Extraits d’un discours prononcé par Richard Wagman, président d’honneur de l’UJFP, au colloque « Dialogue interculturel et inter-religieux » au Grand Duché du Luxembourg le 18 juillet 2007. Étaient présents quelques figures de la communauté juive locale (dont le grand rabbin), le vicaire général de l’Église catholique, un pasteur protestant, un ancien ministre du gouvernement luxembourgeois et députée européenne, quelques invités étrangers et une quarantaine de Luxembourgeois ouverts au dialogue intercommunautaire.
En Europe, la France a la particularité d’accueillir à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté arabe. Sur le plan diplomatique, l’État français a également une particularité : d’entretenir de bonne relations bilatérales à la fois avec l’État d’Israël et avec les pays du Monde Arabe, même si ces relations ont connu des hauts et des bas. Ceci confère à la France des responsabilités particulières en matière de relations interculturelles et pour ma part je considère qu’elle est à la hauteur de la tâche. Ici, je parle de la société civile française, pas tellement de ses élites politiques.
Je remercie les organisateurs de ce colloque de m’avoir invité pour faire une présentation sur les relations entre la communauté juive et les autres composantes de la société française. Un hasard de calendrier veut que l’ouverture de ce colloque, le 17 juillet, est une sinistre date pour les Juifs de France. Elle marque le 65ème anniversaire de la rafle du Vel’Hiv à Paris où, en 1942, la police française, sous ordre de l’occupant nazi, a arrêté et entassé dans le Vélodrôme d’Hiver des milliers de Juifs, hommes, femmes et enfants, avant leur déportation à Auschwitz. Cette date nous rappelle l’horreur du fascisme ; elle nous rappelle jusqu’à où peut mener le racisme et l’exclusion ; elle nous rappelle aussi la complicité des autorités locales dans les pays occupés avec les crimes nazis. Finalement, elle nous interpelle à faire notre devoir de mémoire – et notre devoir de réagir – devant le phénomène de nouvelles rafles qui visent une population minoritaire et fragilisée. Ces rafles menées par la police française se déroulent aujourd’hui dans un contexte différent, avec des conséquences différentes, mais l’horreur du phénomène suffit pour nous rappeler les leçons du passé. Loin d’être relégués dans les livres d’histoire, elles sont d’une actualité brûlante.
DES RESPONSABILITÉS PARTICULIÈRES
Quand on entend que la France accueille la plus grande communauté arabe en Europe, il faut comprendre qu’on parle ici de citoyens originaires de ce qu’il est convenu d’appeler le « Monde Arabe », dont la part du lion est issue de l’immigration nord-africaine, en l’occurrence de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc – des anciennes colonies françaises. Dans l’Hexagone, il y a relativement peu d’Arabes originaires du Moyen-Orient. La plupart des Français d’origine nord-africaine sont bilingues (français et arabe), même s’ils parlent des dialectes du Maghreb – pas tout à fait le même arabe que celui parlé au Moyen-Orient. Néanmoins, ils se voient comme Franco-Tunisiens, Franco-Algériens ou Franco-Marocains. En clair, ils ont une double identité culturelle. Mais ce qui est plus important, c’est que d’autres Français ont tendance de les voir comme « des Arabes » – c.a.d. des étrangers. Souvent victimes de discrimination dans les domaines de l’emploi et du logement, ils sont déchirés entre leur identité culturelle avec des racines dans le Monde Arabe et leur désire d’être acceptés par leurs compatriotes comme des citoyens à part entière jouissant des droits égaux. La révolte violente dans des banlieues défavorisées à la fin de 2005 était symptomatique de la discrimination contre cette communauté, car des affrontements avec la police a impliqué un bon nombre de jeunes désœuvrés d’origine nord-africaine.
D’une population totale de 60 millions, la France a environ 6 millions de musulmans (c.a.d. 10 % de sa population). Cette proportion démographique est en grande partie due à la décolonisation dans les années 1950 et 1960 quand beaucoup d’habitants de l’empire colonial français ont immigré en France métropolitaine comme réfugiés politiques ou économiques. Dans ce processus, le nombre de musulmans a fini par dépasser le nombre de protestants, historiquement la deuxième communauté religieuse de France. L’Islam est donc devenu la deuxième religion du pays (les catholiques représentent la très grande majorité de la population).
