Anne Paq a travaillé de longues années en Palestine où elle a documenté de nombreux événements politiques aussi bien que des faits du quotidien, toujours dans le souci de faire connaître le plus largement possible la situation faite aux Palestiniens et Palestiniennes. Elle a aussi réalisé des documentaires et, récemment, le long métrage Not Just Your Picture présenté par le festival Ciné Palestine 2021 dans ces termes :
La vie de Ramsis et Layla Kilani, nés et élevés en Allemagne, a été bouleversée par la mort de leur père palestinien, Ibrahim, tué avec leurs cinq demi-frères et sœurs dans les bombardements israéliens à Gaza de 2014. Choqués par le silence de l’Allemagne alors même qu’Ibrahim et ses enfants en avaient la citoyenneté, Ramsis et Layla n’ont eu de cesse depuis de se rapprocher de leurs racines palestiniennes et de réclamer justice.
Elle présente actuellement au théâtre de Rungis une expo sur le thème C’était ma chambre, qui illustre les destructions de maisons à Gaza, et sur l’agro-résistance en Palestine.
Dans l’entretien avec elle, le 11 novembre, nous parlons de son expérience et du rôle de la photo dans la résistance.
Bonjour Anne, peux-tu nous décrire le parcours qui t’a amenée en Palestine ?
J’ai d’abord fait des études de sciences politiques puis je me suis spécialisée sur les droits humains et intéressée à la Palestine par ce biais-là. J’ai eu l’occasion de faire un stage dans l’ONG palestinienne Al-Haq en 2003 où j’ai participé d’emblée à une campagne contre les punitions collectives par des photos et des témoignages. Je suis bien sûr scandalisée du fait que Al-Haq ait été désignée récemment comme une organisation « terroriste » par Israël, un acte digne des pires dictatures visant à empêcher les organisations palestiniennes d’exposer les crimes du régime colonial.
Pendant quelques années j’ai continué à travailler en Palestine entre le droit et la photo, puis je me suis consacrée entièrement à la photo, et j’ai commencé aussi à faire des films.
Je vis actuellement en France mais je reste en lien étroit avec la Palestine.
Tu as vécu combien de temps en Palestine ?
Entre 2003 et 2013 j’ai vécu la plupart du temps en Palestine et surtout à Bethléem, en Cisjordanie.
La Palestine c’est une grande partie de ma vie personnelle et professionnelle, parce que c’est là que je suis devenue photographe et aussi cinéaste. Je me définis plus comme photographe mais je trouve ça très intéressant de faire des films et du multimédia.
Quelle a été ton expérience avec Activestills ?
J’ai rejoint en 2006 le collectif de photographes Activestills qui était né en 2005 pour de la documentation de la résistance populaire palestinienne. Par ailleurs à la même période, je suis allée travailler dans le camp de réfugiés d’Aïda avec Al Rowwad. On a monté le projet Images for Life (Images pour la vie), un projet de formation à l’image, photo-vidéo pour les réfugiés, enfants et adultes. Puis j’ai quitté Al Rowwad mais le projet continue. J’ai pu ainsi me consacrer à la photographie en tant qu’indépendante et membre d’Activestills dont je suis toujours membre. C’est un peu ma famille de photographes. La photographie est devenue la manière la plus efficace de dénoncer la situation en Palestine.
La façon la plus efficace pour toi ou la plus efficace de façon générale ?
La plus efficace pour moi. Je pense que de manière générale pour dénoncer la situation, il y a plusieurs possibilités : il y a l’écrit, l’art, les manifestations. La photo ça fait partie des outils qu’on a et c’est là où je me sentais la plus efficace. J’ai donc décidé de suivre ça à 100% de mon temps.
Je suis une photographe autodidacte. Être dans le collectif Activestills m’a énormément apporté parce que la plupart des membres ont suivi une formation plus formelle en photo. On s’entraide, il y a beaucoup d’émulation et j’ai beaucoup appris comme ça sur le tas. Je fais partie des plus anciens membres du collectif et il y a toujours de nouveaux membres. Sur le site (www.activestills.org), nous approchons les 50 000 photos ! Nous avons une dizaine de membres actifs plus des collaborateurs et collaboratrices. Je suis toujours assez étonnée à quel point le collectif continue de proposer des choses intéressantes.
