Donald Trump en « guerre sainte » contre l’islam

par Alain Gresh. Paru le 9 février sur le site d’Orient XXI.

Racisme, islamophobie et antisémitisme

En faisant interdire le territoire américain aux ressortissants de sept pays musulmans, le nouveau président Donald Trump a facilité la libération de la parole et les comportements racistes à l’égard des musulmans, mais également des juifs et d’autres minorités. Trump et une partie de son administration se place dans une perspective de croisade contre l’islam et les musulmans. Iront-ils jusqu’à une nouvelle guerre ?

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Donald Trump a signé le 27 janvier dernier un décret présidentiel sur la « protection de la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis ». Ce texte interdit le territoire américain aux ressortissants de sept pays musulmans (Irak, Syrie, Soudan, Somalie, Yémen, Libye, Iran) pour une période de trois mois. Par ailleurs, Washington a suspendu pendant quatre mois le programme fédéral d’admission et de réinstallation de réfugiés de pays en guerre. Enfin, les réfugiés syriens, dont 18 000 seulement ont été acceptés aux États-Unis depuis 2011 -– contre quelque 2 millions en Turquie et 1 million au Liban -–, sont interdits d’entrée jusqu’à nouvel ordre. Et Donald Trump a laissé entendre que, si cette interdiction était levée, la priorité serait accordée aux réfugiés chrétiens.

Le président américain n’a pas été jusqu’à mettre en œuvre certaines de ses promesses de campagne, comme l’interdiction du territoire à tout musulman ou l’établissement d’un fichier des musulmans américains. Néanmoins, sa décision a soulevé une levée de boucliers dans la plupart des pays du monde — à l’exception de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et des Émirats arabes unis, pays exemptés par le président américain et dont les citoyens représentaient pourtant 18 des 19 pirates de l’air responsables du 11-Septembre. Elle s’est heurtée aussi à une résistance active aux États-Unis où s’est engagée une bataille juridique entre l’exécutif et une partie des juges.

Libération de la parole raciste

Mais elle a également libéré dans le pays une parole raciste qui vise aussi bien les musulmans que les noirs et même les juifs. Dans la deuxième quinzaine de janvier, 48 centres communautaires juifs américains ont dû être évacués à la suite de menaces de bombes [note]Jewish community centers in US receive nearly 50 bomb threats in 2017 so far, Haaretz.com, 4 février 2017.]]. Un communiqué officiel publié à l’occasion de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes du génocide perpétré par les nazis pendant la seconde guerre mondiale a été révisé par la Maison Blanche pour en supprimer toute mention des juifs. Richard Steiner, un des leaders idéologiques de l’alt-right (pour droite alternative) a salué cette « déjudaïsation » du génocide.

Cette résurgence de l’antisémitisme peut sembler étrange au moment où Trump affirme sa solidarité avec Israël. Pour le comprendre, on peut citer ce qu’écrivait l’universitaire israélien Benjamin Beit-Hallahmi, analysant l’étrange alliance entre le gouvernement de l’apartheid sud-africain, dont l’idéologie puisait dans les principes du nazisme, et Israël : « On peut détester les juifs et aimer les Israéliens, parce que, quelque part, les Israéliens ne sont pas juifs. Les Israéliens sont des colons et des combattants, comme les Afrikaners. Ils sont durs et résistants. Ils savent comment dominer » [note]The Israeli Connection. Who Israel Arms and Why, Pantheon Books, New York, 1987.]]. Comme les « conquérants de l’Ouest » qui avaient colonisé les vastes terres américaines en éliminant les Indiens.

Au-delà de la xénophobie, l’élection de Trump porte de graves menaces internationales. Même si l’administration reste divisée sur de nombreux problèmes, une coterie puissante, dans les couloirs de la Maison Blanche, considère que l’Occident est engagé dans une guerre mondiale contre l’islam. Une récente enquête de l’International New York Times souligne que « Trump a installé une vision noire de l’islam au cœur de la politique américaine » [Scott Shane, Matthew Rosenberg, Eric Lipton, « [Trump Pushes Dark View of Islam to Center of U.S. Policy Making », New York Times, 1er février 2017.]]. Les journalistes rappellent que le candidat président avait comparé les menaces actuelles sur les États-Unis à celles qu’avaient représentées « les grands maux du XX e siècle », le nazisme et le communisme. Deux hommes jouent un rôle essentiel dans ce clan, le général Michael Flynn, qui est devenu conseiller national à la sécurité et qui pense que « la peur de l’islam est rationnelle » et Stephen K. Bannon, conseiller stratégique du président à qui Trump a offert un poste permanent au Conseil de sécurité nationale — ce qui lui donne une influence majeure sur la définition de la politique étrangère des États-Unis.

Vers une nouvelle « guerre sainte »

« Nous nous trouvons aux prémices d’un conflit très brutal et sanglant, qui va littéralement éradiquer tout ce dont on a hérité depuis 2 000 ou 2 500 ans », déclarait-il en 2015 [Voir la [vidéo « Qui est Stephen Bannon, l’homme de l’ombre de Donald Trump ? », Le Monde, 4 février 2017.]]. Officier de marine devenu homme d’affaires (notamment chez Goldman Sachs), il a dirigé Breitbart News, un site d’extrême droite, complotiste, porte-parole de l’alt-right, pour qui les républicains comme la chaîne ultraconservatrice Fox News sont des conservateurs bien trop mous. S’y sont exprimés aussi bien des suprématistes blancs que des antisémites notoires. Et Bannon lui-même voit dans les juifs, trop libéraux à ses yeux, des « facilitateurs » (enablers) du djihad [JTA, [Steve Bannon Described U.S. Jews as ’Enablers’ of Jihad, Haaretz, 5 février 2017.]].

Selon le journaliste israélien Chemi Shalev, Bannon croit « dans des vérités absolues, dans des visions apocalyptiques, dans une guerre à mort entre Gog et Magog » [Chemi Shalev, « [Trump and Bannon Are Implementing Netanyahu’s Playbook on Radical Islam », Haaretz, 3 février 2017.]]. Nous vivrions des « croisades à rebours », et les forces sombres de l’islam sont « en route pour détruire l’Occident, dont la résistance a été sapée par les athées et par les libéraux ». Le journaliste note le parallèle entre ces propos et ceux de Benyamin Nétanyahou qui, dans son livre A Place Among Nations [note]Bantam Books, 1993.]], écrivait que « le fondamentalisme islamique est une tumeur cancéreuse qui représente une sérieuse menace pour la civilisation occidentale ».

Comment se traduiront, sur la scène internationale, de telles orientations ? Il est encore trop tôt pour le dire. Trump vient de décider un certain nombre de sanctions contre l’Iran et son programme de missiles et dénonce avec une vigueur inédite l’intervention de ce pays au Yémen. Mais la République islamique lutte aux côtés des alliés des États-Unis en Irak et s’oppose à Al-Qaida et l’organisation de l’État islamique (OEI). Pour sortir de ces contradictions et des promesses faites à son électorat, le président américain aura-t-il besoin de s’engager, comme le craint le journaliste Bradley Burston, dans une nouvelle guerre, baptisée « sainte »[Bradley Bruston, « [Trump Needs a Holy War », Haaretz, 6 février 2017.]] pour l’occasion ?

Alain Gresh