Gaza au cœur, avons nous écrit.
Entrer à Gaza c’est possible mais il y a une procédure un peu compliquée. Depuis quelque temps, les périodes d’ouverture de la frontière de Rafah sont rares et brèves. On peut avoir de la chance, mais on peut aussi être bloqué très longtemps au Caire, ce qui est arrivé à Pierre Stambul.
Il nous rapporte cependant de ce court séjour des éléments utiles pour tout le mouvement de solidarité.
Entrer à Gaza c’est possible mais il y a une procédure un peu compliquée. Depuis quelque temps, les périodes d’ouverture de la frontière de Rafah sont rares et brèves. On peut avoir de la chance, mais on peut aussi être bloqué très longtemps au Caire, ce qui m’est arrivé.
Dès qu’on a atteint le canal de Suez, les check-points se succèdent avec parfois des moments très désagréables. La route est souvent coupée et il faut partir sur des petits chemins dans les champs ou les villages.
À la douane égyptienne, prévoir 4 à 7 heures d’attente (alors qu’à l’aéroport du Caire où on est présumé touriste, on passe en 5 minutes). C’est la bureaucratie primitive à l’état pur avec des formalités faites à la main et des ordinateurs en panne. Les Internationaux ne sont pas mieux traités que les Palestinien-ne-s. C’est Gaza qui est puni et humilié. On est aussi rançonné avec des dépenses absurdes (prévoir une trentaine d’euros à chaque passage).
Côté palestinien, c’est beaucoup plus simple.
Ce sont en quelque sorte des brigades internationales pour la Palestine. Le principal animateur de l’association, Manu Pineda, est un Espagnol de Malaga dont le militantisme pour la Palestine remonte à la première Intifada. Il était alors dans le camp de Jabaliya.
Unadikum a un appartement tout près du port de Gaza qui peut loger 6 ou 7 personnes. L’association a établi un réseau de relations avec de nombreux Palestiniens. Ils ont des voitures et des chauffeurs mais ces derniers sont beaucoup plus que cela. Ce sont des gens formidables dont les tranches de vie sont très représentatives de celles des Gazaouis. Quasiment tous les jours, il y a des rencontres et des soirées communes. Le Palestinien qui m’a guidé et accompagné pendant mon séjour m’a fait partager sa vision, ses opinions, sa façon de vivre, ses espoirs et ses désespoirs.
Unadikum a une action continue de protection des paysans qui travaillent tout près de la « barrière de sécurité » (pour reprendre le vocabulaire de l’occupant) et des pêcheurs qui sont agressés jusque sur la plage malgré une autorisation théorique d’aller jusqu’à 6 Km. Les camarades d’Unadikum qui sont entré-e-s avec moi à Gaza transportaient plusieurs valises de médicaments.
Unadikum suit l’actualité sur Gaza heure par heure et intervient dès qu’il se passe quelque chose. C’est ainsi que nous sommes allé-e-s le 24 décembre à l’hôpital voir le corps d’Hala, une fillette de trois ans, tuée par le tir d’un tank israélien à 700 m de distance sur une maison habitée par 25 personnes. Nous avons vu aussi les autres membres de la famille blessé-e-s. La famille nous a demandé de filmer et de témoigner.
Unadikum connaît tout le monde à Gaza : les partis, les syndicats, les associations, les ONG. C’est grâce à eux que j’ai pu avoir plusieurs rencontres. Si j’avais eu le temps initialement prévu sur place, j’aurais rencontré le Hamas.
Manu Pineda m’a fait une forte impression. Il était à Athènes pour la flottille. Il considère qu’il ne faut surtout pas opposer la démarche d’Unadikum, le BDS, la flottille ou d’autres formes de solidarité. Au contraire, tout est complémentaire et doit s’ajouter. Il déplore les divisions inutiles dans le mouvement de solidarité. Je partage totalement ce point de vue.
L’Égypte et Gaza
Deux éléments ne font pas de doute :
Il y a eu un réel mouvement populaire massif qui a abouti à un soulèvement contre les Frères Musulmans. Ceux-ci s’étaient fortement discrédités par un exercice du pouvoir plus que partisan et par une incapacité à affronter les problèmes (notamment sociaux) de l’Égypte. Morsi avait cru naïvement qu’en remplaçant le chef de l’armée ou
quelques juges, il aurait les mains libres. Les Frères Musulmans n’ont pas seulement perdu le pouvoir, ils ont été défaits dans la société civile en perdant par exemple une majorité qu’ils détenaient depuis des décennies chez les étudiants et les médecins face à des listes indépendantes.