On a eu récemment une exposition à Lisbonne qui nous a permis d’exposer des photos sur le colonialisme en Palestine dans une vingtaine de lieux du centre-ville (visible sur le site d’Activestills). J’aimerais bien voir ça à Paris mais je pense qu’ici ce serait plus difficile. À Lisbonne, nous avons pu avoir le soutien de la ville ! C’est assez impensable pour Paris mais bien sûr notre philosophie à Activestills c’est aussi de faire sans soutien institutionnel. On est tout à fait ouverts à ce que nos photos se propagent. À Lisbonne c’est un collectif d’architectes et d’artistes qui nous a dit « on veut montrer les photos d’Activestills ». On a travaillé sur des nouvelles séries de photos, sur de nouveaux textes et j’en ai été très contente parce qu’un des cœurs du travail d’Activestills c’est vraiment ça : des expositions de rue pour pouvoir atteindre le public sans passer par le prisme des media mainstream, généralistes. Un retour aux sources du collectif en quelque sorte.
Autodidacte d’accord mais avec une grande pratique, comment définis-tu les choix de ce que tu montres, de ce que tu photographies ?
Je marche beaucoup à l’instinct et je suis intéressée par les luttes contre l’injustice. Évidemment on ne peut pas tout couvrir, on est obligé de faire des choix mais ce qui m’importe c’est que mes photos puissent permettre une prise de conscience d’une situation qui n’est pas forcément bien reflétée dans les media généralistes et que les gens puissent essayer de se mettre, même si c’est difficile, à leur place (des Palestinien.n.e.s). Il s’agit de dénoncer une situation, de montrer qui en paie le prix en se disant aussi que certaines photos peuvent servir de preuves. Je me suis retrouvée en Palestine dans des situations où il faut aller très très vite, donc c’est vraiment l’instinct qui guide : dans des manifestations quand il y a répression par l’armée israélienne, on essaie de capter le plus possible ce qui se passe, ça peut servir de preuve, c’est extrêmement important.
Est-ce que tu as privilégié certains sujets ou certaines catégories : les femmes, les combattants, les jeunes, les enfants ?
Non pas forcément, parce que toutes les parties prenantes d’une situation ont leur place dans cette documentation. Après, tu peux avoir bien sûr des projets particuliers. Dans mon travail, il y a une partie un peu générale de la documentation sur la situation en Palestine : montrer en quoi cette colonisation et occupation imprègnent tous les aspects de la vie quotidienne, ce qui fait qu’en Palestine j’avais toujours mon appareil photo. Par exemple tu es dans un petit van qui va de Bethléem à Ramallah et puis tu vas passer par un checkpoint et là tu vas avoir l’opportunité de faire une photo d’un soldat qui va contrôler les gens dans le van devant. Tu ne sais jamais ce qu’il peut se passer. Ça peut être important d’avoir des images et tu peux avoir une opportunité comme ça à l’arraché, mais tu peux aussi avoir certaines choses que tu veux mettre en avant ; par exemple une de mes premières expositions photos ce fut sur les punitions collectives avec Al-Haq mais aussi une autre exposition photo avec laquelle j’ai pas mal voyagé c’était une expo sur les enfants intitulée « Terrains de je(ux) en Palestine » ; j’ai aussi travaillé sur les femmes palestiniennes en résistance. Donc ça c’est important pour amener un regard sur une question, mettre en lumière des choses un peu plus spécifiques. Avec Activestills on avait fait une série de portraits saisissants sur des jeunes Palestiniens qui allaient en manifestation masqués ; il y avait les photos mais aussi on leur posait des questions pour comprendre ce qui peut motiver ces jeunes, ce qu’on appelle les shebab en Palestine, les 16-22 ans, à aller au contact de l’armée israélienne en risquant leur vie. J’ai travaillé beaucoup aussi sur les personnes réfugiées. C’est une question qui me tient à cœur parce que je pense qu’on n’en parle pas assez ; j’ai aussi travaillé des années dans le camp de réfugiés de Aïda. J’ai fait toute une série de photos, notamment des portraits de grands parents avec leurs petits enfants pour montrer ce côté « générations » car on en est à la quatrième, voire cinquième génération de réfugiés en Palestine. J’ai fait un séjour au Liban, ce qui m’a permis de rencontrer des réfugiés. La Nabka, c’est le cœur pour dénouer la situation là-bas.
