L’opération militaire en cours dans les localités arabes d’Israël indique que le cessez-le-feu, intervenu au 11ème jour des bombardements sur la bande Gaza n’a pas mis fin à la guerre. L’objectif annoncé par les forces de sécurité israéliennes vise à neutraliser les Palestiniens soupçonnés d’avoir pris part à la révolte qui a secoué les villes arabes d’Israël. A ce jour plus de 2000 palestiniens sont déjà sous les verrous.
L’incursion de la police israélienne au sein de la mosquée Al Aqsa en plein mois de Ramadan et les menaces d’expulsion des familles de Sheikh Jarrah dans la partie Est de Jérusalem avaient embrasé les localités arabes dans un mouvement de révolte sans précédent.
Le réalisateur et essayiste israélien Eyal Sivan, qui est également un promoteur actif de la campagne de boycott, sanctions et désinvestissement (BDS), analyse pour le CJL les spécificités de cette révolte des Palestiniens de l’intérieur.
“Israël a (…) cessé de se considérer comme une société mixte et est devenu par conséquent et officiellement un État d’apartheid.”
EYAL SIVAN, cette révolte des palestiniens de l’intérieur semble avoir agi comme un électrochoc au sein d’une société israélienne. Mais finalement, elle n’a jamais cessé de s’interroger sur la place de ceux qu’elle s’évertue à appeler les « arabes israéliens ».
Rappelons tout d’abord que ceux qu’on appelle les « arabes israéliens » sont des Palestiniens, ils sont les descendants de ceux qui ont échappé au nettoyage ethnique perpétré en 1948. A l’époque, ils étaient entre 120 à 150.000 personnes ; maintenant, ils constituent 20 % de la population israélienne et ont toujours été perçus comme une cinquième colonne. Ces jeunes manifestants représentent donc la troisième génération de ceux qu’on appelle les Palestiniens de 1948.
“les Palestiniens de l’intérieur sont devenus, non plus de facto, comme c’était le cas pour la génération de leur parents, mais de jure, des citoyens de seconde zone.”
Depuis le début de la création de l’État d’Israël, ces citoyens souffrent de différentes formes de discriminations et rappelons que dès le début, le pays s’est constitué comme un État juif, ils ont donc été, de facto, des citoyens de 2ème catégorie. La génération actuelle connaît bien la société israélienne, parle parfaitement hébreu, certains d’entre ces “arabes israéliens” ont fait des études dans les universités israéliennes et ont un niveau de vie qui les rend un peu plus aisés que la moyenne des arabes vivant dans les pays environnants. On peut donc dire qu’ils ont été en quelque sorte « israélisés », mais cette forme d’ « israélisation » ne leur a pas permis, pour autant de devenir des citoyens à part entière.
Depuis que la Knesset, en 2018, a voté la loi fondamentale définissant Israël comme étant l’État-nation du peuple juif* et supprimant la langue arabe comme deuxième langue officielle, les Palestiniens de l’intérieur sont devenus, non plus de facto, comme c’était le cas pour la génération de leurs parents, mais de jure, des citoyens de seconde zone. Israël a, dès lors, cessé de se considérer comme une société mixte ; et est devenue par conséquent et officiellement un État d’apartheid. Mais bien avant d’en arriver là, les Palestiniens ont durement souffert d’une discrimination structurelle tout au long de ces 73 dernières années.
J’en veux, par exemple, pour preuve, le fait qu’au cours de ces 73 dernières années, des dizaines de localités ont été construites sur l’ensemble du territoire pour y loger des juifs, qu’il s’agisse de Kiboutz, de villes, ou de collectivités diverses. Alors qu’il n’y a pas eu une seule localité arabe nouvelle qui ait vu le jour, malgré la croissance démographique de la communauté palestinienne, d’où l’extrême densité de ces localités. Il en va de même pour les universités hébraïques édifiées un peu partout sur l’ensemble du territoire, tandis que pas une seule université arabe n’a été construite.
