« Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s’assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. […]Il faut donc remonter au principe que c’est aux conventions libres d’individu à individu à fixer la journée pour chaque ouvrier »
Isaac Le Chapelier, 1791.
« Des choses qui ressemblent au fascisme. » Invité vendredi dernier sur le plateau de Bourdin Direct , JM Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Faisait-il référence à la multiplication des affaires qui secouent l’institution militaire, exposant les comportements ignobles de plusieurs dizaines de soldats néo-nazis ? Non, bien évidemment. De ce côté-là, les réactions des hauts gradés de la Macronie continuent à faire cruellement défaut. Les saluts nazis imposés aux enfants guyanais, ça ne mérite pas d’adopter la morgue du catéchisme républicain des grands jours. Les « réunions non mixtes racisées » organisées par l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), elles, si.
Branle-bas de combat, c’est la mobilisation générale de la gauche de droite, du centre néolibéral et de l’extrême droite, qui ont en commun un usage galvaudé de la laïcité qui ne parvient plus à masquer leur racisme plus ou moins assumé. ! Toujours avides de polémiques pour se démarquer de leurs petits camarades, eux qu’une feuille de papier à cigarette peine désormais à séparer, on ne compte plus celles et ceux qui cherchent à montrer qu’ils sont les plus fervents partisans d’une ligne républicaine pure et dure – en prenant grand soin de ne jamais la définir, cette ligne, et d’en exclure systématiquement toute dimension sociale.
A. Hidalgo, l’égérie de la gauche (sans dents) — qui se voit délivrer des brevets de républicanisme par M. Valls et C. Fourest — s’inquiète, qualifiant avec effroi ces réunions de « très dangereuses ».
Et M. Le Pen d’abonder dans son sens, trop heureuse de voir, dans cette pratique militante, une preuve éclatante d’un phénomène politique contre lequel sa famille politique serait la seule à lutter (contrairement aux sus-cités, qui ne seraient que de pâles copies édulcorées), à savoir le racisme anti-blanc.
Le fond de l’affaire, c’est bel et bien que l’UNEF ait tenu des espaces de discussion réservés aux personnes non blanches. « Si ce n’est pas une preuve de l’existence du racisme anti-blanc, je veux bien manger mon chapeau ! », semblent-ils tous dire à demi-mot. Eh bien ils vont devoir avoir l’estomac bien accroché. Mauvaise foi manifeste ou inculture abyssale (un peu des deux, peut-être…), difficile de trancher. Il n’empêche que c’est faire preuve d’une ignorance profonde de la nature des rapports de domination que de penser que la parole peut se libérer de la même manière en toutes circonstances. Cela reviendrait à dire que des femmes victimes de violences sexuelles pourraient aisément en discuter en présence d’hommes inconnus, ou que des ouvriers pourraient débattre librement de leur émancipation et de l’amélioration de leurs conditions de travail en présence des patrons.
Les luttes ont toujours connu des groupes de parole rassemblant des personnes partageant une expérience commune de la réalité sociale, excluant de fait – et temporairement ou non – les autres. Mais la République étant aveugle aux différences – d’ailleurs, certains de ses partisans n’ont-ils pas ferraillé pour retirer le mot « race » de la Constitution ? –, il faudrait que les racisé.e.s s’effacent et courbent l’échine ? Ce chantage et cette violence nous sont insupportables.
Agiter le chiffon rouge du « racialisme », à l’heure où la précarité sur les campus prend des proportions inacceptables et où l’incurie gouvernementale est largement critiquée dans le champ universitaire, pourrait relever d’une stratégie de la dernière chance visant à jeter le discrédit sur l’UNEF.
L’UNEF est malheureusement loin de subir sa première polémique violemment raciste — n’oublions pas la récente réception de Maryam Pougetoux à l’Assemblée nationale….
Traîner l’UNEF dans la boue, plutôt que d’entendre ses revendications, c’est tenter de réduire au silence une critique acerbe de la mauvaise gestion de la pandémie, et au-delà un syndicat de combat qui assume ses positions sans compromission depuis plus de 100 ans.
Nous tenons à apporter au syndicat étudiant sous le feu des attaques des entrepreneurs de la haine polie et sophistiquée, drapés dans les habits de vertu des défenseurs de la République, notre profonde et inconditionnelle solidarité. Jamais nous n’accorderons au pouvoir un droit de regard sur les modalités de nos luttes.
La Commission Communication externe pour la Coordination nationale, le 24 mars 2021