Je me suis particulièrement intéressée à la bande de Gaza où je me suis rendue plusieurs fois depuis 2010. À ce moment-là, à Activestills il n’y avait que des membres palestiniens de Cisjordanie ou de Jérusalem et des Israéliens, j’étais donc la seule du collectif qui pouvait se rendre dans la bande de Gaza grâce à un permis d’une ONG. Je me suis alors senti une certaine responsabilité d’y retourner souvent afin que Gaza soit bien présente dans nos archives et puis j’ai été extrêmement touchée par ce que j’ai vu à Gaza. On ne peut pas parler de la Palestine sans parler de la bande de Gaza. Avec Activestills, nous avons aussi commencé à travailler avec des photographes sur place. Donc en ce moment on travaille notamment avec Mohammed El Zaanoun. J’étais à Gaza en 2012 lors de l’assaut et en 2014 pendant l’offensive militaire et j’y suis retournée après l’offensive, c’est là que j’ai développé un projet avec la journaliste Ala Qandil et avec d’autres personnes : Obliterated Families (Familles décimées) – un projet énorme sur les familles de Gaza décimées par les bombardements israéliens lors de l’été 2014. C’est un multimedia qui a reçu des prix et qui a occupé beaucoup de mon temps. Et mon film actuel Not Just Your Picture (titre français- Sous Silence) est un peu un bébé de Obliterated Families (voir le site du multimedia https://obliteratedfamilies.com/fr/ – version française). Ce sont des traces, des archives de ces familles, il ne faut pas que ça reste des statistiques, mais qu’on s’en souvienne, qu’on comprenne non seulement ce qu’il s’est passé mais aussi leur histoire ; les textes sont très personnels, on a voulu se détacher de tout ce qui est rapport d’ONG. Il était très important qu’il y ait les noms de toutes les victimes, mais aussi que nous puissions comprendre les relations de parenté entre elles. Je dessinais les arbres généalogiques des familles avant de rencontrer les survivant.e.s : quand tu vois qu’il ne reste des fois qu’une personne sur trois générations, c’est horrifiant et ce qui est insupportable c’est de penser que ça s‘est encore déroulé cette année en mai et que ça va encore se passer.
As-tu encore la possibilité d’entrer à Gaza ?
J’espère l’avoir mais c’est de plus en plus difficile pour les journalistes indépendants.e.s. On dépend encore une fois des autorités israéliennes et il y a un bureau qui s’occupe des journalistes pour donner des cartes de presse temporaires, mais on nous demande des tas de papiers, des comptes en banques, des contrats, des choses que les free-lance n’ont jamais. Les militants internationaux qui travaillent en solidarité avec la Palestine n’arrivent plus non plus à rentrer depuis des années. C’est quand même un scandale que la bande de Gaza soit aussi inaccessible. Qu’est-ce qu’Israël a à cacher ? C’est aberrant, ce siège : 2 millions de personnes en prison à ciel ouvert et si ça peut continuer, c’est avec la complicité de la communauté internationale.
Tu n’as jamais été interrogée, arrêtée, brutalisée ?
Au niveau du collectif Activestills, beaucoup de membres ont été blessés, arrêtés, détenus ou ont eu du matériel endommagé. Israël est concerné chaque année par les rapports d’Amnesty International comme pays qui ne respecte pas la liberté de travailler des journalistes.
Moi j’ai été très chanceuse même si parfois on a essayé de faire tomber mon appareil, on m’a empêchée de filmer, on m’a poussée mais je n’ai jamais été blessée. Interrogée, oui ça m’est arrivé.
Ton objectif, avec la photo, est-il plutôt de sensibiliser le monde à ce qui se joue en Palestine ou de constituer des documents qui seront les archives d’une époque ou de donner courage à ceux et celles qui résistent ?
