A paraître dans un journal algérien.
1) Les positions de Roger Hanin en faveur de l’indépendance de l’Algérie, du temps du colonialisme français, et l’hommage qui a été rendu par le président Abdelaziz Boutéflika, après son décès, prouvent que l’Algérie n’est pas hostile aux Juifs, mais au sionisme qui occupe la Palestine. Un mot autour de ça ?
La présence des Juifs au Maghreb est antérieure à l’arrivée des Arabes. La plupart d’entre eux étaient descendants de Berbères convertis au judaïsme. D’autres sont les descendants des Juifs chassés d’Espagne en 1492. Les Juifs maghrébins ont vécu en paix avec leurs voisins musulmans pendant des siècles. Il n’y a jamais eu au Maghreb d’expulsions, de spoliations ou de massacres contre les Juifs contrairement à ce que l’Europe chrétienne a souvent connu. En 1870, à l’époque du colonialisme français, le décret Crémieux a donné aux Juifs algériens la nationalité française. Les Juifs qui étaient autochtones ont été assimilés au colonisateur et artificiellement séparés de la population musulmane à qui cette nationalité a été refusée. Au moment de l’indépendance algérienne, la plupart des Juifs (mais pas tous) sont partis vers la France et plus rarement vers Israël. Il est fondamental que les Juifs maghrébins retrouvent la culture, la musique, la cuisine, les odeurs, les lieux qui correspondent à leur histoire et leurs racines. Il est tout aussi fondamental que l’Algérie retrouve sa part juive et recherche les traces de la présence séculaire des Juifs dans ce pays.
2) Roger Hanin, Fernand Yveton et d’autres, ont prouvé que des Juifs anticolonialistes existent, au même titre que les musulmans et chrétiens. Un mot autour de ça, également ?
Les Pieds Noirs n’ont pas tous été pour l’OAS et les Juifs n’ont pas tous été contre l’indépendance de l’Algérie. Il est important que l’Algérie célèbre, avec les centaines de milliers de victimes de la guerre d’indépendance, le courage de Maurice Audin, torturé à mort par les hommes du Général Aussaresses, le combat des « porteurs de valise », les risques incroyables pris par des Européens ou des Juifs qui sont allés au bout de leurs convictions contre le colonialisme. Je citerai plusieurs Juifs : Henri Curiel, Henri Alleg, William Sportisse. Je conseille d’ailleurs aux lecteurs de lire le livre autobiographique de William Sportisse (« le camp des oliviers ») qui raconte des décennies de lutte anticoloniale dans la région de Constantine. À l’Union Juive Française pour la Paix, nous comparons souvent le combat des « porteurs de valise » (dont certains étaient juifs) à celui des anticolonialistes israéliens qui soutiennent les droits du peuple palestinien.
3) Quels liens gardent encore les Juifs d’Algérie avec leur pays d’origine ?
On ne peut pas généraliser. Beaucoup ont la nostalgie, le besoin d’aller visiter les endroits où leurs ancêtres ont vécu ou de fleurir les cimetières. Quelqu’un comme Roger Hanin a toujours considéré que l’Algérie était son pays.
En même temps, dans le climat d’islamophobie assez répugnant que connaît la France aujourd’hui, les Juifs français originaires du Maghreb sont des « cibles ». Certains occultent leurs origines berbères, prétendent que les Juifs maghrébins ont été persécutés et tiennent des propos racistes.
4) Les Juifs hostiles au sionisme et à l’occupation de la Palestine sont-ils persécutés en Israël et en France ?
En France, le problème n’est pas la répression mais plutôt l’ignorance. Pour les médias, c’est plus simple si les Musulmans sont pour la Palestine et les Juifs pour Israël. L’existence de Juifs antisionistes pose la question de la guerre du Proche-Orient, non pas en termes de religion, d’origine ou de communauté, mais en termes de refus du colonialisme, de lutte contre l’apartheid et de « vivre ensemble dans l’égalité des droits ». Pendant longtemps, les médias nous ont ignorés. Ils commencent doucement à nous donner la parole.
En Israël, le pays se définit comme un « Etat juif ». Les non Juifs n’ont aucun droit mais, en principe, le pays est « démocratique » pour les Juifs. Les Israéliens anticolonialistes peuvent s’exprimer, y compris dans la presse, mais on observe un durcissement certain : les refuzniks (ceux qui refusent l’armée) vont en prison. Les manifestations de soutien aux Palestiniens sont souvent attaquées. Des lois sont votées pour criminaliser tout appel au boycott d’Israël. Nos camarades israéliens nous décrivent l’ambiance étouffante d’une société raciste et certains sont tentés de partir.
5) Le Premier ministre Nétanyahou a réitéré son appel aux Juifs pour s’installer en Israël après les attentats terroristes de Paris et de Copenhague. S’agit-il d’une tentative de récupération politique ?
C’est une infamie. Le sionisme n’a jamais lutté contre l’antisémitisme, il s’en nourrit. Il ne défend pas les Juifs, il les met volontairement en danger. Les Juifs français ont derrière eux une longue histoire de lutte pour la citoyenneté et l’égalité. Ils ont joué un rôle important dans la résistance contre le nazisme et dans les luttes anticoloniales. Et voilà un chef d’Etat étranger qui vient de commettre de nombreux crimes de guerre à Gaza qui arrive sur notre territoire pour nous expliquer que nous sommes des touristes et que nous avons mal compris, notre pays c’est là-bas. Il nous pousse à quitter notre pays pour aller voler des terres palestiniennes.
Le sionisme a toujours affirmé que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble (ni en France, ni au Proche-Orient). Son seul but a toujours été de pousser les Juifs à partir en Israël. Cette stratégie n’est pas seulement criminelle contre les Palestiniens. Elle est suicidaire pour les Juifs.
Comble de la récupération : les victimes de l’attentat antisémite de Paris ont été enterrées au cimetière de Givat Shaul. Ce « nouveau quartier » de Jérusalem s’appelait autrefois Deir Yassine, le principal village palestinien martyr où, le 9 avril 1948, les milices de l’Irgoun dirigées par Menahem Begin ont massacré toute la population civile. Quel symbole !
5) Les attentats terroristes de Paris ont-ils servi les intérêts politiques de Nétanyahou ?
À l’évidence les actes de Daesh ou d’autres groupes semblables servent les intérêts de ce que ces terroristes prétendent combattre. Les sionistes ont toujours affirmé que juif=sioniste et ils sont devenus les élèves modèles du « choc des civilisations ». En s’en prenant aux Juifs parce que Juifs et en profanant l’Islam, des groupes comme Daesh veulent nous entraîner vers une guerre que nous devenons absolument refuser.
Contre cette logique de mort, nous devons mener ensemble un combat contre tous les racismes : le racisme antiRom, antiArabe, antiNoir, antisémite, antimusulman …
Pierre Stambul
Coprésident de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)