Quant à la population juive, la perte d’un tiers de Juifs français dans la Shoah et l’arrivée d’immigrés musulmans après les indépendances à partir des années 1950 a relégué la communauté juive du rang du troisième au quatrième groupe religieux du pays. Leur nombre est aujourd’hui estimé à 600 000 ou 700 000 personnes, ce qui représente un peu moins de 1 % de la population totale, la plupart étant Sépharades. D’une part les Ashkénazes ont perdu beaucoup des leurs dans les chambres à gaz et d’autre part la décolonisation a apporté avec elle d’importantes arrivées de Juifs sépharades du Maroc et d’Algérie, ces derniers bénéficiant automatiquement de la nationalité française due aux lois coloniales datant du 19ème siècle. La plupart des Juifs français ne sont pas bilingues. En clair, ils ne parlent que le français, pas l’hébreu, le yiddish, le ladino or le judéo-arabe. Ceux qui sont bilingues ont tendance à apprendre d’autres langues européennes (anglais, espagnol, etc.) par opposé aux langues juives. Jouissant de pleins droits de citoyenneté depuis la fin du 18ème siècle (un acquis pour lequel les Juifs sont très reconnaissants, issue de la révolution française de 1789), les Juifs sont aujourd’hui parfaitement intégrés dans la société française.
LES STRUCTURES COMMUNAUTAIRES
Sur le plan institutionnel, la communauté juive est organisée dans deux principales structures. La première est le Consistoire israélite, crée par Napoléon il y a exactement deux siècles, en 1807. Le Consistoire s’occupe des synagogues, des écoles juives et des Beth Din, les tribunaux rabbiniques. Le Consistoire est l’instance juive officiellement reconnue par l’État français. La deuxième structure est le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), créé après la Libération dans les années 1940 afin de reconstituer ce qui restaient du judaïsme français en dehors des synagogues, car tous les rescapés du génocide n’étaient pas religieux. Aujourd’hui, cette instance est devenue le partenaire officieux des autorités politiques françaises. Plus de ministres (y compris le Premier ministre) assistent au dîner annuel du CRIF (une rencontre mondaine de notables de la communauté) que toute autre rassemblement politique ou culturel en France. Ceci est largement dû à la coupabilité ressentie par des élites politiques pour leur responsabilité (ou celle de leurs parents ou grands-parents) dans le génocide hitlérien (en clair, le régime collaborationniste de Vichy sous l’occupation nazie et les lois antisémites promulguées par le maréchal Pétain). Même si critiquer la politique israélienne n’a rien à voir avec l’antisémitisme, elle est vue comme telle à tort parmi les élites politiques, largement encouragé en ce sens par le CRIF. Cette structure ressemble désormais plus à un appendice de l’ambassade d’Israël à Paris qu’à une organisation qui défend les intérêts des Juifs français. Malheureusement, les dirigeants politiques déroulent le tapis rouge pour le CRIF et non pour l’UJFP.
Ce qui est paradoxal est que le Consistoire israélite (les autorités rabbiniques) ne représentent que 5 % de l’ensemble des Juifs français (ceux qui assistent régulièrement aux offices religieuses à la synagogue) et le CRIF – cette organisation devant laquelle tous les ministres gouvernementaux se prosternent en admiration – ne représente que 20 % de l’ensemble des Juifs français (ce chiffre correspond au nombre de familles qui appartient aux associations affiliées à cette structure). Il est bien entendu que les deux s’entrecroisent. Tout le reste – entre 75 % et 80 % de la population juive en France (y compris l’UJFP) – n’appartient à aucun des deux. Pour illustrer ce point, pendant des décennies, il y avait plus de Juifs en France membres du Parti communiste que membres du Consistoire. Ceci n’est plus le cas compte tenu du déclin du PC depuis la dissolution du Bloc soviétique, mais cela vous donne une idée du manque de représentativité des organisations communautaires juives réputées « représentatives ».
