Avec ce qui arrive aujourd’hui en Israël et ce qui est arrivé la semaine dernière, le mois dernier, l’année dernière, et depuis presque cinquante ans, il est question de la consolidation de la souveraineté sur une terre dont la communauté internationale convient qu’elle n’appartient pas à Israël et d’un peuple assujetti, les Palestiniens –en contravention avec le droit international.
Je suis en Israël actuellement, pour faire un break par rapport aux horreurs et à l’inanité de la politique américaine et j’observe la situation s’échauffer en Israël/Palestine. Un sujet fréquent dans la presse israélienne : ceci est-il ou non le début de la troisième Intifada ? Et si oui, on discute de savoir comment Israël peut adapter l’occupation pour pacifier les Palestiniens. Quant à se demander comment Israël peut se confronter à la cause première – le fait lui-même de l’occupation – en décolonisant, eh bien cela ne fait pas partie de la discussion.
Ma réaction est toujours la même lorsque de jeunes Palestiniens, notamment, atteignent un point de rupture. En 1987, lorsqu’a éclaté la première Intifada, à Gaza, ma première pensée était que ça avait été bien long à venir – c’est à dire qu’il a fallu vingt ans depuis le début de l’occupation des territoires palestiniens de 1967 et le début de la colonisation illégale de la Palestine pour que la colère déborde.
En 1967, dans le sillage de la guerre, Théodore Merom, conseiller juridique du ministère israélien des affaires étrangères, exprima un point de vue clair à l’intention du gouvernement Levi Eshkol, disant qu’installer des civils israéliens dans des colonies dans les territoires récemment occupés serait une violation du droit international, notamment de la quatrième convention de Genève. De plus, cette convention est aussi explicite sur le fait que l’occupation militaire résultant d’une guerre ne confère pas à l’occupant la souveraineté sur ce territoire et que l’occupation est, par définition, temporaire. Tout cela était connu des Israéliens en 1967. Avec tous ceux qui ont prétendu le contraire, avançant notamment l’idée (vraiment absurde) que le « titre de propriété » de la Palestine avait été donné par dieu aux Juifs trois mille ans plus tôt (ce qui saperait donc la 4ème convention de Genève ?), les Israéliens ne peuvent s’appuyer sur rien. Le projet du Grand Israël est illégal, point final – comme le reconnaît la communauté internationale. Aucune des annexions israéliennes existantes (le Golan, Jérusalem Est) et futures ne peut rien y changer.
Voilà où on en est, trente ans après l’éclatement de la première intifada, on regarde tandis que ne fait que se développer le régime d’apartheid, de vol de terres qui colonise et exerce la répression sur les occupés qui sont sans droits, sans État, subissant le projet des colonies avec ses 550 000 colons. Je considère chacun de ces colons, à la fois à Jérusalem Est et en Cisjordanie occupée, comme la pierre d’achoppement de toute possibilité de paix.
La « gestion » quotidienne du conflit par Israël (c’est le concept israélien), plutôt que de trouver une solution juste, c’est plus de meurtres de Palestiniens par l’armée, la police israélienne et les colons (sans que ceux qui les perpétuent n’aient à rendre de comptes) ; ce sont des démolitions de maisons, des lois draconiennes surajoutées, plus de routes réservées aux Juifs, pus de fermetures, plus d’arrestations d’enfants, plus de gens en détention administrative (absence totale de droits juridiques, pas d’habeas corpus), et plus de restrictions sur les déplacements aussi bien dans les territoires occupés qu’à l’étranger. Cette liste n’est que partielle, bien sûr.
Amira Hass, enfonce le clou dans son nouvel article, les Palestiniens se battent pour leur vie, Israël se bat pour l’occupation. Elle décrit la situation avec éloquence et précision et l’interprète ainsi :
« La guerre n’a pas commencé jeudi dernier, elle ne commence pas avec les victimes juives, et elle ne prend pas fin quand plus aucun juif n’est assassiné. Les Palestiniens se battent pour leur vie, dans le plein sens du terme. Nous, juifs israéliens, nous battons pour notre privilège en tant que nation de maîtres, dans la pleine laideur du terme.
Que nous remarquions qu’il y a une guerre que lorsque des juifs sont assassinés n’enlève rien au fait que des Palestiniens se font tuer tout le temps, et que tout le temps, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour leur rendre la vie insupportable. La plupart du temps, il s’agit d’une guerre unilatérale, conduite par nous, pour les amener à dire « oui » au maître, merci beaucoup de nous laisser en vie dans nos réserves. Quand quelque chose dans l’unilatéralité de la guerre est perturbé, et que des juifs sont assassinés, alors nous accordons notre attention. Les jeunes Palestiniens ne vont pas se mettre à assassiner des juifs parce qu’ils sont juifs, mais parce que nous sommes leurs occupants, leurs tortionnaires, leurs geôliers, les voleurs de leur terre et de leur eau, les démolisseurs de leurs maisons, ceux qui les ont exilés, qui leur bloquent l’horizon… L’ennemi auquel ils font face leur prouve chaque jour que sa méchanceté n’a pas de limites.
