Tandis que le monde entier critique les constructions d’Israël en Cisjordanie, une désapprobation persiste aussi dans le pays, depuis les protestations diplomatiques de parlementaires jusqu’au boycott de produits des colonies par des consommateurs.
Des entreprises de Cisjordanie rencontrent une résistance à leurs produits.
Associated Press, publié le 13 février 2014 dans Israël News
En ce moment, quand Yaaacov Berg tente de vendre sa ligne de vins de choix de Psagot, qui a été distinguée par des prix, il rencontre des obstacles de tous côtés. Son produit est de plus en plus mis de côté parce que venant d’une colonie de Cisjordanie. Berg, qui a 37 ans, dit que le refus ne vient pas que de l’étranger mais de Tel Aviv même : « en fait, nous avons de gros problèmes ; il est quasiment impossible de vendre aux restaurants (de Tel Aviv) » ajoute-t-il.
Alors qu’Israël est embourbé dans le combat contre les appels croissants au boycott des produits israéliens et des entreprises qui ont des liens dans les colonies controversées, on voit discrètement émerger parmi les Israéliens une campagne qui avance sans bruit et de manière plutôt informelle.
Des Israéliens partisans de longue date de la paix mais qui ont longtemps considéré que les colonies n’étaient pas tellement un problème, commencent à demander pourquoi Israël continue à y construire face à ce qui apparaît comme un consensus mondial proche de l’indignation.
Même parmi les Israéliens qui considèrent que la Cisjordanie appartient de droit à Israël, on note maintenant un certain malaise face à la poursuite d’investissements en Cisjordanie au détriment de solutions à apporter à la crise intérieure du logement et autres problèmes sociaux en Israël.
Bien qu’il n’y ait pas de mouvement organisé, il est de plus en plus évident qu’une prise de distance se manifeste de fait par rapport à la colonisation : des gens évitent notamment d’acheter des produits des colonies allant du vin à des aliments bio et aux cosmétiques de la Mer Morte.
« En tant qu’Israélien, je m’oppose à un régime que je trouve illégitime en Cisjordanie et je ne veux rien avoir à faire avec lui, aussi je fais l’effort de ne pas acheter ces produits » dit Yaron Racah, un employé de 38 ans, du secteur de l’High-tech de Tel Aviv. « Si je ne peux pas y mettre fin, je peux au moins ne pas aggraver la situation en prenant activement part à quelque chose en quoi je ne crois pas ».
Plus de 550 000 Israéliens vivent en Cisjordanie et dans Jérusalem Est, des zones voisines conquises lors de la guerre de 1967, parmi environ 2,5 millions de Palestiniens. En 2013, les autorités israéliennes ont planifié plus de 14 000 logements dans les colonies à engager en plusieurs étapes, d’après La Paix Maintenant, le groupe israélien anti-colonies.
Les Palestiniens disent que ces territoires ainsi que la bande de Gaza, de l’autre côté d’Israël, le long de la côte, devraient constituer leur futur Etat. Ils critiquent le fait que la croissance du peuplement des colonies rendra encore plus difficile la partition de la Terre Sainte entre Israël et un Etat palestinien.
Certains Israéliens voient un gros risque dans la restitution de la Cisjordanie qui commande la région montagneuse sur la partie centrale d’Israël. Beaucoup de Juifs religieux voient la Cisjordanie comme leur centre biblique.
Le problème est venu au devant de la scène dans les pourparlers de paix en cours, le secrétaire d’Etat John Kerry ayant dit que la poursuite de la construction pose la question de l’engagement d’Israël pour la paix. Avec des officiels européens de haut niveau, il a averti Israël qu’il s’exposait à un isolement croissant et à des pressions économiques si les pourparlers de paix échouaient et que les colonies se développaient.
La question pendante est de savoir ce qui se passera si Israël n’est plus du tout séparé de la Cisjordanie. Avec 6 millions de Juifs et 2 millions de citoyens arabes en Israël, une fusion avec la Cisjordanie ne ressemblerait pas tellement à un « Etat juif ».
Des deux côtés, certains disent qu’un point de non retour a déjà été atteint. Et certains israéliens sont tellement énervés à cette idée qu’ils en arrivent à des positions qui auraient semblé incroyablement radicales il y a à peine quelques années.
