Communiqué
Avant leur évacuation par campagnes d’expulsion ciblées, les travailleurs immigrés, habitants des foyers de travailleurs immigrés destinés à être transformés en résidences sociales, ont été soigneusement invisibilisés par Emmanuelle Wargon dans ses déclarations lors de l’inauguration de la résidence « Jean-Marie Oudot » (paix à son âme) à Méru le 18 mai 2021.
Il suffit de se référer au compte rendu publié par l’agence AEF INFO le 19 mai pour en rendre compte. Sur 687 foyers de travailleurs immigrés recensés dans le programme de transformation, il reste 132 à convertir. Mme Wargon aurait dit : « Ces FTM restants sont évidemment les plus difficile [à traiter] […] et je suis disposée à voir comment attaquer la dernière montée avant le sommet ». Le « sommet » évidemment, c’est l’élimination totale des foyers de travailleurs immigrés. Les « difficultés » viennent de leurs habitants. Qui sont ces habitants ? Quelles difficultés posent-ils ?
Ce sont pour l’essentiel des travailleurs immigrés issus de l’Afrique, soit maghrébine, soit sub-saharienne. Ce sont des gens qui travaillent, ou qui ont travaillé, dans le bâtiment, les travaux publics, l’hôtellerie, le nettoyage, la sécurité et, plus récemment, dans la livraison des petits plats chauds que les Français covidés affectionnent de commander. Ce sont souvent des gens avec peu de qualifications formelles mais qui sont d’accord pour faire ces « sales boulots », peu prestigieux. On ne sait pas s’ils font partie de ceux mis par Emmanuel Macron dans son « concept » de « premiers de la cordée », mais ils sont certainement parmi les premiers debout, chaque matin prêts à travailler. Leurs salaires se plafonnent à 1,5 fois le Smic et, pour beaucoup, l’essentiel de leur effort est destiné à soutenir des investissements pour leurs familles restées au pays. Leur force de travail est bienvenue dans le tissu de l’économie française ; les êtres humains qui l’incarnent, par contre, sont tolérés de mauvaise grâce et ils ont été pendant de longues décennies cantonnés dans des zones de ségrégation et de bannissement urbains.
En plus, ces hommes vivant isolés de leurs femmes et enfants et qui sont les habitants traditionnels des foyers sont souvent accompagnés par des membres de leurs familles, jeunes descendants, voisins, amis, et qui ont l’habitude de partager leurs logements en attendant de pouvoir trouver mieux. Parfois ces gens sont en règle vis-à-vis de l’administration préfectorale, parfois leur régularisation est « en cours ». En tout cas, tous ces travailleurs immigrés isolés ont développé un mode de vie collectif qui a deux immenses avantages : la mutualisation des coûts de survie, notamment la garantie que nourriture et abri sont peu chers et disponibles pour tous, et la solidarité intra-communautaire, solidarité qui permet de parer aux menaces de l’isolement, de la dépression ou des désordres mentaux et moraux qui pourraient accompagner l’expérience d’une vie sacrifiée aux besoins d’une famille lointaine.
Tout cela est encore très visible parmi les presque 30 000 habitants des 132 foyers de travailleurs immigrés qui empêchent Mme Wargon et ses sbires d’atteindre leur « sommet ». C’est quelque chose que les intéressés, les personnes qui vivent cette expérience, souhaitent défendre et garder dans la mesure du possible.
Par contre Mme Wargon, toute préoccupée qu’elle est par ses soucis de mixité et de diversité des publics, ne le voit pas et ne les voit pas. Pour elle, ces gens n’entrent pas dans le radar de son horizon mental. Dans la lignée de son papa, Lionel Stoléru, célèbre seulement pour avoir instauré le « million pour le retour » qui a marqué les années Giscard, elle veut les voir disparaître. Et c’est bien ce à quoi vise la politique qu’elle défend.
C’est aussi un signe de la droitisation de la pensée politique en France et le renforcement des réflexes anti-immigration du débat public qu’une telle élimination mentale, lourde d’une possible politique d’éloignement physique de masse, s’exprime en toute bonne conscience. La « résidence sociale » voulue par la ministre est un lieu de passage, un abri temporaire, destiné à tous publics précarisés qui se voient flanqués d’un « accompagnement social » en principe pour leur permettre d’accéder à du logement de droit commun. Ce sont des « fourre-tout » de la misère sociale et économique où chacun est enfermé dans sa solitude et son isolement moral et politique, où le gestionnaire règne en maître absolu et où toute trace de solidarité communautaire est abolie de fait. Ainsi chaque gestionnaire de « résidence sociale » aujourd’hui oblige la signature d’un contrat et d’un règlement qui interdit l’hébergement, qui interdit la copie des clefs, qui permet au gérant de convoquer le résident à n’importe quel moment pour prouver sa présence effective dans les lieux, qui empêche le comité de résidents élu par tous les résidents d’être responsable des salles destinées à la vie collective. Dans les mots d’un préfet lors d’une réunion d’un comité de pilotage, ce sont des contrats de pensionnat, des contrats qui réduisent à néant les droits à une vie adulte et majeure, des contrats dont les travailleurs immigrés adultes et majeurs ne voudront pas et ne pourront pas accepter les contraintes. Cette incompatibilité mènera inévitablement à des campagnes d’expulsion telles que menées aujourd’hui par les sociétés gestionnaires contre leurs résidents immigrés. Face à des marchés de logement bouchés, à l’impossibilité de la plupart à accéder à un logement social, cette politique est une politique d’expulsion du logement et du pays, une politique d’épuration ethnique et sociale déguisée.
Contrairement à cette « invisibilisation », exprimée par Mme Wargon de manière explicite, mais aussi par la Cilpi et le Dihal de manière implicite dans leurs documents sur le plan de transformation des foyers, nous, au Copaf, souhaitons que les anciens foyers de travailleurs immigrés deviennent une nouvelle forme de résidence sociale, la résidence sociale pour travailleurs isolés, pour des travailleurs vivant, de manière durable et par choix, éloignés de leurs familles. Les habitants de ces résidences devraient avoir les mêmes droits à la vie privée et familiale que les locataires ; ils devraient aussi jouir des mêmes droits que les locataires à une représentation collective par amicale ou association dotée de vrais pouvoirs de surveillance sur la gestion de leurs logements. Ils doivent bénéficier de droits à une vie collective forte, nécessaire pour compenser l’absence de vie familiale, par la mise en place d’espaces collectifs en nombre et en taille suffisants, et des possibilités de restauration ou de cafétéria dans les établissements qui leur sont destinés. Enfin l’accompagnement social, s’il y en a, doit être adapté à la population spécifique des habitants et à ses demandes, notamment si une proportion significative des résidents est âgée. Et pour les retraités ayant donné l’essentiel de leur vie active à la France, des aller-retours sans limite de durée doivent être permis.
Les travailleurs immigrés, habitant les foyers qui leur ont été construits dans les années cinquante à soixante-dix du siècle dernier, méritent d’être traités avec dignité et considération, ce qui est loin d’être le cas dans le discours rapporté de Mme Wargon. Nous lui demandons de corriger le tir, d’ouvrir ses yeux à ce qu’elle considère comme invisible, et de donner aux travailleurs immigrés de ce pays un logement et des droits adapté à leurs besoins et à leur mode de vie.
Le 30 mai 2021
Copaf
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