Etat d’urgence : les surveillant.e.s des collèges et lycées formé.e.s à l’islamophobie

Article publié sur le site de Paris-Luttes.info, le 12 novembre 2016.

Témoignage critique de la seule formation organisée par l’académie de Paris à destination des surveillant.e.s de collèges et lycées et consacrée aux thèmes de la laïcité et des « signes avant-coureurs de radicalisation djihadistes »

Ce texte est le témoignage critique d’une formation organisée par l’académie de Paris à laquelle j’ai assisté en qualité de surveillant de collège (ou AED pour « assistant d’éducation »). Je n’avais absolument pas prévu d’en faire un compte-rendu critique, mais le contenu de cette formation destinée à l’ensemble des surveillant.e.s parisien.ne.s (et sans doute à l’ensemble du personnel éducatif français) m’a semblé assez grave pour mériter cet effort maladroit de ma part. Il faudrait donc compléter mon propos par d’autres témoignages et, idéalement, par un véritable travail d’enquête et de réflexion.

Le statut de cette formation est, au mieux, ambigu. En effet, elle fut présentée comme obligatoire par mon conseiller principal d’éducation mais on peut lire sur la convocation elle-même : « votre candidature à ce stage vous engage à y participer », or je ne me suis jamais porté candidat, ni moi ni les autres surveillant.e.s avec qui j’ai pu discuter. Ce point ne me semble pas anodin et signale sans doute une gêne de l’éducation nationale relativement aux propos qui nous ont été tenus. Cette ambiguïté pourrait permettre à l’institution de minimiser l’importance de cette formation en cas de critiques.

Venons-en au contenu de cette formation de trois heures. La plus grande partie (environ deux heures) consistait en une présentation et une discussion autour du principe de laïcité, et ce, du point de vue le plus strictement juridique possible ; point de vue garant de « neutralité » d’après le juriste en charge d’animer cette partie de la formation.

Sans surprise l’écrasante majorité des cas concrets donnés impliquaient la religion musulmane (on repassera pour la neutralité). Biais que vint dramatiquement confirmer le second thème de cette formation : identifier les signes avant-coureurs de radicalisation djihadiste.

C’est à l’occasion de ce second thème que la formation prit une tournure proprement sidérante. Mais avant d’en parler, je voudrais résumer ce que j’ai compris de la première partie, dans l’espoir d’être repris si nécessaire par des personnes plus informées que moi sur la question de la laïcité à l’école.

Étant donné la nature monolithique des exemples donnés j’ai (et je ne pense pas avoir été le seul dans ce cas) eu du mal à comprendre que le principe de laïcité s’étend en réalité à toute forme d’idéologie, qu’elle soit religieuse ou politique.
J’entends par idéologie un ensemble de valeurs, de normes et de pratiques transmises par des discours, des mythes et des images. Le principe de laïcité vise donc à empêcher la propagande de toute idéologie au sein de l’école. Il s’oppose donc à un autre principe républicain : la liberté d’expression, qui doit être modérée dans certains espaces, l’école en particulier. Tu peux être militant.e anarchiste hors des murs de ton collège ou de ton lycée, mais une fois que tu pénètres dans l’établissement scolaire, cette liberté peut être limitée par le principe de laïcité.

La réalisation concrète de cette limitation est bien sûr en grande partie arbitraire : comment tracer une limite franche et objective entre le fait d’exprimer son opinion et le fait de faire de la propagande ou du prosélytisme ? Cette limite dépend donc avant tout de décisions politiques de la part du gouvernement, ainsi que des décisions, tout aussi politiques, que prennent les différents membres du personnel d’éducation dans l’application de cette norme.

Il y a, bien entendu, une idéologie qui a libre cours malgré le principe de laïcité, c’est l’idéologie républicaine. Je peine à croire qu’on m’encouragera à modérer le discours d’un.e élève qui vanterait les mérites des principes d’égalité, de liberté et de fraternité à longueur de récréation. La douille étant que ce discours ne serait pas idéologique mais neutre. Comme si ces principes n’avaient pas d’abord été révolutionnaires.

Bref, il semble que le principe de laïcité doive permettre à l’État de s’octroyer temporairement et localement un monopole idéologique afin de produire, autant que faire se peut, une certaine uniformisation des valeurs et des pratiques partagées par les citoyens, afin de les rendre plus aisément gouvernables. Il faut bien voir que ce monopole temporaire et local n’est pas franchement en accord avec les principes de liberté et d’égalité. Un statut d’exception qui n’est possible qu’en raison d’un autre statut d’exception : le minorat qui fait que les personnes âgées de moins de 18 ans ne jouissent pas des mêmes droits que les autres. Pour un exposé et une critique de ce statut d’exception voir La domination adulte : L’oppression des mineurs de Yves Bonnardel, tout particulièrement les pages 285 à 294.

Et vu la formation qu’on s’est tapée, le pouvoir actuel semble considérer que la seule idéologie concurrente représentant une menace pour l’idéologie républicaine serait la religion musulmane (telle qu’il se la fantasme en tous cas).

Ce qui explique qu’une formation destinée à l’ensemble des surveillant.e.s parisien.ne.s puisse passer peinard pépère d’une discussion sur la laïcité à l’implication du personnel éducatif dans la lutte contre le djihadisme. Passons donc au morceau de résistance, le second thème de cette formation. Et là ça devient absolument n’importe quoi, d’autant que les intervenant.e.s, à l’aise et assuré.e.s dans leur laïus sur la laïcité, perdent alors leurs moyens et ne savent plus trop sur quelle jambe danser.

