par Marc Abramowicz
le 14 avril 2007
Du 14 au 19 avril se tient une conférence internationale sur les « Enfants cachés en Belgique pendant la Shoah » (shoah égal judéocide : dénomination que je préfère). Objectifs : reconnaissance aux Belges qui les ont sauvés, volonté de se retrouver ensemble, comprendre pourquoi la parole sur ces années de terreur ne s’est toujours pas libérée.
Première question, première indignation : pourquoi Jérusalem, pas Bruxelles, Anvers ou tout autre lieu en Belgique où nous avons pu échapper à la traque nazie grâce à des sauveurs belges ? Pourquoi pas dans notre pays où l’extrême droite raciste relève dangereusement la tête et menace à nouveau la démocratie ? En plus de nos enfants et petits-enfants, n’est-ce pas auprès de nos voisins que notre devoir de transmission et de reconnaissance doit s’exprimer pour lutter efficacement contre toute résurgence des idéologies racistes ?
Depuis 2001, début de la 2ème Intifada, la plus sanglante des répressions subie par le peuple palestinien depuis 1948, je me rends souvent en Palestine occupée et à Jérusalem : séjours dans le cadre de missions d’observation, de solidarité et d’action humanitaire envers les enfants palestiniens.
Pour moi qui, sous l’impulsion, entre autre, de ma conception du devoir de mémoire, lutte pour une paix juste pour les deux peuples en conflit, le choix de Jérusalem et surtout le programme des interventions et des visites lors de cette conférence (voir le site : http://www.hiddenchildrenil.com) est un acte de négation d’une réalité ou pire un acte politique symbolique, qui sous le couvert de motivations les plus louables, peut être considéré comme une perversion du devoir de mémoire. C’est le rabbin Hillel qui, déjà dans des temps reculés, disait : « Si je ne m’occupe pas de mes problèmes, qui s’en occupera ? Si je ne m’occupe que de mes problèmes, qui suis-je ? »
Envisager le devoir de mémoire à la lumière de ce principe de la morale juive m’amène à condamner une tendance générale des comportements et attitudes de nombreux juifs, tant en Israël que dans la diaspora : le repli identitaire basé sur une centralité sioniste, c’est-à-dire, s’identifier à Israël et aller jusqu’à traiter d’antisémitisme toute critique envers sa politique.
Dans le contexte actuel où de timides perspectives – plutôt des frémissements de paix – se dessinent grâce à l’échec de la guerre du Liban, à la capacité des Palestiniens à mettre sur pied un gouvernement d’union nationale, au plan de paix unanime des pays arabes et surtout au début de courage de l’Europe qui ose se distancer un tant soit peu de la politique agressive américaine bushienne, alors que sur le terrain la répression de l’armée israélienne et des colons se durcit (tueries récentes à Naplouse, agressions des manifestations pacifiques au village de Bil’in, rumeurs de préparatifs d’une nouvelle invasion de Liban….), le choix de Jérusalem est plus que jamais un grave déni de prise en considération de la souffrance palestinienne. La question du rabbin Hillel : « … Si je ne m’occupe que de mes problèmes, qui suis-je ? » est d’autant plus pertinente.
J’aurais accepté d’aller à cette conférence, si les organisateurs ou même quelques participants m’avaient invité, moi ou d’autres, comme guide témoin de la situation vécue par les Palestiniens dans la partie arabe de Jérusalem. Il ne m’aurait suffit que d’une journée pour :
– faire le tour des nombreuses colonies qui encerclent et s’incrustent autour et dans cette partie de la ville ; qui la phagocytent lentement mais inexorablement depuis bientôt 40 ans (juin 1967),
– suivre le mur de séparation construit et en construction, qui divise et ghettoïse les habitants, rend leur vie quotidienne, familiale, professionnelle, scolaire, sanitaire, économique très très compliquée, et souvent dramatique,
– rencontrer des Israéliens, jeunes, adultes, vieux, luttant sur tous les fronts de la spoliation et des injustices aux côtés des Palestiniens,
– discuter avec des militants pacifistes palestiniens prônant la résistance civile et culturelle.
Etre fidèle à mon devoir de mémoire, c’est retrouver certains souvenirs de mon enfance pendant la traque, souvenirs qui peuvent expliquer le type d’actions auxquelles je participe en Palestine :
– j’ai été exclu de l’école n° 4 place de Bethléem (à Saint-Gilles) en 1941, suite aux premières mesures antijuives nazies : j’organise une formation à l’aide psychologique d’instituteurs et mères d’élèves et d’enfants à Qalqilia, première ville palestinienne à être complètement entourée depuis 2003 par le mur et la barrière de sécurité israéliens ; pour moi, comme pour l’ONU d’ailleurs, il s’agit plus d’un mur de spoliation et d’apartheid que de sécurité ;
– j’ai vécu dans la rue Coenraets l’arrestation en 1942 par une patrouille allemande de celui que nous appelions « Tarzan », jeune adulte admiré par les enfants juifs du quartier, il était gentil et surtout très fort ; paniqué, je voulais atteindre la sonnette, trop haute, du couple qui me cachait, j’ai fait pipi dans ma culotte : les enfants palestiniens souffrent de plus en plus d’énurésies nocturnes et diurnes, provoquées parfois rien que par le bruit d’explosion d’un moteur ;
– j’ai reconnu mon regard apeuré quand j’étais séparé de ma mère pendant la guerre, dans les yeux d’un enfant palestinien collé à sa mère après que nous les avions aidés à passer le Mur à Abou Diss (à l’époque, le Mur ne mesurait que 2 mètres et quelques, à présent plus de 8 !).
Je laisse, pour terminer cet article, ce cri d’indignation, la parole à Monsieur Shaul Harel, MD président de la Conférence, parole qui illustre clairement la non prise en considération d’une souffrance actuelle d’un peuple dont le seul tort est avant tout de refuser de payer, en perdant son sol, pour un crime commis contre un autre peuple il y a plus de soixante ans :
« Nous faisons cette conférence pour nous rappeler qu’il nous est interdit de revivre la Shoah. Pourtant il y a bien peu longtemps, des enfants se sont cachés en Israël dans des refuges situés dans des régions bombardées, bien qu’aujourd’hui, pas comme avant, nous pouvons nous valoir de nos forces et ne pas rester impotents. »
Marc Abramowicz est psychothérapeute et formateur.