Une des principales réussites du gouvernement israélien avec le bombardement et l’invasion de la bande de Gaza l’hiver dernier a été d’inspirer une nouvelle vitalité aux groupes de gauche et pacifistes solidaires de la lutte palestinienne pour la justice et la libération. Cette vague d’activité a continué après le soi-disant cessez-le-feu, avec des manifestations et des actions directes de New York à Los Angeles, Paris, Jaffa et Tel-Aviv. Le plus remarquable a été la sortie en plein jour d’une fraction importante et déterminée du monde juif, pas seulement opposée aux guerres et aux occupations du gouvernement israélien mais critiquant le sionisme lui-même.
Les blocages de consulats israéliens à Los Angeles et San Francisco ont été entrepris en partie par les membres d’IJAN, le Réseau International Juif Antisioniste récemment créé. L’occupation du consulat de Toronto a été menée par ‘Femme Juives pour Gaza’, dont des membres du réseau canadien antisioniste ‘Pas En Notre Nom’ (Not In Our Name). Une manifestation de 700 personnes à New York a été organisée par ‘Jews Say No’, un groupe ad hoc de militants Juifs, dont beaucoup critiquent le sionisme depuis longtemps. Le groupe diasporiste Londonien Jewdas a utilisé un e-mail mystificateur pour faire annuler un rassemblement pour la guerre appelé par le Conseil des Représentants des Juifs Britanniques, et il a reçu un immense soutien. Et le groupe d’action directe anti-nationaliste israélien, Anarchistes Contre le Mur, à bloqué une base aérienne israélienne à Tel-Aviv. Presque tous les événements publics les plus visibles montrant une opposition juive à la dernière escalade de la guerre à Gaza ont été organisés et réalisés largement par des Juifs non- ou anti-sionistes (et ceux qui s’opposent au sionisme mais préfèrent ne pas définir leur politique à son égard).
Ceci n’est pas une coïncidence. Les huit années de l’Intifada actuelle ont aussi vu la montée du mouvement mondial de solidarité avec la Palestine et de sa stratégie actuelle boycott/désinvestissements/sanctions. En même temps la critique juive du sionisme s’est répandue et est devenue plus bruyante que jamais depuis la création d’Israël en 1948, malgré le soutien inepte que le gouvernement étasunien offre à Israël depuis 1967. Ce soutien, d’après les avocats et défenseurs d’Israël ainsi que selon Washington, proviendrait du soutien écrasant des communautés juives étasuniennes pour Israël. C’est bien sûr notoirement faux. Comme beaucoup d’analystes l’ont fait remarquer – récemment Mearsheimer and Walt dans leur livre très attaqué ‘Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine’ – les communautés juives des USA ont joué un rôle plutôt marginal dans l’édification du soutien du gouvernement étasunien pour Israël. Bien plus significatives sont : l’industrie des armes, que l’aide américaine à Israël subventionne; l’industrie pétrolière, qui voit en Israël un contrepoids au pouvoir régional des états arabes pétroliers ; la droite chrétienne, qui croit que le pouvoir juif sur tout l’Israël biblique est une précondition pour le Second Avènement ; et le racisme anti-arabe/anti-musulman et la xénophobie particulièrement après le 11 septembre 2001 et les guerres des USA en Afghanistan et en Irak. Quand l’influence juive est significative – dans les travaux de l’AIPAC [1] par exemple – elle vient de l’influence d’un petit nombre d’individus riches et de droite dont la politique ne reflète nullement l’opinion publique juive américaine, comme même les données rassemblées par des enquêteurs conservateurs l’indiquent.
La rhétorique du ‘soutien-des-USA-pour-Israël-en-réponse-aux-intérêts-et-aux-souhaits-des-Juifs-Américains’ est pourtant devenue progressivement de moins en moins convaincante. La récente montée de la visibilité des critiques juives du sionisme coincide avec une critique d’Israel de plus en plus exprimée et acceptée dans les communautés juives américaines. Il est très difficile d’en donner une estimation définitive, mais des histoires comme les suivantes, que j’ai entendu toutes depuis le début des attaques les plus récentes d’Israël sur Gaza, étaient rares pendant la décennie que j’ai consacrée auparavant à agir intensément au côté juif du mouvement de solidarité pour la Palestine :
L’enfant d’un enseignant d’une école privée juive refuse de rejoindre sa famille et son école à une manifestation pour la guerre.
