Et de quatre : carrousel électoral en Israël sur le dos des Palestiniens

Quatre élections en deux ans : qui dit mieux ? Israël fait concurrence avec la France de l’après-guerre ou bien avec l’Italie des années 70 pour l’instabilité politique. Pourquoi ? Parce qu’un homme, Benyamin Netanyahou, s’accroche au pouvoir à tout prix. Pourquoi ? Afin d’échapper aux accusations qui pèsent contre lui pour corruption, fraude, abus de confiance, conflits d’intérêt, concussion et enrichissement personnel. Le seul moyen d’éviter son procès est de garder sa place à la tête du gouvernement. Quitte à affronter ses juges une fois qu’il cessera de diriger les destins du pays. Comme démarche démocratique, on a vu mieux.

Mais il y a pire. On n’a qu’à examiner quelques interventions « électorales » récentes. Deux semaines avant le vote d’avril 2019 les forces israéliennes ont pilonné Gaza avec pas moins de 100 raids aériens. Puis juste avant le vote de septembre 2019, l’aviation israélienne a bombardé la Syrie, l’Irak et le Liban. À l’approche de l’échéance imposée par le Code électoral pour former un nouveau gouvernement en novembre 2019, l’armée israélienne avait commis des exécutions extrajudiciaires en assassinant deux dirigeants du Djihad islamique à Damas et à Gaza, sans oublier le pilonnage habituel de ce territoire palestinien enclavé, faisant plus de 30 morts civils. Puis deux semaines avant le scrutin de mars 2020, les avions de chasse ont de nouveau frappé la Syrie et la Bande de Gaza. Aussi cynique que criminel, c’est un grand classique à l’approche des élections dans l’État hébreu. Les bruits de bottes favorisent toujours la droite va-t-en guerre, et c’est bien elle qui est au pouvoir à Tel-Aviv.

En 2019 le premier vote aux élections générales a donné une avance au parti Likoud de Netanyahou, qui a formé un gouvernement minoritaire. Le dernier vote en 2019, tenu en novembre, s’est soldé par un match nul entre Netanyahou et son principal rival Benny Gantz (parti Bleu-Blanc), qui ont tous les deux obtenu le même nombre de sièges et presque le même nombre de voix (26,5 % contre 26,11 %). Ils devaient pratiquer l’alternance comme premier ministre à mi-mandat mais avant que le général Gantz ait pu accéder à ce poste le parlement s’est dissout le 23 décembre, faute d’un accord sur le budget, ce qui provoque une fois de plus de nouvelles élections.

Le Likoud avec Netanyahou à sa tête et leurs alliés d’extrême droite gouvernent le pays depuis plus de 10 ans sur un programme d’occupation, d’expansion coloniale et de militarisme, braquant leurs armes tantôt sur des pays voisins (Liban, Syrie et même Irak) tantôt sur les Palestiniens dans les territoires occupés. Les deux derniers mandats de Netanyahou étaient un comble avec la proclamation de « l’État-nation du peuple juif » (niant les droits des Palestiniens de 48, citoyens d’Israël) et l’établissement de relations officielles entre Israël et plusieurs pays arabes (Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc). Puis « Bibi » a annoncé ses plans d’annexion de 30 % de la Cisjordanie occupée, sans toutefois pouvoir le mettre en œuvre. Tout cela va dans le sens d’enterrer toute perspective d’une paix négociée avec les Palestiniens.

