Ambiguïtés de la mémoire par temps de génocide
À Vendôme, une cérémonie de remise de la médaille des Justes devait avoir lieu en avril à la mairie. Il s’agissait de reconnaître le courage de Jean et Jeanne Philippeau, savetiers à Vendôme, qui sauvèrent Arlette Testyler-Reimann, aujourd’hui âgée de 92 ans.
La municipalité de droite, après avoir tergiversé, a finalement refusé que la cérémonie se déroule dans la mairie. L’argument principal tourne autour de l’affichage traditionnel du drapeau israélien à côté du drapeau français. La mairie craint que cela crée un trouble.
La notion de Justes
L’idée de « Justes des Nations » vient du Talmud (traité Baba Batra, 15 b). Au long des générations, il a servi à désigner toute personne non juive ayant manifesté une relation positive et amicale envers les Juifs. Le Mémorial Yad Vashem décerne le titre de Juste des Nations aux non-Juifs qui, pendant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah, ont aidé des Juifs en péril, au risque de leur propre vie, sans recherche d’avantages d’ordre matériel ou autre. Le titre de Juste des Nations est décerné sur la foi de témoignages des personnes sauvées ou de témoins oculaires et de documents fiables. Ces « Justes parmi les nations » sont honorés à Yad Vashem, à Jérusalem, dans l’Allée des Justes.
On considère donc que seuls des non-Juifs sont des Justes. C’est lié, on l’a dit, au fait que la notion est d’origine religieuse et se base sur la vision d’un monde divisé entre Juifs et non-Juifs.
Pourtant, il y a eu des Juifs qui ne firent rien (ou ne purent rien faire), des Juifs qui dénoncèrent ou collaborèrent, des Juifs qui firent des actions héroïques pour sauver ou tenter de sauver d’autres Juifs. Pourquoi ces derniers ne se verraient pas attribuer ce titre de « Justes ». On pense, par exemple, aux frères Bielski qui organisèrent un maquis dans le but de sauver les Juifs de leur région. Ils créèrent un maquis dans les forêts et marais de Biélorussie et sauvèrent ainsi 1200 Juifs.
Il y a aussi un débat en Israël et dans les comités qui valident les dossiers de « Justes » sur la question des Juifs convertis au christianisme. Le fait de sauver un chrétien d’origine juive ne serait pas, selon certains, constitutif de l’acte d’un Juste, puisque finalement, un non-Juif sauverait un non-Juif.
Le problème qui est posé à Vendôme, c’est bien celui de la captation qui est faite par l’État d’Israël de la question de la résistance au génocide juif.
Yad Vashem
Ce lien fort de la notion de Juste avec l’État d’Israël en période de génocide à Gaza, interroge. Yad Vashem célèbre, en principe, la solidarité entre Juifs et non-Juifs. On devrait être loin de l’exclusivisme juif, du racisme arabophobe, d’une logique d’apartheid…
Mais cette contradiction se loge dès l’origine dans le caractère national israélien de la reconnaissance de cette solidarité. Dès l’origine, car l’emplacement même du Mémorial sur la colline qui s’appelait avant 1948, Jebel Abou Ghneim, se trouve sur des terres palestiniennes qui furent en partie achetées, en partie volées aux habitants du village arabe de Sur Bahir.
Le drapeau israélien honni
Faut-il se réjouir de la décision de cette mairie ? La municipalité de droite de Vendôme ressent fortement l’hostilité d’une majorité de l’opinion française à ce symbole d’un État génocidaire et craint une juste colère au simple affichage d’un drapeau israélien. L’instrumentalisation de la Shoah par l’État d’Israël semble ainsi se retourner contre ceux qui instrumentalisent la mémoire.
La célébration est repoussée à juin et se fera dans la sous-préfecture.
Le sionisme, théorie de la séparation des Juifs d’avec le reste du monde ne sauve personne. Il met en danger les Juifs. Les Juifs qui furent sauvés et dont nous sommes les descendants, le furent dans une logique de solidarité.
C’est elle que nous voulons continuer à mettre en oeuvre, une solidarité antiraciste tous azimut.
Pour approfondir cette question des Justes, un article de Dominique Natanson dans la revue Imaginaire et inconscient (2008) :