Assez difficile de répondre parce que je suis animée par plusieurs motivations : tout ce qui est archive, trace est important, on ne pourra pas dire que ça n’a pas existé ; essayer de sensibiliser, de montrer ce que d’autres ne montrent pas, c’est essentiel ; donner du courage à ceux-celles qui résistent ? Leur courage bien sûr il vient d’abord des personnes elles-mêmes mais un de nos principes à Activestills, c’est que nos photos appartiennent aux communautés que nous documentons. Celles-ci peuvent être un outil pour ces communautés. Mais la motivation à résister pour ces gens, c’est surtout leur vie. Si nous, avec nos photos, on peut les aider, tant mieux. Par exemple à Bil’in à l’occasion d‘anniversaires de la lutte, des expos ont été faites avec des photos d’Activestills. C’est nous qui les avons mises au mur mais les gens nous ont aidés ; cette lutte continue, elle existe, il y a des traces, ça peut être important de voir ça.
Comment as-tu ressenti le regard des gens, des femmes, des militant.e.s, sur des photographes, notamment sur une photographe étrangère ?
Le contexte joue beaucoup, la personne qui est en face de toi a son histoire particulière, donc je voudrais me garder de généraliser. Si on va dans les manifestations, les personnes savent très bien qu’on est là en solidarité ; il y a toujours un accueil. A Nabi Saleh avant les manifestations, nous sommes toujours invité.e.s dans les maisons pour prendre un déjeuner avec tout le monde. C’est sûr que dans d’autres contextes de confrontation avec l’armée, s’il y a des jeunes qui jettent des pierres, il peut y avoir un réflexe de méfiance, à juste titre, parce qu’ils peuvent avoir peur que les photos soient postées avec leurs visages. Donc on essaie de communiquer que non on ne mettra pas les photos avec les visages. C’est toujours important quand on est photographe d’avoir une communication avec le sujet ; ça peut passer par un sourire, un petit geste qui montre que oui je te vois avec ma caméra, j’aimerais te prendre en photo et l’autre par un geste peut nous faire comprendre que oui ou que non. Pour être honnête j’ai aussi été dans des situations où j’ai été interpellée en tant qu’internationale : quand, à Gaza, tu vas visiter des familles qui ont été bombardées, qui ont perdu des gens, qui voient défiler des ONG, des journalistes et qui voient que leur situation malheureusement ne change pas, oui quelquefois j’ai été prise à partie : « ça va servir à quoi ? » Et là évidemment il ne faut pas le prendre personnellement, il faut voir d’où ça vient cette frustration et qu’elle est légitime. Alors quelquefois il faut savoir partir et ne pas prendre des photos, pour respecter l’intimité et le souhait des personnes. Mais ça m’est très peu arrivé. J’ai plutôt été bien accueillie et des gens me demandent « montre les photos pour que les gens comprennent, qu’ils agissent ». Et aussi quelquefois je pense que pour les personnes photographiées il y avait un sentiment d’être reconnues dans leur statut, dans ce qu’elles traversent en tant que personnes ayant subi des violences et vivant sous occupation et colonisation. Le fait que quelqu’un prenne des photos, quelque part ça peut aider à briser le sentiment d’isolement que certains Palestiniens et Palestiniennes peuvent ressentir. En tous cas, dans mon collectif nous essayons de toujours considérer les personnes dans leur dignité et de prendre le temps. J’ai passé des années en Palestine, ça joue énormément et les personnes en face de toi vont comprendre que tu as un autre rapport au territoire, à la lutte, par rapport à des photojournalistes qui vont passer une semaine, envoyé.e.s par des agences et qui veulent réaliser leur reportage au plus vite.
Ce n’est pas toujours évident de se positionner en tant que personne internationale. Par exemple si tu es arrêtée, qu’est-ce qu’il peut m’arriver ? Au pire, ils me renvoient chez moi, d’accord, je ne pourrai peut-être plus revenir sur place mais je sais qu’ils ne vont pas me garder six mois en prison comme un journaliste palestinien qui peut être à côté de moi exactement dans la même situation et pour prendre les mêmes photos, lui il peut risquer de passer des mois et des mois en prison, de se faire torturer, battre. Et bien sûr je viens aussi d’un milieu social privilégiée, je suis blanche et d’un pays lui-même avec une histoire coloniale, et dans lequel l’esprit colonial reste bien présent. Donc oui tu dois te poser des questions sur ton positionnement, et tes privilèges.