La communauté juive a subi trois événements majeurs au cours du 20ème siècle, dont les effets pèsent encore lourd sur la conscience juive contemporaine : l’Affaire Dryfus, la Shoah et la création de l’État d’Israël. La construction du jeune État juif en Palestine était réalisé en partie avec le soutien français. C’était le jeune Simon Pérès (aujourd’hui Président de État d’Israël) qui a obtenu la technologie nucléaire de la France dans les années 1950 et 1960 avec l’aide de deux anciens chefs d’État et de gouvernement : le général De Gaulle et Pierre Mendès-France. Ce dernier, lui-même Juif, n’était pourtant pas un sioniste enthousiaste. Pierre Mendès-France, Président du Conseil, pendant et après son mandat gouvernemental dans les années 1950, a encouragé le dialogue judéo-arabe et les efforts en faveur de la paix au Proche-Orient.
NON AUX RAFLES POLICIÈRES CONTRE LES MINORITÉS
Dans ce contexte, à l’Union juive française pour la paix, une de nos préoccupations majeures est ce que nous appelons le « Vivre ensemble ». C’est à dire la lutte contre le racisme. Des Français juifs, des Français arabes et des Français d’autres origines peuvent vivre, travailler et militer ensemble contre la discrimination et pour des droits égaux. Un exemple est le soutien que nous donnons au mouvement en faveur des sans papiers dans leur revendication de régularisation. Sous les ordres des autorités politiques, la police effectue des arrestations d’étrangers dans de véritables rafles, les met dans des centres de rétention et déporte le plus grand nombre possible, le tout dans une surenchère démagogique pour donner des gages à l’extrême droite. Notre section locale à Marseille a parrainé une famille de sans papiers pour la protéger de menaces de déportation qui pèsent contre elle. Le 1er juillet 2007 à Paris, l’UJFP a participé à une manifestation en faveur des sans papiers dans un cortège commun avec une organisation arabe, l’Association des Travailleurs Maghrébins de France. Nous avons défilé dans un quartier populaire à forte population immigrée sous une banderole commune avec l’inscription « Juifs et Arabes Unis pour la Justice ». Dans un tract diffusé à Lyon et à Paris intitulé « Rafles contre les sans papiers », nous avons rappelé que « nous ne pouvons pas accepter que cela recommence comme si aucune leçon n’avait été tirée des années noires de 1940 / 1945 et des sombres souvenirs des persécutions antisémites du régime de Vichy. » Dans ce texte, nous avons fait notre devoir de mémoire envers ces étrangers qui avaient participé à la résistance durant la Seconde guerre mondiale, rappelant que « Tous avaient fui le nazisme, le fascisme, le chômage et la misère ; tous étaient des demandeurs d’asile, des sans papiers, comme on nomme aujourd’hui leurs semblables. » (…)
Les exemples que je viens de citer sont tirés de l’action associative de l’UJFP, mais mon association n’a aucune monopole en la matière dans la communauté juive, bien au contraire. Puis en dehors des structures communautaires proprement dites, la participation juive est élevée dans de nombreuses organisations des droits humains et des partis politiques qui militent activement contre le racisme. Pour reprendre une blague juive remise au goût du jour, savez-vous quelle est la différence entre la l’UJFP et la Ligue des droits de l’Homme ? La différence, c’est qu’à la Ligue, il y a plus de Juifs.
C’est effectivement un des moyens que de nombreux juifs progressistes ont trouvé pour s’exprimer et affirmer leurs valeurs dans une période où leurs structures communautaires traditionnelles (Consistoire, CRIF) ne les expriment pas. Soit on se rallie au sionisme exacerbé des notables juifs qui s’autoproclament représentatifs, couvrant ainsi les crimes de guerre commis par Israël contre les Palestiniens (avec le sentiment anti-arabe qui en découle), soit on se sent de moins en moins Juif (une tentation répondue chez ceux qui ne pratiquent pas la religion), soit on adhère à une organisation non juive comme la Ligue des droits de l’Homme qui expriment en partie ces valeurs, soit on adhère carrément à ce qu’il convient d’appeler « l’opposition juive », en l’occurrence des associations comme la nôtre. Dans une période politique difficile où l’éthique si chère à la tradition juive est mise à rude épreuve, chacun réagit comme il peut.