“Des dizaines de localités ont été construites en 73 ans sur l’ensemble du territoire pour y loger des juifs. Mais pas une seule localité arabe nouvelle n’a vu le jour, malgré la croissance démographique.”
Cette génération de jeunes qui souffrent de la pauvreté et d’une discrimination systémique se révolte et sous une forme qui est effectivement sans précédent. Ce qui est particulièrement intéressant dans ce soulèvement, c’est la volonté de révoquer la politique israélienne de fragmentation et de dispersion du peuple palestinien entre Gaza, la Cisjordanie, les Palestiniens de 48 et ceux de la diaspora. Ces jeunes ont tenu à nous dire : « nous faisons partie du peuple palestinien, la Palestine est une et notre combat est commun ».
Il ne s’agit donc plus de se contenter d’exprimer sa solidarité avec Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, mais d’affirmer l’unité du peuple palestinien alors que son leadership souffre, lui, des manœuvres israéliennes qui ont conduit à sa division avec le Fatah à Ramallah et le Hamas à Gaza.
“Il ne s’agit plus de se contenter d’exprimer sa solidarité avec Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est, mais d’affirmer l’unité du peuple palestinien”
Ces manifestations de Palestiniens de 48 sont-elles vraiment sans précédent ? N’y a t il, donc, eu aucune révolte d’ampleurs des Palestiniens de l’intérieur depuis 1948 ?
Il y a eu de nombreuses manifestations de solidarité avec les Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza, notamment lors de la deuxième Intifada et la répression a été brutale puisqu’une quinzaine d’entre eux ont été tués par la police et l’armée israélienne.
Dans les années 70, il y a eu des révoltes qui ont également fait des victimes et c’était, à l’époque, en réaction à un grand plan de confiscation des terres appelé « plan de Judaïsation de la Galilée ». Ces confiscations qui n’ont d’ailleurs jamais cessé depuis.
On peut remonter également jusqu’aux années 50 avec les massacres de Kafr Kassem (village dans lequel la police des frontières israélienne, abattit de sang-froid 47 civils Palestiniens d’Israël, dont 15 femmes et 11 enfants âgés de 8 à 15 ans).
Mais la spécificité de cette révolte ne tient pas seulement dans la nature de ses slogans unitaires, mais également dans sa géographie. Elle a, bien entendu, eu lieu dans les localités à majorité arabe, mais la grande nouveauté et la surprise a été de la voir gagner les villes dites mixtes, constituées de juifs et d’arabes ; ces villes comme Lyd, Ramleh, Tibériade, Haïfa, Acre ou Aful, si chères à la gauche sioniste, qui aimait à voir dans celles-ci la preuve de l’intégration réussie des Palestiniens dans la société israélienne.
Ces révoltes sont venues dire à ces intellectuels de la gauche sioniste que non seulement « il n’y pas de processus d’Israélisation à l’œuvre mais qu’il y a, au contraire, un processus de palestinisation puisque leur traitement au sein de la société israélienne s’apparente de plus en plus à celui que les Palestiniens subissent dans les territoires occupés depuis 1967. »
“Il s’agit une opération paramilitaire menée par la police et les gardes frontières comparable (…) à celles qu’effectuaient les paras français dans la casbah pendant la bataille d‘Alger”
L’opération militaire en cours qui à pour objectif de neutraliser les meneurs de la révolte ne risque-t-elle pas, au contraire de lui donner un second souffle et de galvaniser le sentiment national palestinien ?
D’abord précisons que c’est une opération paramilitaire menée par la police et les gardes frontières comparable, d’une certaine manière, à celles qu’effectuaient les paras français dans la casbah pendant la bataille d‘Alger. Cette opération vise à la fois ceux qui sont désignés comme des meneurs qui auraient incité à la révolte et les grandes figures de la délinquance.
Il faut dire que l’une des demandes répétées des députés palestiniens de la Knesset était de lutter contre la criminalité dans les localités arabes. On a vu effectivement une augmentation exponentielle de violence en leur sein, qu’il s’agisse de violences inter-familiales, de violence contre les personnes ou d’assassinats. Or les services de renseignement et la police ont volontairement ignoré ces demandes et ont laissé pourrir la situation.
