24 juin 2022 : plus de 24 corps sans vie jonchent le sol à la frontière de Melilla, de nombreux autres sont blessés. Qui dira leurs Noms ? La police, bras armé de la barbarie du Maroc et de l’Espagne, a continué à pousser nos frères contre les barbelés, les acculant à la mort. Il n’y a aucun mot pour cette indignité.
Ainsi des États érigent des kilomètres de barbelés pour se protéger des migrants : plus de 1 300 kilomètres pour la barrière entre les États-Unis et le Mexique, 20 kilomètres pour Ceuta et Melilla qui ne sont que des enclaves ; sans oublier le mur de l’apartheid érigé par l’État israélien sur plus de 700 kilomètres au prétexte de se protéger du peuple palestinien. L’ensemble de ces murs sont le symbole d’un système libéral qui se calfeutre dans un entre-soi où la confrontation des altérités est une menace. Les États tentent de s’isoler pour se protéger des migrants et des « terroristes », tout comme le font certaines résidences, entourées de murs et de caméras.
Tous les murs entre États sont pourtant illégaux ; rappelons-nous l’avis de la Cour International de Justice de juillet 2004 concernant le mur de l’apartheid, elle statuait que ce mur constitue un acte illicite. Tout comme le sont les barrières pour contrer les migrations, ce sont autant d’entraves à la liberté de circulation. Soulignons toutefois que si toute personne peut sortir d’un État, son entrée dans un autre est soumise à des règles restreignant la liberté de circulation telle que présentée dans l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État et toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». C’est loin d’être le cas, la réelle liberté de circulation n’est encore qu’à l’état d’un projet politique qui est à gagner pour que ce droit devienne réellement effectif.
L’Union européenne pourra une fois encore se retrancher derrière des mots de compassion et ses textes mortifères au prétexte de « ne pouvoir héberger toute la misère du monde » comme l’affirmait Michel Rocard en 1989, il n’en reste pas moins qu’elle porte une lourde responsabilité dans la façon dont sont traités les migrants qui se pressent à ses portes. Elle est responsable de la xénophobie ouvertement affichée par certains de ces États. Elle est responsable du racisme exprimé sans aucune retenue dont font preuve certains dirigeants dès qu’il s’agit des corps noirs et de la religion musulmane.
L’externalisation des politiques migratoires a jeté plus de 24 000 migrants dans le cimetière géant qu’est devenue la mer Méditerranée ; elle en a jeté des milliers d’autres dans l’enfer d’une traversée infernale où les migrants se trouvent pris au piège des passeurs, de la violence sans nom de la police, et parfois de l’esclavage qu’ils ne peuvent fuir qu’au risque de leur vie.
Cette tragédie s’inscrit dans un contexte où les relations entre le Maroc et l’Espagne se sont normalisées puisque l’Espagne a décidé de soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental éliminant ainsi un acteur majeur, le Front Polisario, qui exigeait que ce plan soit validé par un référendum d’autodétermination. Force est de constater que le traitement des migrations est aussi le résultat de rapports de force entre États, au risque de la vie des migrants.
Si le monde entier s’est ému de la mort de George Floyd, s’il s’est ému des milliers de réfugiés ukrainiens, pourquoi ce même monde ne peut-il se dresser contre ce que nos États infligent à ceux qui migrent pour des raisons économiques, environnementales ou politiques ? Pourquoi la vie des migrants africains ne compte-t-elle pas, pas plus que celle des Syriens, des Afghans ou des Irakiens ?
L’Europe, celle qui prétend au nom de la Modernité euro-centrée donner des leçons d’humanisme à l’ensemble du monde, a perdu, avec sa gestion des migrants, le droit de se prévaloir des droits humains pour se démarquer des États qui les violent en permanence. Il y a bien longtemps que ce continent est passé du côté sombre de la violence, ne pouvant ainsi plus se prévaloir des Lumières dont elle prétend être la seule héritière.
Avec cette façon indigne et meurtrière de traiter nos frères africains, l’Europe démontre qu’elle n’est plus en mesure de défendre ses propres valeurs. Elle ne cesse depuis les découvertes de 1492 de tomber dans l’abject en niant le droit à la vie à l’ensemble des racisés et des plus précaires.
Ce traitement indigne n’est pas spécifique à l’Europe, quelques jours après le drame de Melilla, 51 corps sans vie ont été retrouvés dans un camion au Texas. Qui dira leurs Noms ?
Le seul argument trouvé par le président américain se réduit à appeler à lutter contre les passeurs. Mais si l’Europe et les États-Unis étaient concernés par la vie de ceux qui fuient une vie devenue impossible alors ce n’est pas contre les passeurs qu’ils uniraient leurs efforts mais contre les politiques libérales qui privent des millions de personnes d’une vie digne. Ils se mobiliseraient contre les guerres illégales portées par leurs propres États, contre l’exploitation illicite des ressources naturelles, contre la privatisation galopante de l’ensemble des services publics ; ils se mobiliseraient contre un système capitaliste libéral et raciste qui engendre guerre et misère et qui produit des migrations massives.
La Fondation Frantz Fanon dénonce l’ensemble des politiques d’exclusion, de ségrégation, de sélection dont sont victimes l’ensemble des racisés et particulièrement les migrants. Il est temps, il est plus que temps pour l’humain d’en finir avec « une Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde » ; (Frantz Fanon; Les damnés de la terre, 1961).
Il est temps d’agir pour un monde décolonial où l’humain passe avant la libéralisation du monde.
Fondation Frantz Fanon