Si le mouvement Tamarod (= rébellion) a été spontané, une partie importante de ses animateurs s’est ralliée très vite à l’idée d’un coup d’État militaire. Par exemple, le dirigeant des syndicats indépendants est devenu ministre du travail du nouveau régime. L’armée qui semblait s’être résignée à un partage du pouvoir avec les Frères a
sauté sur l’occasion. On a clairement affaire à une contre-révolution réactionnaire. Quelques révolutionnaires, animateurs de la première révolution, restent des opposants. Certains sont en prison. Quelques-uns dénoncent la répression meurtrière contre les Frères. Tous contestent les lois liberticides. Désormais, le premier parti en Égypte est le parti salafiste Al Nour soutenu par l’Arabie Saoudite et probablement créé et aidé par l’armée.
Quel rapport avec Gaza ? Le premier chef d’inculpation contre Morsi (pour lequel il risque la peine de mort) serait sa participation (sous l’ère Moubarak) à un « complot » avec le Hamas, le Hezbollah, les Gardiens de la Révolution iraniens, Al Qaïda … n’en jetez plus, la cour est pleine. La justice égyptienne s’apprête à inculper par contumace des dizaines de membres du Hamas et du Hezbollah. Le deuxième chef d’inculpation reproche à Morsi d’avoir eu en tant que chef d’État des rapports avec le Hamas (!!).
Les nouveaux dirigeants égyptiens s’apprêtent à faire légitimer l’éviction des Frères Musulmans par un référendum. Ils ont promulgué un décret qui criminalise le fait d’appeler à voter non ou à boycotter le scrutin !
Ce qui a fait basculer l’opinion en leur faveur, c’est « l’insécurité ». On peut quand même avoir des doutes. J’ai pu assister à une intense campagne de presse visant à assimiler les Frères Musulmans à une organisation terroriste. Le lendemain, un attentat à la voiture piégé provoquait la mort de 15 personnes à Mansourah dans le delta. Aussitôt, la décision était prise de qualifier officiellement la confrérie de terroriste. Dans ce genre d’affaire, on ne sait plus qui tue qui et qui manipule qui.
De même, il paraît que le Sinaï est truffé de terroristes d’Al Qaïda aidés par le Hamas. On peut avoir des doutes. Le nord du Sinaï est totalement plat, n’offre aucune cachette et la présence de l’armée y est imposante. Curieusement la partie montagneuse du Sinaï qui jouxte les stations touristiques de la Mer Rouge n’a pas de terroristes. Bizarre. Cette « menace » est la justification du quasi-blocage de la frontière de Rafah. Pourtant , le dernier numéro de 2013 de l’hebdomadaire Al Ahram (en français) publie un superbe dossier de trois pages sur la Palestine. Citons les articles : « Des négociations à vau l’eau» où il est expliqué que Kerry veut faire capituler les Palestiniens. « Il faut une action palestinienne pour faire avorter ce complot », article qui critique les pays du Golfe. « La Palestine, victime collatérale du printemps arabe ». « Le lourd bilan des colonies », article qui rappelle qu’entre 2012 et 2013, la colonisation a augmenté de 70%. « Première année mitigée de la Palestine à l’ONU », article qui confirme que l’Autorité Palestinienne s’est engagée à ne pas saisir le Tribunal Pénal International contre Israël. Et enfin « au bord de la faillite », article qui rappelle que les caisses de l’Autorité Palestinienne sont vides et que les recettes des douanes (contrôlées par Israël) représentent les 2/3 de son budget.
Il y a juste un manque dans ce dossier : le rôle-clé de l’Égypte dans le blocus de Gaza et le fait que ce pays, comme Israël, punit collectivement toute la population de Gaza.
Gaza, impressions rapides
Par rapport au film Gazastrophe tourné immédiatement après l’opération « Plomb durci », on voit beaucoup moins de gravats et visiblement, malgré la pénurie de ciment, il y a eu beaucoup de reconstructions. La route Salah al-Din qui traverse la bande de Gaza du nord au sud est en réparation, mais on peut circuler sans problème.