Et là, sous le prétexte d’une opération policière qui prétend ramener l’ordre dans ces villes, l’opération porte d’ailleurs le nom de « Loi et ordre », des dizaines de raids violents sont conduit à l’heure où je vous parle dans plusieurs villes dites mixtes. Alors est ce que ces raids risquent de solidifier encore davantage l’unité du peuple palestinien ? Sans aucun doute.
A l’inverse, clamer haut et fort l’unité du peuple palestinien par delà le mur de séparation, comme le font les Palestiniens de 48, ne risque-t-il pas de renforcer le camp de ceux qui les ont toujours perçus comme des ennemis de l’intérieur ?
Absolument. Cette opération va à la fois renforcer l’unité du peuple palestinien de part et d’autre du mur de séparation et exacerber la méfiance des Israéliens à l’égard des Palestiniens de 48.
J’irais même plus loin : je crois que c’est le résultat escompté par le gouvernement israélien.
Entendre les Palestiniens de 48 proclamer qu’il n’y a pas de différence entre eux, les Palestiniens vivant à Gaza et ceux vivant en Cisjordanie, n’a pas manqué de conforter ceux qui pensent qu’ils vivent avec une cinquième colonne.
Et déjà des voix s’élèvent pour dire qu’il faut trouver une solution pour se débarrasser de ces gens, ce qui pourrait relancer le débat sur le transfert de population déjà évoqué par plusieurs personnalités politiques israéliennes, et qui est, rappelons-le, l’essence même du projet sioniste.
Il y a par ailleurs un autre problème qui a surgi au cours des dernières élections et qui a mis la société israélienne face à une situation de blocage constitutionnel inédite dans l’histoire du pays et qui n’a pas manqué de susciter l’exaspération.
“Entendre les Palestiniens de 48 proclamer qu’il n’y a pas de différence entre eux, les Palestiniens vivant à Gaza et ceux vivant en Cisjordanie, n’a pas manqué de conforter ceux qui pensent qu’ils vivent avec une cinquième colonne.”
A l’issue du scrutin, aucun des deux principaux blocs politiques n’avaient pu constituer de gouvernement car ni l’aile droite portée par Netanyahou, ni son opposant Yaïr Lapid avec ses alliances, n’étaient parvenus à dégager une majorité parlementaire.
Or c’est le petit parti islamiste israélien Raam qui, s’est retrouvé, pendant plusieurs semaines, détenteur de la clé des négociations susceptibles de dénouer la crise. Ce qui signifiait que sur le plan symbolique et politique, le fait qu’il y ait une majorité juive ne permet plus de gouverner en Israël.
Cette situation a évidemment déchaîné la colère et la haine de la droite israélienne, obsédée par la question démographique. Et là ce n’est plus seulement l’option de “transfert de population” si chère à l’extrême droite israélienne qui a de nouveau été posée sur la table mais la perspective de priver les Palestiniens de l’intérieur de leurs droits civiques et politiques comme leurs compatriotes résidant de l’autre côté du mur de séparation. Ce qui ferait basculer Israël d’un État d’apartheid de facto à un état d’apartheid gravé dans le marbre de la constitution.
On pourrait d’ailleurs faire une analogie avec la France – et rappelons qu’une analogie n’est jamais une comparaison. La France se retrouve, elle aussi, confrontée avec une minorité arabe, ou franco-musulmane, qui va déterminer l’avenir politique du pays, même si elle est pour l’instant dramatiquement sous-représentée dans les instances politiques françaises. C’est quand même à partir d’elle que le pays est en train de déterminer s’il fait le choix d’un nationalisme ethnique – ce vers quoi il semble incliner– ou si la France opte pour un État qui garantit l’égalité de tous ses citoyens.
“(…) les sionistes de gauche sont davantage scandalisés par les appels aux meurtres d’arabes entendus dans les tribunes des stades de football où dans des manifestations de rue que… Par la mort des arabes elle même.”