A Gaza par exemple, en 2014 je suis allée documenter l’offensive militaire israélienne, mais à un moment j’ai décidé de partir parce que c’était trop, je sentais que je me mettais en danger dans la mesure où je perdais la capacité physique et mentale de bien réfléchir. Je suis partie et j’ai laissé mes collègues palestiniens sur place ; et là tu te dis mais moi j’ai ce privilège de partir et je les laisse derrière, j’y ai beaucoup réfléchi, c’est injuste : moi je peux retourner chez moi, être dans un endroit calme, me ressourcer, aller voir un psy et eux ne le pouvaient pas ; comment se ressourcer à Gaza, même quand les bombardements s’arrêtent ? C’est tout petit, toute la population est traumatisée, il y a très peu de moyens d’échapper au trauma surtout quand tu sais que ça va recommencer.
Et le film Not Just Your Picture ?
Le film sur la famille Kilani, je l’ai réalisé avec Dror Dayan qui est un Israélien-allemand et en ce moment on essaie d’organiser une tournée. Nous commençons juste à le montrer. Il y a eu le festival Ciné-Palestine en juin, avec une très belle projection au cinéma L’Écran à Saint Denis et là j’ai une petite tournée dans le centre de la France à Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Montbrison ; après je monte au Luxembourg et en janvier, des projections sont prévues en Bretagne et le film est sélectionné aussi au festival Ciné-Palestine de Toulouse. Nous ne sommes que tous les deux à porter ce film, alors il nous faut trouver des relais dans les associations. Nous sommes bien évidemment très impatient.e.s de partager le film avec la volonté qu’il y ait des débats avec le public.
Ce qui m’a intéressée avec ce film c’est surtout de mettre la lumière sur la position complice des États européens. Le film a plus à voir, bien sûr, avec l’Allemagne puisque nous y suivons Ramsis et Layla, de mère allemande et de père palestinien, dans leur quête de justice après qu’une partie de leur famille a été tuée dans les bombardements israéliens de la bande de Gaza en 2014. Alors que les membres palestiniens tués avaient par ailleurs la citoyenneté allemande, les autorités allemandes ont refusé d’ouvrir une enquête. Mais en France le silence aurait été le même, quand on voit ce qui se passe pour Salah Hamouri, la France n’arrive pas ou ne veut pas prendre des positions fortes.
J’espère bien sûr qu’il y aura beaucoup de projections, sachant que le film est toujours d’actualité. En mai 2021, la bande de Gaza a subi encore une offensive militaire. Malgré toutes les preuves de crimes de guerre commis, la justice reste insaisissable pour les Palestinien.n.e.s. Pas encore de projection en Palestine. Je pense qu’il y a intérêt pourtant à montrer le film en Cisjordanie, à Jérusalem, donc je vais voir pour l’année prochaine.
Quelles sont les conditions matérielles de ton travail ?
C’est difficile, il y a de moins en moins d’argent pour la publication de photos. Je collabore très régulièrement avec Bastamag depuis que je suis en France, je documente des luttes sociales et politiques, j’étais beaucoup sur les Jardins d’Aubervilliers, sur la JAD, mais c’est extrêmement difficile pour les photographes indépendants, les réalisateurs-réalisatrices de documentaires, mais je ne me vois pas faire autre chose. Alors on se débrouille, et je n’attends pas les financements pour commencer à travailler sur un sujet que je trouve important. C’est ce qui s’est passé avec Not Just Your Picture, nous avons commencé avec Dror à filmer sans aucun financement, et puis des financements sont arrivés juste au moment de payer la post-production, ce qui nous a permis de finir le film. Je travaille sur un site personnel, comme ça je vais pouvoir aussi développer une vente de tirages, en espérant que les personnes sensibles à mon travail de long-terme soient prêtes à me soutenir ainsi.
Comment vois-tu les photos par rapport à d’autres formes artistiques ou de témoignages d’arts visuels, de théâtre vivant ?
Je trouve ça très intéressant, je travaille pour ma part dans une optique très documentaire mais je pense que l’art palestinien est très porteur et on voit des artistes qui sont connus, des films de fiction comme Gaza mon Amour. Je trouve extrêmement important que ces oeuvres existent parce qu’on peut toucher d’autres cordes sensibles chez les personnes et on peut débloquer beaucoup de choses par l’émotion : certaines personnes vont être touchées par une photo qui montre une situation très frontale et d’autres par un tableau, un peintre de Gaza et ça va peut-être les amener à l’action.