Je n’ai pas eu le temps d’aller dans les camps de réfugiés, ni de voir l’aéroport détruit ou les réservoirs d’eaux usées. Environ 70% de la population de Gaza a le statut de réfugié. En ce sens, la ville de Gaza est un peu différente avec des quartiers de ville historique et un assez joli front de mer (hôtels, bars, port).
Unanimement, les Gazaouis disent : « nous sommes des gens normaux, nous ne sommes pas des terroristes, nous voulons pouvoir vivre comme tout le monde ».
On en est loin. D’abord, ils sont en cage. La frontière d’Erez est fermée, sauf rares exceptions. Celle de Karni où passent les camions ferme au moindre « incident ». Celle de Rafah n’ouvre qu’épisodiquement.
La question de l’eau (voir plus loin) est centrale. L’eau du robinet qui vient de l’aquifère peut servir pour l’agriculture ou le lavage, mais elle est saumâtre et totalement impropre à la consommation. Il faut payer (cher) pour avoir de l’eau potable.
L’électricité, c’est en moyenne 6 heures par jour. La lampe de poche est indispensable. Malgré les groupes électrogènes, on n’est que partiellement éclairé et tous les jours, des gens sont bloqués dans les ascenseurs.
L’essence est rare. En Égypte, elle est subventionnée et ne coûte que 12 centimes d’euro le litre. Quand cette essence arrivait à Gaza, on trouvait de l’essence à 80 centimes. Aujourd’hui, il n’y a plus que l’essence israélienne à 1,60 euro. Pour les Gazaouis, c’est hors de prix alors parfois, les charrettes remplacent les voitures.
Le chômage et la pauvreté sont généralisés. L’économie a été détruite ou étranglée, notamment l’agriculture et la pêche (voir plus loin).
Les hôpitaux manquent de médicaments, d’hygiène et de médecins bien formés. Beaucoup de malades partent à l’étranger pour se faire soigner.
Un effort énorme est porté sur l’éducation. Il y a très peu d’illettrisme (alors que l’Égypte compte 30% d’illettrés). Beaucoup d’étudiants partent à l’étranger pour terminer leurs études. On rencontre beaucoup de diplômés forcés de survivre avec des petits boulots.
Les Palestiniens avec qui j’ai parlé sont essentiellement des jeunes diplômés proches d’Unadikum. Tous ont un grand regret : « La Palestine n’a ni unité, ni leadership ». Ils sont très critiques sur les deux gouvernements palestiniens : « ils ne se préoccupent que de leurs propres intérêts ».
J’ai même entendu un discours rare : « mon employeur à Tel-Aviv était un Israélien d’origine libyenne qui me respectait et me disait : ici, c’est ton pays. On peut vivre ensemble avec des gens comme lui et je regrette cette période ».
Un dernier mot sur la question religieuse à Gaza. Noël est un jour férié par respect de la minorité chrétienne qui est très appréciée. Avec un parti islamiste au pouvoir, on pourrait imaginer que les signes religieux soient envahissants. En fait, non. Il y a moins de barbes islamiques ou de hidjebs qu’en Égypte.
Tous mes interlocuteurs savaient que j’étais juif. Cela a entraîné des réactions de sympathie. Une seule fois d’étonnement.
L’Union des femmes palestiniennes (PWU : Palestinian women’s union)
Cette association a été créée en 1964 à l’époque de l’occupation égyptienne. Elle est dirigée par Leila Klaibo. Elle abrite une crèche, un jardin d’enfant et une école maternelle. Les enfants m’ont chanté des comptines en arabe et en anglais. L’association vient en aide aux familles pauvres et aux orphelins. Elle ne reçoit pas de subventions,
juste parfois des donations (une salle d’ordinateurs). Elle vit des maigres tarifs d’inscription des familles. J’ai remis 600 euros destinés à trois enfants parrainés par un grand militant marseillais.
Une idée me vient : de nombreuses collectivités locales françaises détournent la tête quand on leur parle de Gaza (donc des « terroristes »). PWU m’a remis un document en anglais qui explique leurs objectifs et leurs activités. Avec un tel document, il me semble possible de demander à des municipalités ou des régions d’entrer en relation
solidaire avec le PWU.