DU CÔTÉ MUSULMAN
Ce genre de dilemme ne se pose pas en ces termes pour la communauté arabe ou pour d’autres minorités en France, dans la mesure où leurs dirigeants ne se distinguent pas en se faisant les champions du soutien à des États étrangers engagés dans des guerres coloniales. Bien qu’elle soit nombreuse en France (environ 6 millions de personnes), la communauté musulmane, très pluraliste, n’a pas les mêmes structures communautaires enracinées que possède la population juive. Ceci s’explique par l’histoire du développement très différente de ces communautés. Bien que le Consistoire israélite date de 1807, sa contrepartie musulmane, le CFCM (Conseil français du culte musulman) est né deux siècles après, en 2002. Il faut dire d’abord qu’à l’époque de Napoléon les Juifs constituaient déjà la troisième communauté religieuse du pays et leur présence est plus ancienne que la France elle-même comme État-nation moderne. Il y avait une importante communauté juive en Alsace depuis le Moyen-Age. À l’époque de Charlemagne au 8ème siècle, les Juifs y jouaient déjà un rôle commercial et intellectuel significatif. On se souvient notamment de ceux de la région d’Avignon, dits les Juifs du Pape. Ils étaient déjà installés sur la côte méditerranéenne, provenant de la fleurissante communauté juive en Espagne pendant l’âge d’or andalou. Rachi, un des plus grands talmudistes de tous les temps, a vécu dans la cité médiévale de Troyes dans l’actuel département de l’Aube. Le tout avant que la France soit la France dans le sens moderne du terme. Autrement dit, la présence juive est ancienne. Celle des musulmans est un peu plus récente sur l’échelle de l’histoire.
Il n’y avait aucune présence musulmane significative en France à l’époque de la révolution française. Ce n’était qu’après la restauration que la France post-révolutionnaire a entamé sa première aventure coloniale en Afrique du Nord à partir de 1830. À cette époque, certains colonisés se sont établis de gré ou de force en métropole, sous l’appellation pudique de « Français musulmans ». Mais ils arrivaient à comptes gouttes. En 1905 lors de l’adoption de la loi de séparation entre les églises et l’État, des nouvelles règles ont été établies pour l’exercice des cultes. Avec la réintégration de l’Alsace et la Lorraine dans la République après l’Armistice en 1918, les règles particulières du Concordat en Alsace-Moselle se sont appliquées pour ces départements. Concernés étaient les curés, les pasteurs et les rabbins. Des imams, il n’en avait pas question : il n’y avait pas un seul minaret en France métropolitaine à l’époque. Des légions de soldats coloniaux ont combattu (encore une fois, de gré ou de force) aux côtés de la France dans les deux guerres mondiales au cours du vingtième siècle. C’est entre les deux guerres que la Grande Mosquée de Paris fut construite, en reconnaissance pour le sacrifice des soldats musulmans, morts pour la France dans la Grande Guerre. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’il commençait à avoir un Islam français. Il s’agit de le moderniser, de lui rendre ses lettres de noblesse et le sortir des garages et des caves, utilisés souvent comme lieux de prière improvisés. La construction des mosquées s’impose pour rendre la pratique de l’Islam digne, reconnue et respectée.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a été créé il y a cinq ans sur l’impulsion de Nicolas Sarkozy, actuel Président de la République, à l’époque Ministre de l’Intérieur et des Cultes. Malgré les nobles intentions qu’il a fièrement affichées sur la place publique, Sarkozy a crée le CFCM pour la même raison que Napoléon a créé le Consistoire en 1807 : méfiant envers une religion minoritaire qui avait mauvaise presse, il voulait pouvoir mieux la contrôler et il voulait un interlocuteur unique en face, en quelque sorte le « porte-parole des musulmans de France ». L’expérience juive en la matière, vieille de deux siècles, a démontré les limites de l’exercice. Même avec le Consistoire ou le CRIF, personne ne peut prétendre parler au nom de tous les Juifs. C’est pareil pour les musulmans, même avec le CFCM : personne ne peut prétendre parler au nom de l’Islam français dans son ensemble. L’inévitable variété de sensibilités au sein de cette instance est symbolisée par la rivalité entre la grande Mosquée de Paris et UOIF, l’Union des organisations islamiques de France, réputée plus radicale. Soheib Bencheikh, le mufti de Marseille à l’époque, réputé modéré, a bien résumé le phénomène en parlant de Sarkozy au moment de la création du CFCM : « Je salue sa main napoléonienne ». Il n’aurait pas pu mieux dire.