La femme d’un rabbin démissionne de toute activité dans la congrégation après qu’un événement sur la non-violence – sans lien avec la Palestine ou avec Israël – ait été annulé par le Conseil de la synagogue.
Une responsable de l’association Hillel [2] à Columbia University publie un essai sur la contradiction entre son désir légitime d’apparaître progressiste et son job qui est de vendre « sous la contrainte » (selon ses mots) le programme Birthright Israel [3].
Une indication de l’étendue de ces critiques vient d’un sondage commandité par J. Street, le groupe sioniste sensément progressiste, qui trouve que les Juifs des USA – même dans un échantillon anormalement âgé, riche et engagé religieusement – sont fortement opposés aux punitions collectives et aux colonies, hostiles à l’électorat israélien de droite, et soutiennent un gouvernement d’unité Fatah-Hamas comme « partenaire pour la paix ».
Ce contexte d’ouverture relative à la critique d’Israël provient en grande partie d’années d’organisation, d’activité et d’éducation par des groupes comme ‘Jews Against the Occupation/NYC’, ‘Jewish Voices for Peace’ (national) , ‘Jews for Peace in Palestine and Israel’ (Washington, DC), ‘Jews for a Free Palestine’ (Région de San Francisco), et ‘No Time to Celebrate’ (national), qui ont tous rompu avec l’orthodoxie de la position « pro-Israël, pro-paix » pour se focaliser sur la justice pour les Palestiniens. Les groupes sionistes « pro-paix », comme Meretz-USA, ‘Americans for Peace Now’, Tikkun, le ‘Shalom Center’, et ‘Brit Tzedek v’Shalom’, ont été avant tout actifs sur le papier depuis 2000 ou comme organisateurs de conférences dotés de droits d’entrée élevés. Les groupes « pro-justice », par contre, ont été capables de maintenir une présence croissante dans la rue et dans les médias pendant les neuf années de l’Intifada actuelle. Leurs critiques structurelles des actions du gouvernement israélien et du projet sioniste ont ouvert un espace pour que ces critiques modérées soient dites ouvertement, comme elles ne l’étaient pas il y a 5 ou 10 ans.
Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi ces voix plus « radicales » sont elles venues au premier plan si fort cet hiver ? Je crois que c’est à cause des changements dans le mouvement de solidarité avec la Palestine et plus largement dans la gauche, et dans la réflexion juive sur l’identité et la politique.
Une origine vient d’une suite de développements dans le mouvement de solidarité avec la Palestine qui a poussé l’ensemble du mouvement vers une analyse structurelle centrée sur le sionisme. L’éclatement de la 2eme Intifada en 2000 a déclenché une conscience bien plus grande de la gauche (et au-delà) à la fois de l’occupation de 1967 de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem Est et des réalités de la guerre du gouvernement israélien contre les Palestiniens. Un examen plus serré des accords d’Oslo – et de leur fonction pour masquer des vols supplémentaires de terres et pour coopter des parties de la direction palestinienne – a conduit rapidement le mouvement à s’éloigner de la priorité à un retour au statu quo de 1999. Une connaissance plus intime de la vie quotidienne des Palestiniens (sous l’occupation, dans les frontières de 1948 et en exil) a montré aux organisateurs comment bien des éléments de la situation actuelle étaient directement liés, non pas à la guerre de 1967, mais à celle de 1948 (ainsi, une majorité de Palestiniens, y compris une majorité de ceux des territoires occupés, sont des réfugiés de la Nakba, ‘catastrophe’, comme on désigne en arabe le nettoyage ethnique de la Palestine en 1947-48), ou à l’effort de colonisation pré-étatique sioniste (par exemple, le rôle du Keren Kayemet L’Israel/Fond National Juif comme agent de déplacement et de vol de terres).