Il et elles devaient en effet tenir ensemble deux positions contradictoires : on va vous encourager à faire un travail de police (identifier et rapporter les « signes avant-coureurs de radicalisation ») mais sans vous le demander explicitement vu que ça n’est pas votre travail et que vous n’êtes pas habilité.e.s à prendre ce genre de décision.

Dans une tentative de compréhension et d’explicitation quelqu’un dans la salle demande alors si on nous encourage à faire de la délation ; réponse : non, non pas du tout, il s’agit de faire du signalement. Rien à voir donc.

J’insiste sur le fait que nos intervenants.e.s étaient véritablement embarrassé.e.s et peu assuré.e.s dans leurs réponses. D’autant que les affaires vont encore se gâter quand ils/elles vont s’efforcer de motiver les troupes à l’aide d’un chiffre et d’un exemple.

Le chiffre d’abord : 100 élèves ont été signalé-es et identifié-es comme se radicalisant depuis deux ans et pour l’académie de Paris seulement. Alors forcément, dit comme ça, on imagine 100 gamin.e.s partir pour un camp d’entraînement et revenir avec une ceinture d’explosif et on trouve ça franchement grave.
Mais lorsque l’on demande quelque précision sur ce chiffre : de quoi ces jeunes étaient accusé.e.s exactement ? Quels étaient les détails et les conséquences de ces procédures de signalement ? La réponse est sidérante : ces informations ne sont pas disponibles et si elles l’étaient on ne vous les communiquerait probablement pas.
Certain.e.s insistent un peu ; réponse : un certain nombre de ces procédures ont occasionné une judiciarisation, mais on ne peut pas vous en dire plus. Et voilà ce joli chiffre tout rond et tout précis qui se casse magistralement la gueule dans un flou tout à fait suspect.

L’exemple donné ensuite en remet une petite couche qui n’était pourtant pas nécessaire. Un élève du lycée Hélène Boucher aurait été arrêté à temps alors qu’il planifiait méticuleusement l’assassinat de la directrice de l’établissement. L’exemple devait illustrer un point très simple : personne dans l’établissement ne l’avait vu venir, il s’agissait d’un très bon élève qui n’avait aucun contact avec la vie scolaire.
J’imagine que cet exemple devait nous mettre dans un état d’esprit paranoïaque afin de nous encourager à guetter et « signaler » le moindre « signe de radicalisation ». Raté.

Quelqu’un prend la parole pour signaler une contradiction évidente : vous nous demandez de fliquer de potentiels djihadistes pour ensuite nous dire qu’ils sont souvent indétectables pour l’ensemble du personnel éducatif. Un ennemi monstrueux et invisible auquel on devrait répondre par une suspicion de chaque instant à l’égard de nos collégien.ne.s et lycéen.ne.s musulman.e.s : voilà un chouette projet qui ne devrait pas développer un sentiment de stigmatisation et de discrimination propice à la radicalisation.

D’autant qu’en l’absence de signes religieux distinctifs (laïcité oblige) ou d’une quelconque capacité à identifier les croyances des élèves en les regardant dans les yeux, notre entreprise de surveillance se basera probablement sur des critères raciaux.
En route donc pour un soupçon général à l’égard des élèves noir.e.s et arabes ! Ça promet une bonne ambiance fraternelle tout ça !

Et puis c’est déjà bien engagé en plus. J’ai à ce propos une anecdote assez révélatrice.
Dans le cadre du plan vigipirate, je suis censé disperser les élèves qui auraient envie de rester devant le collège à la sortie des cours, sous prétexte qu’illes seraient une cible potentielle.
Quand illes me demandent très légitimement une explication et que je commence à leur dire que c’est vigipirate, je suis systématiquement interrompu par la même exclamation : mais on n’est pas des terroristes !
Ces collégien.ne.s ont donc déjà très bien intériorisé.e.s le soupçon qui pèse sur eux et elles, ça ne les troublerait sans doute pas plus ça que je me mette à guetter le germe djihadiste qui pourrait sommeiller au fond de leur âme.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’insister sur le fait qu’en plus d’être profondément discriminantes, les pratiques promues par cette formation sont, dans toute la force de ces termes, absurdes et irrationnelles.
D’abord elles tendent à produire ce contre quoi elles prétendent lutter.
Ensuite c’est une imposture remarquable et délirante de faire comme si le problème principal des surveillant.e.s (le seul à mériter une formation à part entière en tous cas) était la présence d’élèves musulman.e.s : les « modéré.e.s » devant être encadré.e.s par le principe de laïcité et les « radicalisé.e.s » devant être identifié.e.s et dénoncé.e.s.

J’ai tout simplement du mal à comprendre comment l’éducation nationale peut à ce point se voiler la face pour ensuite s’efforcer de faire avaler des conneries pareilles à des gens qui travaillent quotidiennement en collège et lycée et sont donc très bien placé-es pour percevoir l’étendue colossale de l’arnaque.

Et c’est d’ailleurs le seul point positif que je retiens de cette formation ; la majorité des prises de paroles (on devait être une quarantaine au total et un petite quinzaine prenait régulièrement la parole) dénotaient un mélange d’incrédulité et d’hostilité. Alors c’est loin d’être assez représentatif pour permettre des généralisations, mais ça a le mérite de donner un peu d’espoir.

Je termine ce témoignage par la dernière question d’un de ces islamo-gauchistes qui a conclu de façon assez ironique trois heures de formation à l’islamophobie : Je ne supporterais vraiment pas de demander à une élève de retirer son voile à l’entrée de l’établissement, cela me donne-t-il le droit de ne pas le faire ? Ce à quoi une intervenante a répondu rigolarde que c’était hors de question et qu’il devrait peut-être envisager de démissionner.