Même le langage est malveillant. Les juifs sont assassinés, mais les Palestiniens sont tués et meurent. C’est bien ça ? »
Amira Hass
C’est cela, la résistance aux régimes coloniaux. Israël n’est qu’un cas de plus. Les occupants gouvernent par l’épée et attendent des dominés qu’ils acceptent tranquillement. La situation a elle-même joué historiquement dans le monde entier. La colonisation israélienne – à la fois dans la fondation de l’État lui-même et dans le projet post 1967 du Grand Israël – ce dernier étant le point important dans presque tout ce qui se discute au niveau international – a démarré juste au moment où le reste des empires occidentaux s’engageaient à contre cœur dans l’affaire de la décolonisation. Pour sa part, l’Afrique du Sud a renoncé (techniquement) à son régime d’apartheid en 1991, par les lois d’abolition de l’apartheid, puis avec les élections multiraciales de 1994. S’il est vrai, ainsi que les Israéliens ne manquent jamais de le rappeler, que les Palestiniens n’ont pas un leader de la stature de Nelson Mandela – qui, il faut le rappeler, a été emprisonné vingt sept ans en tant que terroriste – le peuple israélien n’a pas et n’a jamais eu un leader de la stature de F.W. de Klerk (tout en admettant qu’on ne peut savoir jusqu’où Rabin aurait mené Oslo s’il avait survécu).
Netanyahou, une personne sans stature (et certes le dernier d’une longue lignée de leaders israéliens ultra nationalistes se faisant des illusions sur eux-mêmes, y compris ceux du parti travailliste) est en train d’entraîner son pays à sa perte, hélas, avec l’approbation de la majorité des Israéliens, avec son parti et d’autres partis nationalistes, quelle que soit la façon dont ils se nomment eux-mêmes (j’inclus l’Union sioniste d’Herzog dans cette description). Je concède tout de même que Netanyahou a eu des succès : il a atteint son but : la réélection.
Revenons à Hass qui décrit le grotesque des reportages dans les media israéliens :
« Notre vision du monde est façonnée par la trahison constante par les médias israéliens de leur devoir de rapporter les évènements, ou leur manque de capacité technique et émotionnelle à contenir tous les détails de la guerre mondiale que nous sommes en train de conduire afin de préserver notre supériorité sur le territoire entre le fleuve et la mer.
Ce journal lui-même n’a pas les ressources économiques pour employer 10 journalistes et remplir 20 pages d’articles sur toutes les attaques en période d’escalade et toutes les attaques de l’occupation en période de calme, depuis les fusillades lors de la construction d’une route qui détruit un village jusqu’à la légalisation d’un avant-poste colonial et à un million d’autres agressions. Chaque jour. Les exemples pris au hasard que nous arrivons à rapporter ne représentent qu’une goutte dans l’océan, et ils n’ont aucun impact sur la compréhension de la situation par la grande majorité des Israéliens. »
Amira Hass
Et j’ajouterai que ce problème de la presse dans laquelle les agresseurs sont trop souvent présentés comme victimes est une mascarade reproduite dans beaucoup de media occidentaux. Le New York Times, le journal de référence, est tragiquement un bon exemple, certainement dans son expression quotidienne. Quand le Times considèrera-t-il que le sang palestinien est aussi rouge que le sang juif, dans sa couverture des événements ? Quand cessera-t-il de se référer à Jérusalem Est occupée comme à quelque chose que les Palestiniens « veulent » comme future capitale, alors qu’il est clair, au niveau international que c’est une solution juste et que l’occupation de Jérusalem Est par Israël ne mène nulle part ? (la souveraineté israélienne sur Jérusalem Ouest n’est certes pas en question au niveau international). Et combien de boniments Judi Rudoren fait-elle avaler aux lecteurs du Times ? En lisant son article sur Ayelet Shaked, la dernière ministre de la justice de Netanyahou, je me suis prise à penser que jamais un reporter du Times parlant d’un ministre néo fasciste, disons en Hongrie, n’aurait commis un tel article. Mais Israël est différent, et c’est là le hic. La presse majoritaire évolue, pour sûr, mais bien trop lentement pour être en phase avec la réalité.
Quelqu’un peut-il dire quand le projet colonial, dépendant comme il est de la suppression d’un peuple soumis au nom du vol de sa terre, arrivera à terme ? Mais on peut dire que la prise de conscience qu’Israël entretient un régime d’apartheid s’étend à l’étranger, la preuve en étant dans la panique des officiels israéliens sur le sujet. Finalement, c’est la poussée de l’extérieur qui permettra de replacer le système existant d’apartheid (empêtré comme il est dans un énorme réseau de colonies) par 1E/1P/1V – un Etat, une personne, un vote – dans l’ensemble Israël/Palestine. Lorsque cela arrivera, l’État juif, même sous une forme culturelle douce vers laquelle il aurait pu éventuellement évoluer, sera de l’histoire ancienne.
Il peut être dur pour les Israéliens (et pour leurs meilleurs amis à l’étranger) d’intégrer la réalité de la situation, mais s’ils ne le font pas, c’est à leurs risques. La chute de régimes tel le régime colonial d’Israël se produit sans prévision ni avertissement. Des exemples des récentes décennies devraient venir à l’esprit de ceux qui veulent bien y réfléchir.
L’ironie de la chose est qu’ils sont eux-mêmes en train de faire advenir cette chute.
Israel/Palestine Ilene Cohen 7 octobre 2015.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine de son article « In Israel/Palestine, we are witnessing the end of a colonial regime ».