Si bien qu’à la fin de 2008, une fraction significative du mouvement de solidarité a commencé à se focaliser sur le sionisme lui-même et à élaborer sa stratégie en conséquence. Ceci s’est traduit par le soutien de l’appel de la société civile palestinienne pour une stratégie combinée boycott/désinvestissements/sanctions, et par une réévaluation (et souvent un rejet) du modèle de partition (« deux Etats ») comme solution à long terme. Ces changements ont autant impliqué les participants Juifs au travail de solidarité avec la Palestine que les autres, et dans certains cas ils ont eu un rôle directif ou de soutien par leurs analyses du sionisme comme mouvement colonial (par exemple, récemment, voir l’essai de Nava EtShalom et de Matthew N. Lyons «Bring on the bulldozers and let’s plant trees’: The Problems of Labor Zionism. » [4]).
Le rôle central que les mouvements féministes et queers [5] et leurs analyses ont joué dans ce développement est un autre élément clé du jaillissement nouveau des critiques juives du sionisme, rarement remarqué dans la presse libérale ou progressiste. Cette influence est surtout évidente par la prédominance, dans la solidarité avec la Palestine, de groupes Juifs – et non-juifs – comme Women in Black; Kvisa Shchora (un groupe queer israélien radical, connu pour ses actions spectaculaires « No Pride in the Occupation” [Pas de quoi se vanter de l’Occupation]); New Profile (l’organisation féministe largement responsable de la visibilité et de la montée du mouvement de résistance à la conscription dans les collèges israéliens); Aswat: Femmes lesbiennes Palestiniennes, et le projet d’accompagnement en Cisjordanie de l’International Women’s Peace Service. Tous ces projets apportent au mouvement une orientation vers l’analyse structurale, une position de base antinationaliste et antimilitariste, et un regard sur la façon dont les structures de pouvoir raciales, économiques, nationales, de genre et sexuelles se rencontrent et souvent se soutiennent mutuellement. Leurs études élaborées du nationalisme israélien et du sionisme ont eu une influence au-delà de leur contact direct avec d’autres organisations.
Et la présence d’organisateurs de la solidarité avec la Palestine dans la sphère juive étasunienne ayant des origines dans les mouvements féministes et queers est peut-être encore plus omniprésente. ‘Veterans of ACT UP’, les ‘Lesbian Avengers’, ‘riot grrrl’, ‘Gay Shame’, ‘Fed Up Queers’, et une myriade de campagnes locales pour les droits en matière de reproduction (sans parler des projets spécifiquement juifs féministes et lesbiens comme Di Vilde Chayes, le ‘Jewish Women’s Committee to End the Occupation’ et d’autres) jouent des rôles clés en fixant le ton et la direction politique de groupes juifs de solidarité avec la Palestine tels que ‘Jews Say No’, ‘Jews Against the Occupation/NYC’, et ‘Jewish Voices for Peace’. Les actions mentionnées au début de cet article montrent cette influence : occupations de bureaux, barrages, mystifications – toutes font partie du répertoire perfectionné par ACT UP, la Women’s Action Coalition (WAC), Women’s Health Action & Mobilization (WHAM!), et les Lesbian Avengers pendant les années d’Oslo. Cet héritage est aussi une source majeure de la volonté de ces groupes de contester le sionisme directement plutôt que de limiter leurs critiques à des mesures et des actions spécifiques d’Israël. Les mêmes organisateurs sont souvent impliqués aussi dans un travail de solidarité avec la Palestine non-spécifiquement juif (Adalah-NY étant un cas particulièrement notable à cause de son adoption de tout cœur des tactiques issues d’ACT-UP), ce qui étend encore l’influence de ces lignées militantes.
