Représentante de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leila Shahid souligne l’écrasante responsabilité d’Israël et des États-Unis dans la tragédie palestinienne.
Journal l’Humanité
Rubrique International
Article paru dans l’édition du 15 juin 2007.
Leila Shahid : «La communauté internationale fuit ses responsabilités »
Quelle est la réaction des instances européennes et internationales à la tragédie qui se déroule à Gaza ?
Leïla Shahid. Pour l’instant, aucune. Lorsqu’on présente les événements comme une guerre civile dont les Palestiniens sont les seuls responsables, cela permet à tous les protagonistes, en premier lieu Israël et les Etats-Unis , mais aussi l’Europe et l’ONU, de se laver les mains en disant : regardez, ils s’entretuent, c’est leur affaire et leur responsabilité. Cela permet d occulter le contexte. Et cela permet aussi d’évacuer la part de la communauté internationale dans ce qui se passe.
Quelle est-elle ?
Leïla Shahid. La première responsabilité est celle d’Israël : quarante ans d’occupation imposée aux Palestiniens ! Il ne devrait pourtant pas être difficile aux Européens d’en imaginer les conséquences, quand on pense que de la manière dont ils parlent encore, plus de soixante ans après, des cinq années d’occupation qu’ils ont subies comme des années les plus terribles et les plus noires du XXe siècle. En Palestine, pendant ces quarante années terribles, les jeunes Palestiniens ont subi une violence israélienne qu’ils reproduisent entre eux.
La deuxième responsabilité est celle des États-Unis et de l’Europe : ils ont recommandé aux Palestiniens d’organiser des élections, ce qu’ils ont fait à tous les niveaux. Le monde entier les a saluées comme un exemple de transparence et de démocratie. Mais ceux-là même qui les avaient voulues en ont refusé les résultats et rejeté le gouvernement qui en était issu. La troisième responsabilité est celle des Européens et des États arabes qui ont fortement appuyé la formation d’un gouvernement d’union nationale. Mais une fois ce gouvernement formé, en mars, ils ont refusé de le soutenir et de renouer les relations avec lui. Voilà trois raisons qui expliquent pourquoi aujourd’hui le Hamas a décidé de régler le problème par la force.
Peut-on parler de guerre -civile ?
Leïla Shahid. Pas encore, car pour l’instant seules les combattants du Hamas et du Fatah sont impliqués. Ce n’est pas encore une guerre entre les citoyens, mais cela peut le devenir. Il se passe des choses atroces qui peuvent conduire à des vendettas. Le fait qu’on torture, qu’on tue les familles des responsables. . . On voit là des formes de violence qu’on n’a jamais connues en quarante ans d’occupation. C’est le résultat d’une violence intériorisée pendant quarante ans et qui explose par manque de perspectives. Une violence qui devient de l’autodestruction. Une violence pathologique qui s’apparente au suicide. C’est le résultat de quarante ans d’humiliation, d’oppression mais aussi d’impunité d’Israël. C’est le résultat du silence et de l’absence de la communauté internationale qui s’est impliquée en Yougoslavie, en Afrique du Sud, en Irlande, mais pas en Palestine.
Est-il encore temps pour l’Union européenne d’agir ?
Leïla Shahid. Il n’est jamais trop tard. Il y a une prise de conscience de la majorité des membres du Parlement européen qui demandent le rétablissement des relations directes avec le gouvernement palestinien. L’UE est la seule partie qui a continué l’aide, mais de façon indirecte, ce qui a contribué à affaiblir l’Autorité palestinienne. Mais l’UE reste assujettie à la position américaine. Les États- Unis et Israël ne sont intéressés que par la politique de force :ils n’ont parlé que d’armer Mahmoud Abbas contre le Hamas, ce qui a eu un effet complètement destructeur.