(…) Hormis les divergences politiques et religieuses exprimées par les divergences à l’intérieur de la communauté musulmane, elles sont autant attribuables à l’origine nationale des différents protagonistes. Car aujourd’hui, autant la grande majorité de musulmans en France sont Français de naissance, autant le clergé dépend largement des écoles coraniques étrangères. La plupart des imams qui officient dans des mosquées françaises ont été formés en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, au Mali, en Turquie ou ailleurs. La mise sur pied du CFCM avait comme objectif la création d’écoles coraniques en France pour la formation d’imams franco-français, qui pourraient à la fois enseigner les valeurs traditionnelles de l’Islam et celles de la République française. Car la religion d’État en France est la laïcité. En dehors de ces structures confessionnelles, il y a aussi nombre d’associations parfaitement laïques dans la mesure où leurs activités sont strictement confinées dans les champs politiques et culturels, comme par exemple le Collectif des musulmans de France (qui travaille pour faire respecter les droits civiques de ces compatriotes musulmans) ou encore le Collectif contre l’islamophobie.
PRÊCHER PAR L’EXEMPLE
Un des principaux axes de travail de l’UJFP est de militer pour une paix juste au Proche-Orient entre Israéliens et Palestiniens. Hormis les activités politiques éducatives dans ce sens, une bonne partie de notre action associative consiste à prêcher par l’exemple. Autrement dit, notre action a pour effet de rappeler à nos compatriotes que si des Juifs et des Arabes peuvent vivre et travailler ensemble en France, alors ils peuvent le faire au Proche-Orient aussi. C’est une question de vouloir, de volonté politique. Puis nous donnons régulièrement des nouvelles de nos camarades israéliens qui nous renvoient le même message. (…) Si des organisations juives israéliennes peuvent oeuvrer pour le respect des droits nationaux du peuple palestinien, alors ici en Europe des citoyens d’origines différentes peuvent, eux aussi, travailler ensemble pour des objectifs communs en faveur du respect des droits, de la compréhension mutuelle et de la justice sociale.
Du 1er au 3 juin, je suis allé à Berlin au sein d’une délégation de l’UJFP à l’occasion du 5ème congrès annuel de la fédération des Juifs européens pour une paix juste (JEPJ), dont mon association est membre fondateur. Cette fédération regroupe une quinzaine d’associations juives laïques dans une dizaine de pays d’Europe, du Royaume-Uni jusqu’en Autriche et de la Suède jusqu’en Italie. Ici au Benelux, des organisations juives en Belgique et au Pays-Bas font également partie de cette fédération. Le congrès a rédigé une déclaration adressée au Conseil européen et aux pays membres du G8 (car le sommet du G8 s’est déroulé quelques jours après, à Heiligendamm, en Allemagne). Ce document a exhorté l’Union européenne et la communauté internationale d’intervenir pour favoriser un règlement politique au conflit israélo-palestinien. Mais il a également souligné que la crise au Proche-Orient « aggrave la frustration ressentie par la jeunesse musulmane d’Europe, victime elle-même de discriminations. En tant que Juifs nous combattons à ses côtés contre la discrimination ». Pour nous, ce message est aussi important que celui qui concerne le conflit israélo-palestinien proprement dit. Savoir vivre ensemble, c’est une pratique qui ne connaît pas de frontières. Dans le même sens, un travail conséquent pour la paix est nécessairement un travail antiraciste. Les deux vont de pair.
Au mois de juin, un de mes associés en Normandie, Daniel Levyne, fils d’un kabbaliste érudit et membre du Bureau national de l’UJFP, a participé à une réunion organisée à Rouen par l’ACRIP (Association culturelle religieuse intercommunautaire pour la paix). Les églises chrétiennes dans toute leur diversité (catholiques, protestantes et orthodoxes) étaient représentées, ainsi que le judaïsme et l’Islam. Les communautés juives organisées autour des synagogues dans les villes de Rouen et du Havre ne participent plus à ces rencontres annuelles depuis l’éclatement de la deuxième Intifada en l’an 2000 mais l’UJFP, association juive laïque, était présente. Cet état de fait démontre à la fois la timidité du Consistoire et la disponibilité d’autres organisations juives, même si ces dernières se trouvent en dehors des structures communautaires « officielles ». Ce qui vient de mettre en cause un peu plus le caractère « représentatif » de ces structures, officiellement reconnues par l’État. Une nouvelle rencontre de l’ACRIP est prévue dans ce cadre le 21 septembre, Journée mondiale de la paix instituée par l’UNESCO. Même si le Consistoire et le CRIF ne seront pas au rendez-vous, l’UJFP le sera. (…)
SIONISTE ? PAS SIONISTE ? EN TOUT CAS, FRANÇAIS !
