Suite à l’éviction sous pression islamophobe de Mohamed Saou, voici la lettre de Marwan Muhammad (directeur exécutif du CCIF) envoyée hier matin à Emmanuel Macron et à son équipe :
Monsieur Emmanuel Macron,
J’ai pris connaissance de l’éviction de M. Mohamed Saou, le référent En Marche dans le Val d’Oise, ainsi que des conditions dans lesquelles cette décision a été prise. Au meilleur de ma bonne volonté, je ne perçois pas en quoi, selon le récit qui m’en est fait par des journalistes comme par de nombreux sympathisants de votre mouvement, M. Saou se serait rendu coupable de quelque agissement que ce soit justifiant sa mise en retrait.
J’ai par ailleurs noté que mon nom a été associé à plusieurs reprises à cette éviction, initiée sous pression des réseaux d’extrême droite mais surtout de Mme Céline Pina, qui accusait M. Saou de mettre « son identité musulmane en avant dans beaucoup de ses prises de position » et d’avoir (?) relayé certaines de mes publications, dont la photo d’un enfant réfugié offrant un cookie à des garde-frontières hongrois.
J’apprends également avec stupeur que l’une de vos cadres, Aurore Bergé, a réclamé il y a quelques temps « la dissolution du CCIF » qu’elle considère comme « un danger » pour la République. Est-ce la position de votre mouvement et, si non, au nom de qui Mme Bergé s’exprime-t-elle ?
Ne le connaissant pas avant cette polémique, j’ai du mal à comprendre en quoi Mohamed Saou devrait cacher ou dissimuler sa foi, pour satisfaire aux exigences d’une polémiste comme Mme Pina, évincée du Parti Socialiste et même du très droitier Printemps Républicain, après avoir tenu des positions extrêmes, comparant notamment le foulard que portent certaines femmes musulmanes à « un brassard nazi » ; Pas plus que je ne comprends en quoi partager mes opinions, toutes disponibles en ligne à travers des textes, des vidéos et un livre dont mon éditeur vous a fait parvenir une copie, constituerait une offense aux valeurs d’égalité, de dignité et de diversité que vous prétendez incarner.
En stricte conformité avec la règle non-partisane du CCIF en matière de positionnement électoral, je réserve mon jugement personnel sur votre programme, mais je vous demande de me préciser par quelle logique un militant pris pour cible parce qu’Arabe, musulman, issu des quartiers populaires, s’étant démené pendant des mois pour faire votre campagne et rallier, à votre avantage, des milliers de soutiens, serait mis de côté sur simple pression islamophobe.
Car c’est très précisément de cela qu’il s’agit : c’est bien l’expression de son islamité qui lui est reprochée par celles et ceux qui ont exigé de vous son éviction.
Le mouvement En Marche est-il plus réceptif à des rapports de force sur les réseaux sociaux qu’à l’engagement durable de ses militants ?
Par milliers, des sympathisant-e-s d’En Marche de confession musulmane, notamment issus des quartiers populaires (mais pas uniquement), ont été sensibles à votre démarche et se retrouvent dans une totale incompréhension, face à ce type de pratiques qu’ils croyaient révolues, tant ils/elles ont été écoeuré-e-s des approches clientélistes et des trahisons qui ont si durement marqué le rapport d’autres partis aux quartiers populaires et aux citoyen-ne-s qui y vivent. Si nombreux, ils me demandent depuis trois jours de prendre position, suite à ce qu’ils interprètent, pour reprendre l’expression si dure et si crue de l’un d’entre eux, comme « le dégageage d’un Arabe pour faire plaisir aux racistes ».
Je ne doute pas un seul instant qu’au sein de votre équipe, de si scélérates pratiques n’ont pas lieu d’être et que vous condamnerez, avec toute l’énergie dont vous êtes capable, ce chantage à l’exclusion et cette chasse aux sorcières digne d’un autre temps.
Mais plus largement, je vous demande officiellement une clarification : je ne tolère pas que mon nom ou celui de l’association que j’ai l’honneur de diriger soit associé, de quelque manière que ce soit, à ce type de polémiques.
À ce titre, ce triste épisode ayant abouti à la mise en cause de l’un de vos militants les plus investis, sans le moindre soutien de la part de votre équipe dirigeante, nous donne l’occasion de vous poser trois questions pour clarifier les choses et avancer :
1) Quelle est votre position sur la lutte contre l’islamophobie ? Si vous devenez le prochain président, travaillerez-vous avec les universitaires et les acteurs de la société civile qui portent cette question, en rompant avec le déni de réalité qui a prévalu jusqu’à présent au sein de l’antiracisme d’Etat. Aurez-vous la volonté politique de mettre en place les recommandations formulées par le Défenseur des Droits et la CNCDH sur ces questions.
2) Quelle est votre position sur la laïcité ? Serez-vous sur la ligne de la loi de 1905, garantissant à chacun-e la libre pratique et la libre expression de sa foi, selon les recommandations répétées de l’observatoire de la laïcité, dont vous assurerez la continuité, ou bien tolérerez-vous, y compris dans vos rangs, les tenants d’une laïcité identitaire, clivante et exclusive, incarnée par le Printemps Républicain, hérauts de « l’insécurité culturelle » et de « l’islamisation » du territoire ?
3) S’agissant des discriminations structurelles, notamment celles constatées au sein des services publics (refus d’accès, inégalités de prestations, contrôle au faciès, refus de plainte), êtes-vous favorable à un audit indépendant sous la tutelle du Défenseur des Droits et de la CNCDH pour fournir un diagnostic et des recommandations, qui donneront lieu à la mise en œuvre d’une vaste politique publique pour l’égalité réelle ?
Sur l’ensemble de ces sujets, le CCIF adopte une approche pragmatique, en ne se limitant pas à un constat critique, mais en proposant également des solutions concrètes. Ces trois questions revêtent une importance toute particulière dans le contexte actuel et vous permettront, je l’espère, d’exprimer votre projet sur ces sujets aussi clairement que possible.
J’ai bien compris votre souhait, dans cette campagne, de lier les points de vue et de chercher le consensus, autant que possible. Mais il existe une limite, en fonction des sujets, à ce type d’approche. Celui-ci en fait partie, rappelant qu’à l’occasion, faire de la politique c’est aussi prendre position. Or, face à la condition qui est faite aujourd’hui aux musulmans, aux Arabes, aux Noirs, aux asiatiques, aux Rroms, aux quartiers populaires, ne pas prendre position est, en soi, une position à part entière, car si nous sommes effectivement tou-te-s né-e-s sous la même étoile, celle-ci n’éclaire pas de la même lueur les sentiers de vie que nous arpentons.
En fonction de votre réponse (ou de son absence), je serai alors en mesure de m’exprimer publiquement sur le sujet, en direction de nos contacts médias, de nos 17 antennes régionales, de nos 14000 adhérents et de nos 350000 abonnés, sur les newsletters et les réseaux sociaux.
Chaque électeur sensible à ces questions pourra alors faire, en conscience, un choix éclairé.
Bien cordialement,
Marwan Muhammad
Directeur du CCIF