États-Unis : la guerre contre la campagne BDS est une guerre contre la liberté d’expression

lundi 14 août 2017

Ramzy Baroud – Il y a quelque chose d’immoral qui se produit à Washington D.C, et ses conséquences peuvent être graves pour beaucoup de monde et en particulier pour la santé de la démocratie américaine.

Photo : MaanImages

Le gouvernement américain déclare la guerre au mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) palestinien. L’offensive anti-BDS est en cours depuis plusieurs années, mais surtout depuis 2014.

Depuis, 11 États américains ont adopté et promulgué une loi visant à criminaliser le mouvement soutenu par la société civile et qui vise à faire pression sur Israël pour mettre fin à son occupation de la Palestine.

Washington mène maintenant la lutte, légitimant ainsi le comportement antidémocratique des États au niveau individuel. Si les efforts du gouvernement des États-Unis réussissent, une démocratie américaine déjà en difficulté tombera encore un peu plus bas, et de nombreuses personnes pourraient être punies pour avoir fait le choix d’agir en fonction de leurs valeurs politiques et morales.

Le projet de loi 720 du Sénat (S.720), également connu sous le nom de Loi sur le boycott anti-israélien, a été largement rédigé par le puissant et notoire lobby pro-israélien à Washington, le Comité israélien des affaires publiques d’Israël (AIPAC).

Selon son propre « Agenda de lobbying 2017 », l’AIPAC a fait de l’adoption du projet de loi sa priorité absolue.

Le Congrès des États-Unis se plie aux intérêts israéliens et par sa « main-mise » sur les élus, l’AIPAC prend le pas les électeurs américains.

Ainsi, il n’était pas surprenant de voir 43 sénateurs et 234 représentants de la Chambre soutenir le projet de loi, qui a été présenté pour la première fois en mars.

Bien que le Congrès ait habituellement soutenu Israël et condamné les Palestiniens – ainsi que tout responsable politique ou entité qui ait osé reconnaître les droits des Palestiniens – le Congrès va cette fois encore plus loin et met en péril les droits fondamentaux de ses propres électeurs.

Le Premier amendement à la Constitution des États-Unis a été le pilier de la défense du droit des individus à la liberté d’expression, à la liberté de la presse, « le droit des gens de se réunir pacifiquement et de demander au gouvernement de corriger les griefs ». Ce droit, Cependant, a souvent été remis en cause lorsqu’il s’applique à Israël. Le Centre pour les droits constitutionnels se réfère à ce fait comme à « l’exception palestinienne ».

Le projet S.720, cependant, s’il est adopté, consolidera le nouveau statut américain, celui d’une « démocratie qui régresse », par opposition à une nation disposant d’une pleine démocratie qui légifère et applique toutes les lois équitablement et de manière égale pour tous ses citoyens. La loi transformerait en « félonie » pour les Américains le fait de soutenir le boycott d’Israël.

La punition de ceux qui enfreignent la loi proposée ira de 250 000 dollars à 1 million, et/ou à 20 ans de prison.

Le projet de loi a déjà eu de nombreux effets sur de nombreux groupes dans le pays, en particulier parmi les militants afro-américains qui luttent contre le racisme institutionnalisé. Si le projet de loi devient la loi, ce précédent deviendra alors la norme, et les dissidents se retrouveront devant les tribunaux pour leurs simples opinions.

En ce qui concerne Israël, le Congrès américain est uni. Les législateurs républicains et démocratiques agissent souvent de manière contraire aux intérêts de leur propre pays, juste pour plaire au gouvernement israélien. Ce n’est pas un secret.

Cependant, le danger réel est que de telles lois aillent au-delà de l’allégeance aveugle traditionnelle à Israël, le gouvernement punissant alors les personnes et les organisations pour les choix qu’elles font, les valeurs qu’elles défendent ou pour une simple demande d’informations sur un problème qu’elles pourraient juger préoccupant.

Le 17 juillet, l’Union américaine des libertés civiles (ACLU) a publié une lettre demandant aux législateurs qui ont signé la version du projet de loi soumise au Sénat de reconsidérer leur décision.

« Le projet de loi punirait les entreprises et les particuliers, en se fondant uniquement sur leur point de vue. Une telle condamnation est en violation directe du premier amendement », a déclaré l’ACLU.