Cet enracinement dans l’anti-nationalisme, l’analyse structurale et intersectionnelle féministe et queer et dans les tactiques d’action directes a été soutenu par le vaste changement parmi les radicaux US, spécialement les jeunes, vers ce qu’on pourrait appeler un nouveau trans-nationalisme, ou un trans-nationalisme par en bas. Commençant dans une certaine mesure avec les campagnes de soutien au soulèvement Zapatiste en 1994 au Chiapas (quoique certainement influencés par les solidarités précédentes avec les mouvements révolutionnaires en Espagne, en Amérique Centrale, Afrique du Sud et en Palestine), les radicaux étasuniens ont expérimenté de nombreuses façons pour trouver des stratégies de campagnes de solidarité internationales efficaces. Ceci a beaucoup varié, des luttes contre les ateliers de négriers à la fin des années 90 et des mobilisations de masse anti-sommets de 1999-2003, aux actions focalisées sur le plan Colombia, le plan Puebla-Panama et autres projets des USA dans les Amériques. Ils ont tous partagé, je dirais, une approche générale qu’on voit clairement maintenant dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, y compris sa facette juive.
Ce que je qualifie de nouveau trans-nationalisme est résolument anticolonialiste et anti-impérialiste, antinationaliste ambivalent, fermement (quoique souvent vaguement) anticapitaliste, généralement antiautoritaire, et nullement unifié organisationnellement. Il reconnaît l’importance de la résistance « dans le ventre de la bête » tout en affirmant l’auto-détermination dans un réseau de communautés résistantes et le droit des luttes de libération de choisir les tactiques qu’elles trouvent les plus adaptées. Si ça a l’air beaucoup « anti » avec pas beaucoup de « pro », c’est souvent ainsi. Le meilleur journal qui émerge de cette partie de la gauche radicale pour le moment est le « journal de théorie et d’action » canadien ‘Upping the Anti’ [6], qui offre un espace bien nécessaire pour des discussions soutenues de politique révolutionnaire entre générations et mouvements. Le journal a choisi son nom précisément pour souligner sa mission d’aller de ces positions négatives vers une vision stratégique positive.
Quoi qu’il en soit, cette approche partagée, avec toutes ses tensions internes, est profondément inscrite dans les critiques juives actuelles du sionisme et dans le mouvement actuel de solidarité avec la Palestine en général. Nous voyons ainsi une ambivalence générale sur la valeur d’un Etat palestinien (en raison d’un plan de partage viable de moins en moins plausible) ; un refus de principe de condamner l’autodéfense armée (parallèlement à de fortes critiques de certaines tactiques) ; un soutien aux comités locaux de résistance prioritaire par rapport à l’attention vers les partis politiques principaux palestiniens ; une analyse claire du sionisme comme projet colonial de pair avec une option moins cohérente sur le nationalisme arabe ; un vague alignement avec la gauche palestinienne et une forte critique de la fiction du « sionisme de gauche », mais pas de vision claire d’une économie régionale non-capitaliste ; et une attention croissante sur les parallèles entre les stratégies israéliennes et US de « sécurité, « contre-terrorisme » et de militarisation.
Finalement, pour revenir à la sphère spécifiquement juive, la montée de la critique du sionisme fait partie d’un changement dans la culture et la pensée juives sur l’identité. Après plus d’un demi-siècle de domination sioniste sur l’éducation juive et les institutions communautaires, des voix alternatives percent, par des voies souvent sans rapport avec la Palestine mais qui au final soutiennent les efforts juifs de soutien à la Palestine. Au cours des dernières décennies, il y a eu une montée régulière de l’intérêt pour les cultures et histoires diasporiques juives, particulièrement chez les jeunes Juifs insatisfaits de la vision ‘Herzl-et-Hitler’ de la vie et de l’histoire juives présentée par les institutions juives dominantes, et de son principal concurrent, le fondamentalisme religieux.
Ceci a été le plus visible aux Etats-Unis dans ses manifestations Ashkénazes : les groupes klezmer [7] sont maintenant dans les principales rencontres et la « musique juive » est devenue un sous-genre sur-publicisé ; les questions de société des périodiques ont changé leurs titres de « le Yiddish meurt ! » à « le Yiddish revit ! » alors que gonfle l’intérêt et l’inscription aux cours ; le navire amiral de la rencontre des arts yiddishisants, Living Traditions’ annual KlezKamp, va avoir 25 ans en 2009.