Zehava Galon qui est à la tête du Meretz, le parti d’opposition colombe, a dit que si elle s’oppose aux efforts de boycott international total contre Israël, elle évite de consommer des produits des colonies parce qu’il faut bien qu’il y ait « un prix à l’occupation » : « C’est inacceptable. Quiconque a pensé qu’ils pouvaient tromper le monde entier a eu raison pendant quelques années mais c’est fini » dit-elle.
Certains universitaires se sont abstenus de coopérer avec des collègues des colonies, une poignée d’acteurs a refusé de jouer dans des théâtres des colonies et il y a eu quelques cas de réservistes refusant de se présenter pour leur période de garde dans des colonies. Au Parlement, des législateurs pacifistes ont récemment argumenté en faveur de plus de transparence dans le financement des colonies.
Certains Israéliens parlent même tranquillement du besoin d’une action plus dure dans le monde, en particulier de la part de l’Union européenne qui accorde à Israël un statut spécial ; celui-ci est la clef du sentiment de normalité de son peuple qui participe aux compétitions sportives européennes et à des événements tels que le concours de chansons Eurovision.
Amira Hass, qui tient une chronique dans le quotidien Haaretz, et qui est considérée comme résolument pro-palestinienne par nombre de ses concitoyens, a lancé un appel aux pays européens pour qu’ils cessent de délivrer des visas aux Israéliens qui en font la demande avant de voyager. « Une atteinte à notre liberté de mouvement et l’éventualité de refus de visas seraient un avertissement adéquat, qui nous dirait que notre normalité n’est qu’une illusion », a-telle écrit mercredi.
Dans la mesure où des accusations d’antisémitisme ont été prononcées en Israël contre le boycott international, ce genre de parallélisme est très sensible dans le pays.
Yoram Cohen, de la cave Tanya dans la colonie d’Ofra, a appelé les boycotteurs israéliens des hypocrites « branchés », qui n’ont pas d’états d’âme pour acheter du vin provenant de pays bien pires en ce qui concerne les droits humains. Berg a dit avoir peur qu’une minorité qui donne de la voix « empoisonne » le discours public et gagne de l’influence sur d’autres pour éviter les produits des colonies.
Les entreprises dans les colonies disent qu’elles fournissent du travail bien payé aux Palestiniens ; c’est le cas de Sodastream, fabricant international de machines à faire des boissons gazeuses, qui a récemment fait sa publicité au Super Bowl avec la participation de l’actrice Scarlett Johansson. Mais les officiels palestiniens disent que la présence des colonies étouffe leur propre développement économique.
Avec d’autres viticulteurs des colonies, Berg a récemment annoncé publiquement que des douzaines de restaurants de tel Aviv boycottaient leurs vins dans l’espoir de les faire changer de cap en leur faisant honte.
L’agence de presse a contacté plus de douze restaurants de tel Aviv, y compris certains nommés par les colons. Tous ont refusé d’aborder le sujet. Ce n’était pas seulement la peur de s’aliéner des clients qui les aurait dissuadés de parler mais également une loi israélienne de 2011 qui peut les exposer à des poursuites en cas de boycott officiel. La loi n’a pas fait de l’appel au boycott un délit, mais un problème civil qui pourrait motiver une compensation financière. Il n’y a pas encore eu de précédent.
Parmi les consommateurs, les sentiments sont mêlés : « il nous faut montrer qu’il y a des gens ici qui n’approuvent pas les colonies, que tout le monde ne pense pas que c’est OK » a dit un habitant de Tel Aviv, Chai Hazen. « Si le boycott est le moyen de le montrer… c’est ce que nous ferons ».
Mais quelqu’un d’autre, de tel Aviv également, Tali Biton, a dit que les divisions internes ne font que nuire à l’image et à l’économie du pays.
Yaniv Rosner, propriétaire d’un magasin de vins et spiritueux de la ville proche de Kfar Saba, a dit que les clients rejetant le vin des colonies étaient rares, autrement dit, le vin devrait rester à l’écart de la politique : « donnez moi un bon vin du Liban et je le vendrai aussi ».
Isaac Scharf et Aron Heller, traduction : SF pour BDS France