On a souvent entendu la gauche israélienne déplorer l’OPA lancée par les extrémistes religieux sur l’idéologie sioniste et qui serait à l’origine de ce qu’il est devenu aujourd’hui, autrement dit une politique qui n’hésite plus à assumer sa proximité idéologique avec des formations d’extrême-droite néo-fascistes.
L’idéologie sioniste n’a pas changé, elle est restée constante tant sur le plan théorique que par son application politique. Il y a eu, en revanche, un changement d’ordre esthétique. La métaphore que j’utiliserai serait celle du dévoilement.
Le sionisme s’est dévoilé. Pendant des années, les sionistes de gauche ont réussi à présenter cette idéologie comme progressiste. Il faut quand même rappeler que le nettoyage ethnique perpétré en 1947-1948 et qui a vidé le pays de plus de 700.000 Palestiniens, c’est-à-dire la majorité de la population, et la destruction de la Palestine a été réalisé par des forces de gauche et plus précisément par le parti travailliste israélien.
Ben Gourion était de gauche. La colonisation des territoires occupés en 1967 débute sous l’impulsion de gouvernements de gauche. Ce sont Itzhak Rabin et Shimon Pérès qui initient cette politique de confiscation des terres et ont autorisé la construction des premières colonies dans le territoires occupés en 1967 (Sinaï, Gaza et la Cisjordanie).
« on ne s’excuse plus »
Naphtalie Bennet, président du parti ” nouvelle droite”
Ce qui caractérise le sionisme aujourd’hui pourrait se résumer par ce slogan de parti de droite de Naphtalie Bennet : « on ne s’excuse plus ».
Pendant des années, quand j’enseignais en Israël l’histoire de la Palestine à travers le cinéma et que j’abordais la question de l’expulsion des Palestiniens et la destruction de leurs villages, les étudiants adoptaient une position de déni : « Non, ce n’est pas vrai, ils ont obéi à leur leader qui leur demandaient de fuir… ». Lors de ma dernière année d’enseignement en 2014, lorsque j’abordais cette question, les étudiants me disaient : « Où voulez vous en venir ? Au fait que nous avons expulsé les Palestiniens ? Oui et alors ? »
Il n’y a plus la nécessité de faire le grand écart que la gauche sioniste pratiquait et qui se résumait par la formule : « Dieu n’existe pas mais il nous a promis la terre ». Il y a quelques années, une revue critique israélienne publiait un article qui mettait en lumière toute l’hypocrisie de la gauche sioniste. Il était intitulé : « De la mort des arabes à morts aux arabes ». Cet article démontrait en fait que les sionistes de gauche sont davantage scandalisés par les appels aux meurtres d’arabes entendus dans les tribunes des stades de football ou dans des manifestations de rue que… par la mort des arabes elle-même.
Cette hypocrisie s’est également manifestée lors de l’entrée au parlement des députés du parti d’extrême droite kahaniste. Cette formation évoque ouvertement l’annexion des territoires occupés et la nécessité d’un transfert de population.
Et là encore, le centre-gauche israélien, ou du moins ce qu’il en reste, s’est scandalisé de l’irruption de ce parti dans la vie parlementaire israélienne : « Comment peut-on laisser ce parti siéger au parlement alors qu’il était interdit, il y a 35 ans ?! ». Ce à quoi l’éditorialiste d’Haaretz, Gideon Levy a répondu : « Mais cela fait des années que le programme de ce parti est appliqué : transfert de population, confiscation des terres, ségrégation scolaire et loi fondamentale sur l’identité juive d’Israël (… ) ». C’est, selon moi, ce qui explique, en grande partie, le déclin électoral de la gauche israélienne et le fait qu’elle se soit décrédibilisée à l’international.
On pourrait d’ailleurs faire le même constat avec la gauche française. On ne peut pas faire campagne sur des valeurs de gauche, d’un côté et de l’autre appliquer une politique néolibérale et islamophobe, mettre en place l’état d’urgence, faire des perquisitions administratives et réclamer la déchéance de la nationalité française.