Le PCHR (Centre palestinien des droits de l’homme) : Eyad Al Alam (avocat, directeur des affaires légales)
Les objectifs du PCHR sont la défense des droits économiques, l’aide aux victimes, le développement des droits démocratiques, l’aide légale et la confrontation avec l’occupant. Le PCHR a parfois des problèmes aussi avec l’Autorité Palestinienne. Il enquête et se documente sur tout ce fait l’occupant, sur les attaques.
Le PCHR a travaillé avec les enquêteurs du rapport Goldstone. Il a fourni aux enquêteurs tous les documents que celui-ci a utilisés.
Chaque semaine, le PCHR publie un rapport. Parfois, il enquête aussi sur des violences interpalestiniennes. Comme ONG, il reçoit des subventions d’Oxfam ou d’Amnesty. Il refuse toute subvention des États-Unis.
Il publie des rapports sur la situation des pêcheurs privés de travail, sur le manque de médicaments et l’absence de transferts médicaux, sur la pauvreté des hôpitaux qui n’ont que les bâtiments.
Il travaille avec les comités de soutien aux prisonniers (il y a 500 prisonniers politiques originaires de Gaza) et avec les comités contre la torture en lien avec les avocats. Depuis la libération de Shalit, les familles peuvent visiter les prisonniers mais l’accord est régulièrement violé.
« Rien ne changera avec Abou Mazen ».
« Il est clair que l’Égypte est contre nous. Certains prétendent attaquer le Hamas mais ce sont tous les Palestiniens qui en subissent les conséquences ».
Eyad estime que la Palestine est très faible et il espère des changements en Israël.
« Notre rêve, c’est un seul État, notre référence c’est Mandela, nos dirigeants sont stupides ».
« À l’époque de l’occupation, je n’étais pas en cage, je pouvais aller à Tel-Aviv. Aujourd’hui, on manque d’électricité et de nourriture ».
« On a deux parlements, deux gouvernements, deux lois. Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? Je me fous des relations Fatah-Hamas. On voudrait des élections mais Israël contrôle tout et ne laissera pas faire ».
« Le gouvernement de Gaza a eu l’aide de Morsi et, maintenant que les Frères Musulmans sont qualifiés de terroristes, on en paie les conséquences ».
« Les deux gouvernements palestiniens n’ont plus de légitimité ni de cadre légal pour exercer le pouvoir ».
« Je rêve à nos droits de mener une vie normale et d’être traités comme des êtres humains. Les Palestiniens sont traités comme des animaux. On n’a même pas le droit de choisir nos dirigeants ».
Le PCHR (Centre palestinien des droits de l’homme) : Khalil Shaheen (droits économiques et sociaux)
« C’est la pire situation aujourd’hui pour les droits de l’homme. Nos droits fondamentaux sont niés. Nous n’avons pas d’unité géographique avec la Cisjordanie et nous sommes totalement dépendants de la politique israélienne ».
« Ce qui est à l’œuvre, c’est la division de la Palestine, le nettoyage ethnique à Jérusalem et l’apartheid ».
« Face à cela, il y conspiration du silence, complicité et impunité. Il faut des sanctions. Ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité doivent être jugés ».
« L’Europe a payé notre port et notre aéroport. Elle n’a rien dit quand ils ont été détruits ».
« Les droits de l’homme s’appliquent partout, sinon c’est la discrimination. Nous devons nous appuyer sur le droit, ce qui implique le droit de résister à l’oppression ».
« Ceux qui ont ordonné à leur armée de tirer sur des civils ont violé la convention de Genève. Pourquoi la justice internationale protège-t-elle les criminels de guerre israéliens ? »
« Richard Falk a été accusé d’antisémitisme quand il a parlé de génocide. Avant lui, John Dugard a été traîné dans la boue. Falk et Dugard sont pourtant juifs ».
Khalil explique qu’à Gaza la situation est catastrophique depuis la destruction des tunnels et qu’on a affaire à une punition collective avec le blocus. Ce blocus coûte aux Gazaouis le double de ce que la communauté internationale leur donne. Il y a 45% de chômeurs (sans aucun travail) à Gaza. Parmi eux, 35000 chômeurs diplômés car le secteur public ne peut rien leur offrir.