Une seule personne, jusqu’à présent, aurait reconsidéré son soutien, la sénatrice démocrate de New York Kirsten Gillibrand. Elle a demandé que son nom soit retiré de la liste des co-signataires.

La réaction de l’AIPAC a été immédiate, appelant son armée de partisans à faire pression sur la sénatrice pour qu’elle remette son nom sur la liste et « réaffirme son engagement à lutter contre la délégitimation internationale d’Israël ».

Pourtant il y a quelque chose de positif dans tout cela. Pendant de nombreuses années, on a perçu à tort que l’exigence israélienne du soutien américain contre les Palestiniens et les Arabes n’était, en aucun cas, celle d’un pays étranger s’immisçant ou entravant le système politique des États-Unis ou compromettant la démocratie américaine.

Mais aujourd’hui, la loi anti-BDS est la plus flagrante de ces interventions, car elle touche au Premier amendement, le fondement même de la démocratie américaine, en instrumentalisant les législateurs américains pour mener à bien ce terrible objectif.

Ce projet de loi met Israël en pleine lumière, ainsi que ses hordes de partisans au Congrès. De plus, il présente aux défenseurs des droits de l’homme l’opportunité de défendre la campagne BDS, ce qui revient à défendre les droits du peuple palestinien comme les droits de tous les Américains. Ce serait la première fois depuis de nombreuses années que la lutte pour les droits des Palestiniens pourra être débattue ouvertement et contextualisée d’une manière qui fera comprendre à la plupart des Américains que cela concerne leur vie quotidienne.

En fait, c’était l’un des objectifs du BDS, dès le départ. Alors que le boycott et la délégitimation de l’occupation militaire israélienne sur les Palestiniens sont au cœur du mouvement soutenu par la société civile, le BDS vise également à susciter un débat urgent sur Israël et la Palestine.

Bien que ce ne soit pas son objectif, le Congrès rend cela très possible.
Le projet de loi et les initiatives législatives aux États-Unis – et en Europe – sont également une source d’espoir en ce sens que tout cela ramène aux événements mêmes qui ont précédé la disparition du régime d’apartheid en Afrique du Sud.

Les gouvernements américains et britanniques en particulier s’opposaient au mouvement de libération sud-africain, condamnaient le boycott et ont soutenu jusqu’au bout le régime raciste et autoritaire de P. W. Botha. L’ancien président américain Ronald Reagan voyait Nelson Mandela comme un terroriste. Mandela a dû attendre 2008 pour être retiré de la liste américaine du terrorisme.
Il est clair que les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël étaient les partisans les plus ardents de l’apartheid en Afrique du Sud.

Maintenant, c’est comme si l’histoire se répétait. La version israélienne de l’apartheid se bat pour une légitimité et refuse de céder d’un seul pas. Elle veut coloniser toute la Palestine, maltraiter ses habitants et violer le droit international sans tolérer un seul mot de condamnation, qu’il vienne d’un individu ou d’une organisation.

Le gouvernement des États-Unis n’a pas non plus beaucoup changé. Il continue de soutenir la forme israélienne de l’apartheid, tout en rendant sans honte hommage à l’héritage de Mandela et à sa lutte anti-apartheid.

Bien que le nouveau chapitre de la lutte anti-apartheid a pour nom « la Palestine », les États-Unis et ses partisans occidentaux continuent de répéter les mêmes politiques qu’ils ont pratiquées à l’encontre du peuple sud-africain.

En ce qui concerne les véritables défenseurs des droits de l’homme, indépendamment de leur race, leur religion ou leur citoyenneté, c’est leur moment ! Aucun changement significatif ne se produira sans que les peuples ne soient unis dans la lutte et les sacrifices.

Dans un de ses discours, l’abolitionniste américain et ancien esclave Frédéric Douglass déclarait : « Le pouvoir ne concède rien sans y être obligé. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais ».

Le Congrès des États-Unis, avec l’aide de l’AIPAC, criminalise cette exigence de justice.

Les Américains ne devraient pas tolérer cela, et si ce n’est pour le bien des Palestiniens, que soit au moins pour le leur.

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* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.
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9 août 2017 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

Lien pour accéder au texte original (anglais) de l’article : http://www.palestinechronicle.com/the-palestine-exception-war-on-bds-is-now-a-war-on-american-democracy/

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