qu’ils souffraient déjà de problèmes de santé.
Deux événements récents ont toutefois installé une brèche dans ce déni : la mise sur le devant de la scène internationale des violences policières et le lancement de l’application Urgence Violences Policières. Le premier est né aux États-Unis après le meurtre par asphyxie de George Floyd par un agent de police, dont le retentissement ici a réuni plus de 20 000 personnes, le 2 juin devant le tribunal judiciaire de Paris, venues dénoncer les violences policières racistes en France. Le second a pour objet de permettre à toute personne témoin de violences policières de les filmer et les documenter en hébergeant les images sur un serveur externe, en prévention d’une saisie du téléphone par les agents de police ou d’une restriction à l’accès aux caméras de surveillance présentes sur les lieux.
L’application Urgence Violences Policières a provoqué l’ire des syndicats de police, tandis que la manifestation sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris a mis le parti au pouvoir dans l’embarras. Il fallait donc trouver une solution, répondre aux attentes de la société civile ou satisfaire les exigences de la police. La présente proposition de loi prend le second pari, et sans s’arrêter à protéger les agents de police et de gendarmerie contre un usage malveillant de leur image, vise en réalité à rendre invisibles leurs violences.
Une entrave à la Justice
Si les violences policières ne sont plus visibles, elles ne peuvent plus être prouvées à l’occasion d’un procès, privant les victimes et leurs familles de leur droit à connaître la vérité et faisant échapper leurs auteurs à toute responsabilité.
Le 5 mars 2015 au soir, Amadou Koumé meurt dans les locaux du commissariat du 10e arrondissement de Paris des suites d’un usage disproportionné de la force. Trois policiers ont été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » grâce aux différentes vidéos de la scène.
Le 2 février 2017, quatre policiers contrôlent un groupe de jeunes parmi lesquels se trouve Théo Luhaka. Ce dernier est immobilisé et se fait pénétrer par une matraque télescopique. C’est la vidéo des faits diffusée par le collectif Urgence Notre Police Assassine qui médiatisera l’affaire.
Le 6 octobre 2019, Ibrahima Bah décède dans un accident de moto à Villiers-le-Bel, où des véhicules de police sont impliqués. Sa famille lutte actuellement pour accéder aux images de la caméra de surveillance présente sur les lieux du drame.
Le 3 janvier 2020, Cédric Chouviat meurt asphyxié à l’occasion d’un contrôle de police. Sa famille a obtenu l’ouverture d’une procédure d’instruction grâce à la captation vidéo des faits.
C’est parce que ces violences policières ont été rendues visibles que des actions judiciaires ont pu être menées. S’adressant à une commission parlementaire le 5 novembre dernier, le procureur général près la Cour de cassation François Molins rappelait que c’était la diffusion sur les réseaux sociaux de la vidéo d’un coup de poing assené par un fonctionnaire de police sur un lycéen qui avait permis au parquet de Paris de poursuivre cet agent pénalement.
En l’absence de ces images, jamais les policiers et gendarmes impliqués dans ces violences n’auraient été inquiétés. Alors même que les fonctionnaires ne sont pas au-dessus des lois, et en particulier des lois pénales. Priver la population de la possibilité de constituer des preuves de faits délictueux, c’est conforter leurs auteurs dans l’irresponsabilité la plus totale.
Et dans ce cas, qui nous protégera de la police ?
Signataires : Diané Bah, Amal Bentounsi, Doria Chouviat, Jessica Koumé et Famille Luhaka.