C’est le secteur de la pêche qui est le plus sinistré : bateau confisqué à 700 m de la côte, 2 pêcheurs tués à 300 m du rivage. En 2012, il y avait 4200 pêcheurs et 219 bateaux pour une pêche misérable qui atteint à peine le niveau d’il y a 50 ans.
Les gens sont poussés à la misère. Beaucoup de jeunes veulent partir.
« Sur l’unité palestinienne, Fatah et Hamas ont un peu avancé, mais c’est mission impossible. Il manque la volonté politique et des leaders charismatiques. Les civils paient pour cette division, c’est une honte. Notre nationalisme doit se battre exclusivement contre l’occupant et pour nos droits ».
Sur le débat un État/deux États, Khalil signale que Noam Chomsky qui est venu à Gaza dit le contraire de la position d’Edward Saïd : pour lui, la reconnaissance internationale implique deux États.
« Comme Palestinien, j’ai été victimisé et maltraité. La Naqba est en moi. Je suis né ici, c’est mon pays. Un Russe obtient la nationalité et moi, je n’ai rien. La loi vient du pouvoir, pas de la morale. Avec la globalisation, j’ai espoir que les barrières disparaîtront. Pourquoi la communauté internationale accepte-t-elle cette punition collective ? »
Khalil rappelle qu’Amira Hass a vécu 3 ans dans le camp de Jabaliya et deux ans à Rafah. Il explique que les drones ont déjà tué 650 personnes. Ce sont des crimes de guerre, une juridiction internationale devra les juger.
En novembre, les parents de Rachel Corrie sont venus à Gaza. Une semaine après leur départ, l’offensive israélienne a commencé.
Le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, Rabah Mohanna, membre du bureau politique)
Au mur, il y a le portrait de Georges Habache, fondateur du FPLP et de Abou Ali Moustapha, ancien secrétaire général, assassiné par les Israéliens en 2001.
« Le sionisme est une partie du capitalisme international et du système mondial impérialiste. Les sionistes sont venus ici pour expulser et remplacer les Palestiniens ».
« On est dans la pire des situations. Les Arabes sont utilisés et dirigés par les Américains, pas pour une vraie démocratie. La coopération avec les Américains est néfaste pour les Arabes. Les révolutions arabes n’ont pas été mûres pour un changement radical. Cela influe sur la Palestine, nous faisons partie de ce monde ».
« En Syrie, cela a commencé par un vrai mouvement populaire et cela a été utilisé après par des groupes liés à l’Arabie Saoudite. L’aide américaine a divisé la Syrie ».
Rabah liste cinq questions centrales :
Rompre les négociations avec Israël.
La division palestinienne est insupportable avec une responsabilité partagée. Ils ne pensent qu’à leur intérêt.
L’opposition des deux gouvernements est très préjudiciable.
Il faut mettre fin au siège de Gaza et à la colonisation.
La situation économique et sociale à Gaza est gravissime.
Rabah explique que la question religieuse est secondaire. Ce qui est central, c’est l’occupation israélienne, le harcèlement, l’oppression.
De nombreux militants du FPLP sont en prison, dont le secrétaire général Ahmed Saadat. De nombreux militants ont été tués. Rabah rappelle les paroles de Rehavam Zeevi exécuté par le FPLP en 2001 : « on doit écraser les Palestiniens sous nos chaussures comme des insectes ».
Il explique l’action sociale du FPLP : « on se concentre sur les jardins d’enfants, les projets, les instituts, les hôpitaux (comme à Jabaliya), les ONG, l’aide aux agriculteurs et aux pêcheurs ».
Le FPLP a une conférence nationale tous les 6 ans. La dernière vient d’avoir lieu. Les 2/3 de la direction ont été changés. Il y a désormais 20% de femmes (ce qui n’est pas évident dans la société palestinienne) et 35% de jeunes dans la direction.
« Nous sommes en importance le troisième parti palestinien. Nous voulons unifier un troisième pôle avec le parti communiste et le parti de Mustapha Barghouti ».
Rabah réaffirme la position de son parti pour un seul État démocratique en Palestine : « peu importe que les gens soient chrétiens, musulmans, juifs ou autres. Deux États, cela a échoué ».