Et pourtant, une force inattendue a fait irruption sur la scène politique israélienne dans ce paysage dévasté : la Liste unie. Ce n’est pas une enième coalition électorale de partis sionistes mais bien une alliance des communistes et des partis arabes. Dès 2015 elle est devenue le troisième groupe parlementaire à la Knesset et elle le reste aujourd’hui. Puis son bastion traditionnel (les Palestiniens de 48, soit 20 % de la population) s’est élargi à un nouvel électorat : une partie du vote juif en Israël. Les Juifs progressistes votaient traditionnellement pour la gauche sioniste (Travaillistes, Meretz) avec un vote résiduel pour le Parti communiste dont la base électorale stable demeure la population palestinienne d’Israël. Mais voilà, depuis quelques années maintenant de plus en plus de Juifs israéliens votent pour Hadash (le PC israélien) et la Liste unie. C’était le cas lors des élections tenues en septembre 2019 où une centaine d’universitaires ont appelé leurs concitoyens juifs à voter pour la Liste unie, qu’ils décrivent comme « la maison de tous ceux qui croient en une totale égalité civile et nationale pour les Arabes et les Juifs, veulent en finir avec l’occupation, souhaitent la démocratie, la paix et la justice sociale ». Ils ont été entendus et le vote juif a permis à cette liste de maintenir sa position comme troisième groupe parlementaire. Aux dernières élections plus de 20 000 électeurs juifs ont choisi cette coalition communiste-arabe. Lors du scrutin de mars 2020 dans certaines villes à majorité de gauche, le nombre de Juifs ayant voté pour la Liste unie a doublé.

Et la contestation juive contre l’occupation et de la situation d’apartheid imposée aux minorités arabes à l’intérieur d’Israël (les Palestiniens de 48 et les Bédouins) ne se manifeste pas seulement dans les urnes mais surtout dans la rue. Depuis six mois des Israéliens manifestent tous les samedis contre leur gouvernement pour dénoncer la gestion désastreuse de la crise sanitaire et la crise économique. Mais la question palestinienne n’est jamais loin dans ces marches et rassemblements, où citoyens juifs et arabes manifestent ensemble.

Et c’est là ou se trouve l’espoir pour l’avenir, que ce soit à l’occasion de la prochaine échéance électorale ou plus loin au cours des prochaines années. Afin de venir au bout de la colonisation des Territoires et de l’apartheid israélien à l’intérieur même des frontières de l’État hébreu il faut une approche radicalement différente. Le jour du vote (qui arrive souvent en Israël ces temps-ci) cela pourra se traduire par un large rassemblement des électeurs, autant juifs qu’arabes, sur la base des revendications démocratiques et anticolonialistes. Dans les Territoires occupées c’est la résistance des Palestiniens qui demeure un élément indispensable. Cette résistance n’a jamais cessé, même si elle a pris des formes différentes au cours des années. Le tout avec le soutien actif du mouvement de solidarité international, largement incarné par la campagne BDS. Ce sont ces forces, à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël, qui peuvent venir au bout de Netanyahou, de Gantz et de leurs velléités d’occupation sans fin.

Et pourtant, les élections de mars 2020 auraient pu se passer autrement. Car au lieu de faire un pacte avec à son rival Netanyahou – avec qui il avait jadis promis de ne jamais faire alliance – Gantz avait d’autres choix devant l’arithmétique parlementaire qui s’offrait à lui, compte tenu de la kyrielle des petits partis qui peuplent la Knesset. S’allier avec la Liste unie ? Cela lui aurait donné une majorité pour gouverner. Mais pour ça il aurait fallu accepter les conditions de cette liste : égalité des droits pour les citoyens palestiniens d’Israël, abrogation de la loi « État-nation » et retrait des Territoires ouvrant la voie à la création d’un État palestinien viable, avec Jérusalem-Est comme capitale. Ce qui lui manquait était évidemment la volonté politique, car un tel scenario irait à l’encontre de la politique qu’il avait mené jusqu’alors. Il a donc préféré oublier son engagement de ne pas s’allier avec « Bibi ». La promesse d’occuper à court terme le fauteuil de premier ministre – même si cela ne s’est pas produit – a suffit pour lui faire renoncer aux « principes » qui clamait haut et fort à peine quelques semaines auparavant.

Avant le vote d’avril 2019 Benny Gantz s’est vanté d’avoir « réduit Gaza à l’âge de pierre » et il avait déjà donné un avant-goût lorsque qu’il était le chef d’état-major en 2014 pendant l’opération « Bordure protectrice » : 2 200 morts palestiniens à Gaza, essentiellement des civils, avec l’utilisation des armes interdites (phosphore blanc). Il a manifestement choisi la voie de la guerre. À l’approche de nouvelles élections, c’est désormais aux Juifs progressistes en Israël de choisir la voie de la paix avec leurs concitoyens palestiniens, dans la rue et dans les urnes.

Richard Wagman

25/12/20