Le « dévoilement » de l’idéologie sioniste, pour reprendre votre expression, pourrait-il avoir un impact positif pour le mouvement de solidarité avec les Palestiniens ?
Je crois que l’ennemi du peuple palestinien et de la gauche anticoloniale israélienne et internationale a longtemps été la gauche sioniste car elle a occupé une fonction modératrice. Pas une fonction de modérateur, mais modératrice, c’est-à-dire que son action consistait à modérer, non pas la violence de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens, mais à modérer toutes les critiques qu’elle pouvait susciter à l’étranger.
Nous avons écrit avec Armelle Laborie un livre qui s’appelle « Un boycott légitime » dans lequel nous avons établi que l’agent recruteur le plus efficace pour la campagne de boycott d’Israël est la politique israélienne elle-même.
Cette gauche modératrice, qu’il s’agisse de Badinter, de Bruckner ou de leurs homologues israéliens comme David Grossman ou le parti Meretz, dénonçait le boycott et les sanctions sous prétexte qu’il risquait d’affaiblir la gauche israélienne.
Dès lors que cette gauche sioniste s’est effacée, nous nous retrouvons face à la réalité de cette idéologie, face à un sionisme dévoilé que nous pouvons clairement qualifier d’apartheid et mettre en avant les voix de l’anti-sionisme qui sont celles d’un véritable anti-colonialisme. Et ces voix disent : « Nous sommes tellement peu nombreux et tellement faibles au sein de la société israélienne que nous avons besoin de l’aide extérieure pour faire pression contre notre gouvernement ».
Et nous parlons ici de sanctions internationales. Ou, plus simplement, de l’application de toutes les résolutions qui ont été votées par les Nations Unies, à commencer par celle qui consacre le droit de retour des Palestiniens expulsés en 1948 ou de celle qui exige le retrait des forces d’occupation des territoires conquis par l’armée israélienne en 1967. Autant de résolutions auxquelles Israël a réussi à se soustraire grâce, notamment, à l’action de cette gauche « modératrice ».
Malgré la détérioration de l’image d’Israël et la dynamique impulsée par la campagne BDS, la situation des Palestiniens n’a pas cessé de se détériorer : la bande de Gaza est littéralement étranglée par le blocus, quand elle n’est pas visée par les bombardements et la colonisation continue de progresser.
Je persiste à croire que le fait que des organisations comme HRW et B’teslem aient qualifié Israël d’État d’apartheid, que le mot d’apartheid soit de plus en plus associé à Israël, que l’ex-procureur de la CPI a ouvert une enquête à charge contre Israël pour crimes de guerre constituent des avancées majeures dans la lutte contre le projet sioniste. La campagne de BDS et l’activisme du mouvement de solidarité avec la Palestine en général n’ont pas été vains. Ils ont notamment porté leurs fruits aux États-Unis, où Israël a perdu le soutien de la diaspora juive, particulièrement au sein de la jeunesse qui refuse désormais de faire le grand écart que leurs parents faisaient.
“Cette évolution, nous la devons autant à la brutalité des gouvernements israéliens qu’aux campagnes de mobilisations internationales”
On peut observer le même schéma au sein du parti démocrate où une aile gauche est de plus en ouvertement critique vis-à-vis d’Israël. Cette évolution, nous la devons autant à la brutalité des gouvernements israéliens qu’aux campagnes de mobilisations internationales pour exposer les crimes de l’État d’Israël. Mais soyons clairs : nous ne sommes pas au terme d’un processus, seulement à son commencement.
Et oui, vous avez raison de dire que la situation des Palestiniens ne s’est, non seulement, pas améliorée, mais qu’elle s’est au contraire détériorée. Et cela s’explique, selon moi, par une chose assez simple. A la faveur de la disparition de la gauche « modératrice », Israël n’a plus besoin de faire le grand écart entre ses prétentions démocratiques et son projet colonial. Cette contradiction ayant disparu du paysage politique, les dirigeants israéliens ne s’embarrassent plus de circonvolutions pour assumer une politique ouvertement raciste et brutale ou pour la résumer en un mot : coloniale.