Si l’ouverture de ce colloque a eu lieu le 17 juillet, date anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, un incident récent a touché la communauté juive française à cette date il y a trois ans. Le 18 juillet 2004, Ariel Sharon, alors Premier ministre d’Israël, a exhorté ses coreligionnaires dans l’Hexagone de s’exiler « immédiatement » pour faire leur « alaya », c’est à dire immigrer en Israël. Pour quelle raison ? Pour s’échapper à une supposé vague « d’antisémitisme déchaîné » qui frapperait la France. À entendre l’ancien chef de gouvernement d’Israël, on se croirait à une autre époque, avec des traques menées par la Gestapo et la collaboration vichyste. Depuis la Libération, les Juifs français ne sont plus objets à des violences organisées à leur encontre. Nous jouissons désormais de la sécurité et d’une parfaite intégration, où l’antisémitisme est réprimé par les autorités, dénoncé par la presse et globalement rejeté par la société civile. En Israël, par contre, c’est toute une autre histoire, surtout depuis la première Intifada en 1987, puis la deuxième Intifada en 2000. Il n’y a pas un jour qui passe dans « l’État juif » ou dans les territoires qu’il occupe sans son lot de fusillades, de blessés, de morts, soit du côté juif, soit du côté arabe. L’occupation provoque la résistance, qui entraîne des représailles, qui provoque une résistance encore plus forte, dans un spiral de violence sans cesse. Si les Palestiniens paient le prix fort de cette situation, les Israéliens sont loin d’être indemnes. Aujourd’hui, Israël est le seul pays au monde où des Juifs sont mis en situation de danger en leur qualité de Juifs, et ceci par la politique d’un gouvernement qui prétend les représenter.
Malgré les promesses d’Ariel Sharon d’apporter la paix et la sécurité, il a obtenu ni l’une, ni l’autre. En s’adressant aux Français, Sharon a remis une couche en rajoutant : « Le fait que 10 % de la population française soit constituée de musulmans fournit un terreau à une nouvelle forme d’antisémitisme ». Ces propos, interprétés comme une ingérence dans les affaires intérieures du pays, ont été désavoués par le Ministère français des Affaires étrangères, qui a demandé des explications. Le président de l’Assemblée nationale, pourtant de droite, a qualifié les propos de Sharon d’« inadmissibles, inacceptables et irresponsables », précisant que Monsieur Sharon a « perdu une occasion de se taire ». Mêmes réactions du côté de la gauche. Quant aux instances juives françaises, si promptes d’habitude à applaudir la moindre déclaration israélienne, comment ont-elles réagit ? La LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), pourtant très sioniste, a estimé « qu’il est déplacé, indécent, de désigner l’ensemble de nos compatriotes musulmans comme susceptibles d’être collectivement responsables d’actes et d’agressions antisémites ». Même le CRIF a cru bon de regretter cette façon de « mettre de l’huile sur le feu ». Quelques semaines auparavant, le président du CRIF à l’époque, le très conservateur Roger Cukierman, s’est déjà plaint publiquement qu’ « Israël nous contourne », déplorant l’intensification des mesures entreprises par l’Agence juive pour encourager ses coreligionnaires à s’installer en Israël, avec une augmentation d’aide financière à la clef pour inciter ces Français à partir. Malgré de tels appels et l’activisme de l’Agence juive, les Juifs de France ne se bousculent pas à la porte pour prendre le chemin de l’exil. Même si beaucoup d’entre eux ressent un certain lien affectif avec Israël, ils restent résolument Français. Les départs aller-simple pour Israël demeurent marginaux. Fait intéressant, il y a plus de Juifs israéliens qui ont fait leur « alaya » en Europe ses dernières années que le contraire. Le flux migratoire le plus important chez les Juifs, ce n’est pas vers Israël, mais à partir d’Israël pour des pays comme la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou encore le Canada. Loin de la guerre, ces expatriés israéliens s’épanouissent dans une atmosphère de paix et de tolérance, chose qui ne leur a pas été possible en Israël. (…)
Richard WAGMAN
Président d’honneur, UJFP
17 juillet 2007