D’autres communautés juives –Sépharade, Arabo-Juive, Beta Yisrael (Ethiopienne), Afro-Américaine, etc. – ont aussi exprimé des affirmations similaires de spécificité culturelle, souvent en opposition à la domination ashkénaze sur tous les espaces juifs possibles, comme, par exemple, dans le travail de Loolwa Khazoom (éditeur : The Flying Camel), Ammiel Alcalay (After Jews and Arabs; Memories of Our Future), Walter Isaac (“Locating Afro-American Judaism”), et Ella Shohat (Taboo Memories, Diasporic Voices; Flagging Patriotism). Avec ces changements culturels est venu un nouvel intérêt pour la politique, émergeant des mêmes communautés diasporiques.
Parmi les Ashkénazes, la ‘Jewish Workers Union’ socialiste révolutionnaire – plus connue sous le nom de Bund – est devenue un point de référence fréquent. En particulier, le principe du doykayt (here-ness, vivre là où nous sommes), combinant la spécificité culturelle juive et la solidarité interethnique basée sur des intérêts de classe partagés, a défini les efforts locaux des associations juives de justice sociale dans le pays, de ‘Jews for Racial and Economic Justice’ (à New York) à la ‘Progressive Jewish Alliance’ (à Los Angeles). Pourtant, malgré le lien direct entre le doykayt et l’antisionisme ardent du Bund, même les plus politisés des gens et des associations impliqués dans cet engagement renouvelé avec la Diaspora ont en général refusé fermement de s’engager sur la question du sionisme, et présenté une position confuse « pro-paix » ou mis en avant une attitude « l’art, pas la politique ». Il y a eu de notables exceptions: pour les points de vue Séfarades et Arabo-Juifs, Alcalay and Shohat (surtout dans “Sephardim in Israel: Zionism from the Standpoint of Its Jewish Victims” [8]), et dans les visions Ashkenazes ou Yiddishistes, la poète, militante et essayiste Irena Klepfisz (‘Dreams of an Insomniac’ et ‘A Few Words in the Mother Tongue’), et l’historien de la religion et de la culture Daniel Boyarin (‘Unheroic Conduct’, ‘Dying for God’, et ‘Border Lines’).
Pourtant, ces présentations de plus en plus exprimées des valeurs de la culture diasporique juive sont vite conflictuelles avec de nombreux aspects du sionisme. Et au final elles entrent en collision avec le sionisme globalement : le projet de mettre l’Etat d’Israël au centre de la vie juive dépend de la dévaluation et de l’effacement des cultures et histoires diasporiques, réduisant deux millénaires de vie juive à un vide ponctué seulement de massacres et de rédemption nationaliste. Au mouvement sioniste, aussi central que le contrôle de la terre de la Méditerranée au Jourdain, il y a l’exigence du ‘shlilat hagalut’ (négation ou liquidation de la diaspora), qui affirme que les cultures juives diasporiques « dégénérées » doivent être éliminées dans toutes formes sauf la pacotille Bagels & Seinfeld, et remplacées par une nouvelle culture hébreu militarisée et nationaliste. Si bien que les participants dans ce que Melanie Kaye/Kantrowitz a appelé le « diasporisme radical » (dans ‘The Colors of Jews: Racial Politics and Radical Diasporism’ de 2007 [9]) se voient de plus en plus eux-mêmes en opposition au sionisme, et solidaires des Palestiniens sur la base d’un ennemi commun et de l’intérêt de la justice.