Pour autant, Israël continue de jouir de l’impunité et du soutien des chancelleries européennes comme on a pu l’observer lors des derniers bombardements.
Ceci en dit autant sur l’évolution politique inquiétante de l’Europe que sur celle d’Israël. On observe depuis 20 ans une percée de l’extrême droite sur l’ensemble du continent européen. Il y a aujourd’hui des États comme la Pologne, la République Tchèque et surtout la Hongrie qui sont dirigés par des partis d’extrême droite.
Le centre de gravité du soutien à l’État d’Israël s’est déplacé de la gauche à l’extrême droite.
Netanyahou s’est souvent félicité de la relation nouée avec Donald Trump, pourtant proches des suprématistes blancs, mais ce n’est pas la seule qu’il ait nouée avec des formations d’extrême droite. On peut également parler de ses excellentes relations avec Bolsonaro au Brésil, Duterte aux Philippines ou Modi en Inde, ou encore de l’amitié qui le lie au premier ministre de ce pays en voie de fascisation qu’est la Hongrie.
“(…) rien d’étonnant (…) à ce que ces élites politiques européennes s’inspirent de la gestion militaro-policière israéliennes pour mâter leurs propres minorités. Et il y a, de ce point de vue, une spécificité toute française.”
C’est n’est, d’ailleurs, pas un hasard si c’est le premier ministre hongrois qui a bloqué l’adoption d’une déclaration commune des ministères des affaires étrangères de pays de l’UE, pourtant très molle puisqu’elle n’appelait qu’à « la désescalade et à la retenue ».
Il n’y a, par conséquent, rien d’étonnant à ce qu’une partie importante de ces élites politiques apportent leur soutien à un pays (Israël) qui assume son racisme et qui promeut la ségrégation. Rien d’étonnant non plus à ce que ces élites politiques européennes s’inspirent de la gestion militaro-policière israéliennes pour mâter leurs propres minorités.
Et il y a de ce point de vue une spécificité toute française.
Il y a, selon moi, deux raisons majeures qui permettent de comprendre le soutien de la France à Israël. La première, c’est son histoire coloniale que la France d’aujourd’hui est plus encline à assumer comme un héritage positif dans son roman national, que comme un boulet, ce qui permet à la France de s’identifier davantage à Israël qu’à ses victimes.
Rappelons à ce titre que le projet colonial français a longtemps été porté par la gauche tout comme en Israël.
L’autre aspect est plus contemporain mais découle du premier point : la France cultive, elle aussi, des angoisses identitaires fondées sur la démographie avec des thématiques comme le « grand remplacement » promu à longueur d’antennes par des Zemmour, des Finkielkraut et des Renaud Camus. L’expression même de “cinquième colonne” n’est-elle pas fréquemment évoquée dans le débat public en France ?
Prenons l’exemple de la loi contre le séparatisme votée en France récemment. C’est en réalité une politique de séparation et de ségrégation, donc c’est une politique d’apartheid qui est promue par l’exécutif. Israël incarne de ce point de vue un modèle idéologique et un modèle de gestion pratique.
Propos recueillis par Khaled SID MOHAND
Eyal Sivan a réalisé plusieurs films consacrés à la question palestinienne parmi lesquels Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël (2004) coréalisé avec Michel Khleifi et Jaffa, la mécanique de l’orange (2009).
Il est également l’auteur de :
– Éloge de la désobéissance, coauteur avec Rony Brauman, publié par Éditions Le Pommier/Fayard
– Un État commun : entre le Jourdain et la mer, coauteur avec Éric Hazan, Éditions La Fabrique, 2012.
– Un boycott légitime ; pour un BDS universitaire et culturel d’Israël, avec Armelle Laborie, La Fabrique, 2016.
31 mai 2021