Il rappelle que le projet sioniste, c’est le transfert : « ils veulent le réaliser par l’agression, la guerre, la pression et des conditions de vie indignes. On résistera ».
L’UAWC (syndicat des comités de travailleurs agricoles), Mohamed al-Bakri, secrétaire général
La bande de Gaza, c’est 360 Km2 et 1750000 habitants. C’est une terre agricole et celle-ci disparaît. Elle est passée de 120000 dunums (1/3 de la superficie) en 2006 à 73000 aujourd’hui. Il y a un très gros problème de sécurité alimentaire. Le problème est plus politique que militaire : on ne sait pas quand Gaza sera libre.
Les accords d’Oslo avaient dit que les pêcheurs pourraient pêcher jusqu’à 20 milles des côtes. En fait, Israël interdit la pêche au-delà de 2 milles et il y a très peu de poisson sur la côte. Les forces d’occupation tirent sur les bateaux et arrêtent les pêcheurs. On fait des programmes pour qu’ils aient des filets et de nouveaux bateaux mais il faut une solution politique.
Même problème pour les paysans. Il y a de la bonne terre là où il y avait les colonies. 34% de la terre cultivable se situe le long de la barrière. Les Israéliens interdisent de cultiver parfois jusqu’à plus d’un Km. Ils tirent régulièrement sur les paysans. On en est à 150 morts en 7 ans sans compter les nombreux animaux abattus.
Tous les 100 m, les Israéliens ont creusé des puits pour capter l’aquifère venant de Cisjordanie. Il faudrait 180 000 000 m3 d’eau pour l’agriculture à Gaza. Avec les puits, l’aquifère n’en produit que 110 000 000. Résultat, la nappe phréatique se remplit d’eau de mer et est saumâtre. Il y a bien une station de dessalement, mais elle fonctionne au ralenti avec la pénurie d’électricité.
La situation à Gaza est chaotique : pas de travail, une Palestine divisée, pas d’essence. À l’hôpital qui soigne les cancers, il n’y a que trois médecins et peu de médicaments. Les patients qui sont soignés en Israël doivent payer très cher.
Gaza produit des fraises. Israël interdit leur exportation en Cisjordanie. Pour les exporter en Hollande, c’est compliqué et aléatoire. On passe par une compagnie dirigée par des Palestiniens d’Israël. Lors des dernières inondations, 3000 serres ont été inondées. Il faut impérativement les remplacer. Israël ne le veut pas et les paysans perdent leurs produits. Du coup, la population est obligée d’acheter des fruits israéliens. Avec l’occupation, aucun développement n’est possible. Il faut faire pression pour que nos produits qui sont bon marché puissent être exportés.
UAWC soutient les paysans pour qu’ils restent sur leurs terres. Ils sont 120000 à Gaza avec un travail essentiellement familial sans ouvrier agricole. Ce sont de très petits propriétaires (En moyenne 5 dunums soit 1/2 hectare). Gaza est autosuffisant pour les légumes et les poulets, mais il faut importer les œufs, la viande rouge (Israël) et le poisson (Égypte, par les tunnels).
« On est contre les tunnels. Le droit international confère à Israël la responsabilité de Gaza. Les tunnels nous soulagent, mais Israël en déduit qu’on peut prolonger le blocus ».
« Sans solution politique, on continuera à manquer d’eau, de terre, de médecins, d’éducation et ça va exploser ».
Mohamed me remet 3 CD en anglais sur son syndicat, les pêcheurs et les paysans.
UAWC est membre de Via Campesina. Le syndicat aide les paysans à s’organiser eux-mêmes. Il est en relation avec ISM (International Solidarity movement) et avec Solidaires.
Mohamed explique que, face au BDS, les Israéliens font des faux certificats affirmant que leurs produits viennent de Tel-Aviv.
Israël a essayé de saboter un programme d’UAWC avec des Australiens en disant qu’UAWC, c’est le FPLP. La manœuvre a échoué. Mais trois dirigeants d’UAWC ont été arrêtés puis libérés.
« Le droit international permet de cultiver et de pêcher. Israël viole ce droit en disant que c’est contraire à sa sécurité ».
UAWC reçoit des subventions de l’Union Européenne, d’Espagne, de France, d’Oxfam, d’un fond arabe et du mouvement de solidarité.