En rappelant l’exemple du Playback Theatre pratiqué par le Freedom Theatre du camp de réfugiés de Jénine, je me demande si avec la photo il t’arrive d’établir un dialogue avec des gens qui ont été photographiés, de parler de ce qu’ils ont vécu
Oui, par exemple j’avais fait un travail sur les artistes à Gaza, qui s’appelle Not a Dream Land (Pas une terre de rêve) et j’avais eu la chance que cela soit montré au centre culturel français de Gaza, dans une salle magnifique. Plein d’artistes qui étaient dans mes photos sont venu.e.s. C’était très chouette de les voir réagir aux photos. Tu sentais une sorte de fierté. C’est extrêmement gratifiant parce que tu n’as pas juste l’impression de prendre quelque chose de la personne, tu offres un espace où la personne peut se voir, se reconnaître et montrer ça à sa communauté. Par exemple, au centre Al Rowwad aussi, en faisant la formation photo, j’ai travaillé avec plusieurs groupes et à la fin de la formation on a fait une grande exposition photo et il y avait des photos extraordinaires qu’ont fait ces jeunes et que moi je n’aurais pas pu faire parce que c’était dans l’intimité des familles avec un regard très décomplexé, une sorte d’envie de montrer leur quotidien et il y a eu des photos très belles. Et le fait que leurs familles viennent et voient comment leur enfant de 12 ans a pu faire ça, c’était très émouvant.
Comment situes-tu ton travail dans la résistance de la Palestine ?
Pour moi le travail c’est de faire écho à la résistance qui est menée par les Palestiniennes et Palestiniens, c’est aussi d’amplifier leurs voix. Par exemple le film sur la famille Kilani parle d’un drame, celui d’une famille qui a été tuée dans les bombardements de 2014 mais il porte les voix de Ramsis et de sa sœur Layla, qui continuent de réclamer justice. Ce sont des personnes qui souffrent mais aussi des agents politiques et on voit leur évolution dans le film et c’est ça aussi que j’essaie de faire dans mon travail. Ramsis, en même temps que le film était tourné, s’est impliqué de plus en plus politiquement, à la fois sur la lutte pour le peuple palestinien mais aussi sur la lutte antiraciste, antifasciste, il participe à beaucoup de conférences et Layla a rejoint une organisation de défense des droits des Palestinien.ne.s, « Palestine Speaks ». Il serait intéressant de se poser avec eux et de réfléchir ensemble à l’impact qu’a eu le film sur leur vie.
La résistance palestinienne est là, elle existe, il faut la soutenir, lui donner une ampleur et si on peut faire ça avec les photos, les tournages, eh bien c’est une petite pierre, j’espère, dans cette lutte qui continue malgré tout.
Qu’est-ce que tu attends des organisations françaises de solidarité avec la Palestine ?
Très concrètement d’essayer de faire venir du monde à l’exposition de mes photos sur C’était ma chambre et sur l’agro-résistance, au théâtre de Rungis. Une rencontre avec le public a lieu le 7 décembre à 18h30, mais je serai là dès l’après-midi. Il est important de montrer que ce sujet de la Palestine attire du monde, et il est intéressant que ces photos soient exposées dans un lieu institutionnel.
Sur le film, nous avons besoin de relais puisque nous n’avons pas de distributeur. Si des groupes veulent organiser des projections, il suffit de nous contacter via le site. Je me suis donné encore six mois pour porter ce film. Je suis aussi très preneuse de projections dans les universités et les écoles.
Si des associations sont intéressées par notre expo de rue, elles peuvent aussi la montrer dans leur ville. À Lisbonne sur la moitié des lieux dans l’espace public, les panneaux ont été endommagés et sur un de ces panneaux il y avait l’inscription « Vive Israël » en français, c’étaient sûrement des touristes français. Ça fait partie du jeu, ça montre que les gens réagissent. Mais il faut que ces photos soient montrées dans l’espace public.
Propos recueillis par Sonia Fayman