Le « diasporisme radical », en tant que tel, est loin d’être répandu, même si son influence se voit beaucoup dans la sphère culturelle. Rien que pour les musiciens, il est central et central dans le travail d’artistes aussi divers que le neo-klezmer Black Ox Orkestar de Montréal, dont l’obsédant « Ver Tanzl » traite directement de l’occupation dans ses paroles yiddish, Dan Kahn, de Berlin, dont les airs du « cabaret post-dialectique » “Dumay” and “Nakam (6,000,000 d’Allemands)” s’opposent au projet sioniste d’un point de vue historique; la MC Invincible hip-hop de Detroit (“Emperor’s Clothes”); les Shondes, queer rockers de New York (“I Watched the Temple Fall”); le chanteur-compositeur Jewlia Eisenberg de la région de San Francisco ; et la légende punk Nomy Lamm de riot grrrl.
Cependant, la dynamique culturelle radicale qu’exprime le diasporisme est envahissante. Le très sioniste rapport « Beyond Distancing » [« Au delà de la distanciation »] de la fondation philanthropique Bronfman en apporte exactement la preuve [10]. L’enquête Bronfman a regardé les majorités passées qui s’identifiaient comme « pro-Israël » et niaient l’existence de l’occupation, et a trouvé que les jeunes Juifs étasuniens, indépendamment de leurs opinions politiques, étaient moins attachés à Israël que leurs ainés (avec à peine 20% « très attachés ») et ayant plus de chances d’être activement « distanciés » de l’Etat juif (11% parmi des enquêtés de moins de 35 ans penchant à gauche, et un surprenant 21% pour ceux penchant à droite, moyennant à 19 à 26% de ceux de moins de 49 ans). Peut être plus parlant, ils n’ont pas pu trouver une majorité de réponses parmi les moins de 35 ans pour dire que la destruction de l’Etat d’Israël « serait une tragédie personnelle ». Cette « distanciation », me semble t-il, est en partie le résultat du travail culturel diasporiste, et est certainement un élément significatif dans l’histoire de la montée de la visibilité de l’opposition juive au sionisme.
Les critiques juifs du sionisme – et la participation juive au mouvement de solidarité avec la Palestine en particulier – sont significatives au delà des limites des communautés juives elles-mêmes, notamment aux Etats-Unis, surtout à cause des privilèges donnés ici aux voix juives dans les discussions sur la Palestine et Israël. Mais, comme Esther Kaplan l’a écrit dans son essai « Globalize the Intifada » (dans ‘Wrestling with Zion’, Alisa Solomon et Tony Kushner, eds.), si les Juifs des USA et d’ailleurs ont un rôle à jouer dans la lutte pour la libération palestinienne, et dans certains cas occupent une position stratégique, ils ne sont en aucun cas à son centre. Pour les Juifs, comme pour chacun/e engagé dans cette lutte, la tâche est d’agir avec nos amis et camarades Palestiniens, Arabes et autres pour aller de notre opposition commune au sionisme vers des stratégies de résistance qui peuvent finalement libérer la Palestine.
Daniel Lange/Levitsky
Monthly Review, juin 2009
http://www.monthlyreview.org/090622lang.php
Titre originel : Jews Confront Zionism
Traduction :JPB
Notes du traducteur :
[1] AIPAC : « American Israel Public Affairs Committee”, premier lobby pro-Israël aux USA, agissant principalement vers les personnes politiques (députés, sénateurs) et la haute-administration.
[2] Hillel : http://www.hillel.org/index, organisation sioniste de la jeunesse juive sur les campus.
[3] “Birthright Israel”, “Israël par droit de naissance”, programme sioniste faisant visiter Israël par des jeunes Juifs à des fins de propagande et pour les inciter à émigrer éventuellement dans l’Etat d’Israël. Voir aussi les subversions antisionistes de ce programme : « Unplugged Israel » et « Birthright Replugged ».
[4] http://comminfo.rutgers.edu/~lyonsm/bulldozers.html
[5] Queer : mouvement radical homosexuel et transsexuel, principalement étasunien, principalement hostile à la catégorisation des sexes.
[6] http://uppingtheanti.org/
[7] Klezmer : littéralement « instrument de chant », musique traditionnelle ashkénaze, généralement chantée en yiddish.
[8] Ella Shohat, « Le sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les juifs orientaux en Israël », éditions La Fabrique (2006).
[9] Indiana University Press, http://www.indiebound.org/book/9780253219275
[10]