UAWC a un programme de développement (des tracteurs bon marché). Pendant les inondations, l’association a pu fournir du matériel d’étanchéité.
UAWC a 29 comités locaux à Gaza et 52 en Cisjordanie.
La discussion se termine sur la situation politique : « l’Union Européenne a payé des millions de dollars pour la démocratie. Qui a profité du printemps arabe ? Les États-Unis, l’Arabie Saoudite ! Où est la démocratie ? En Syrie, Bachar est un salaud mais où est l’alternative ? Al Qaïda a des tanks, pas le peuple. Et ici, le Hamas a été
très stupide en intervenant dans les affaires égyptiennes. Ils ont donné un prétexte pour cette punition collective.
Ziad Medoukh, responsable du département de français a l’université al-Aqsa de Gaza
Ziad revient d’un séjour en France. Il est passé par Amman, Jéricho et Erez et a eu beaucoup de mal à rentrer (« humiliation totale »). Il a entrepris d’envoyer régulièrement des informations sur Gaza au mouvement de solidarité français.
Sur l’Égypte, il rappelle qu’il y a de nombreux liens familiaux entre ce pays et Gaza qui concernent 50000 familles et que c’est le seul pays voisin. Il reconnaît que l’ouverture de la frontière de Rafah est arbitraire mais comprend les raisons sécuritaires du gouvernement égyptien et estime que le blocus est 100% israélien. « Si Gaza perd l’Égypte, c’est perdu ». Sur ce point, je ne suis pas convaincu.
Il y a des relations tendues entre le gouvernement égyptien et celui de Gaza mais pas de rupture. « Les barbus de Gaza sont dans une situation difficile. Il n’y a pas eu de manifestation contre l’Égypte à Gaza, tout le monde en a besoin ».
Ziad estime que l’armée égyptienne est coincée et ne peut pas ouvrir la frontière mais que tous nos efforts doivent cibler Israël.
« Il n’y aura pas de troisième Intifada à cause de la division palestinienne. Depuis la mort d’Arafat, il n’y a plus de leadership. La direction à prendre vient de l’extérieur de la société palestinienne et non de l’intérieur. Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. Ces deux gouvernements ont perdu la légitimité. Les deux sont en échec. Mais ils savent que la population ne va pas se révolter contre eux. Des deux côtés, des opposants politiques sont arrêtés et emprisonnés ».
« Les jeunes préfèrent prendre une balle israélienne plutôt qu’une balle palestinienne. Tout est bloqué. La médiation égyptienne pour la réunification palestinienne s’est arrêtée. Il y a un nouveau Premier ministre honnête à Ramallah mais rien ne change ».
La discussion vient sur le boycott. La notion est peu développée en Palestine parce que les marchés sont captifs. Il y a peu de produits israéliens, pas de produits des colonies mais les Palestiniens n’ont aucune marge de manœuvre. « Toutes les formes de solidarité sont les bienvenues. Mais la priorité, c’est de lever un blocus qui dure depuis 7 ans. S’il n’y a pas un mouvement comparable à ce qui s’est fait en Afrique du Sud, ça ne marchera pas ».
Ziad parle de la société civile palestinienne. « Elle a un double rôle fondamental : la résistance contre le blocus et l’occupation, la résistance contre la division palestinienne. Les ONG créées dans les années 80-90 continuent d’encadrer la population ».
Sur l’éducation, le taux de scolarisation est de 93% et il y a très peu d’illettrés. Étudier, c’est résister, c’est un signe d’espoir. Il y a 5 grandes universités à Gaza et 100000 étudiant-e-s. Mais beaucoup ne trouvent pas de travail après leurs études ou font des petits boulots.
45% de la population est sous le seuil de pauvreté. Les 2/3 de la population sont au chômage partiel ou total. Il y a une adaptation à la pénurie.
Les 2/3 de la population de Gaza sont des réfugié-e-s enregistré-e-s à l’UNRWA. Celle-ci a un rôle important en ce qui concerne l’aide alimentaire, l’éducation, les centres médicaux …
Dans le cadre du blocus, Israël se permet tout : interdire à des diplomates d’entrer à Gaza, tirer sur des travailleurs de l’UNRWA …
Conclusion :
Cibler notre travail dans le mouvement de solidarité contre le blocus de Gaza est fondamental. Nous le ferons.