Le Samedi 23 décembre par Hanan Ben Rhouma
Alors que le bilan humain à Gaza ne cesse de grimper pour dépasser les 20 000 morts, les Palestiniens de l’exil sont plus que jamais engagés pour « prendre la part qui (leur) revient dans le combat » contre le système d’oppression qu’inflige Israël à leur peuple après comme bien avant l’attaque du 7 Octobre. A Paris, à leur initiative, un meeting a été organisé à la veille des fêtes de fin d’année afin de continuer à faire de chaque jour qui passe « un jour de solidarité avec le peuple palestinien » avec une communauté de soutien la plus large possible.
L’heure n’est clairement pas à la fête pour les Palestiniens, qui subissent une sanglante répression d’Israël en Cisjordanie et bien plus encore à Gaza. Les fêtes de fin d’année ne doivent pas signer la fin de la mobilisation, loin s’en faut. Urgence Palestine s’est chargé de le rappeler lors d’un meeting mercredi 20 décembre à la Bourse du travail, à Paris. L’invitation lancée en dernière minute n’a pas empêché le collectif de faire salle comble, signe de l’intérêt vif et renouvelé d’un public de tous âges venu témoigner leur solidarité. Cette action, indiquent les organisateurs, a été « forgée dans l’urgence » mais « elle s’inscrit dans une lutte de libération totale » des Palestiniens sur le long terme. Avec, pour mot d’ordre, « De Gaza a Paris, résistance ! »
Devant quelque 500 personnes attentives, une dizaine de voix palestiniennes de l’exil, réunies au sein de Boussole Palestine et mobilisées « face à la barbarie génocidaire qui s’abat sur (leur) peuple », ont su se faire entendre et transmettre leur émotion devant la tragédie qu’ils vivent dans leur chair depuis plus de deux mois. C’est le cas de Selma, sage-femme de profession et Gazaouie exilée à Bruxelles, qui a pris son courage à deux mains « pour porter les voix qu’on n’entend pas ici » en Europe. Bien qu’il soit « difficile d’étaler en quoi notre humanité est blessée », elle déclare avoir senti « un grand moment de responsabilité » lorsqu’elle a été appelée à témoigner publiquement de son vécu. Le matin même, sa famille avait survécu à un bombardement de la maison voisine de celle où elle s’était abritée. Depuis, plus de nouvelles au moment où elle intervenait du fait de la rupture des services de communication.
Des vies terriblement bouleversées
Comme elle, Ismail vit dans l’attente constante de nouvelles de sa famille de Gaza où il a travaillé 12 ans en tant que journaliste. Deux choses font désormais partie de son « rituel quotidien », raconte-t-il : « Je suis constamment en train d’essayer de joindre ma famille. Je suis constamment les différents canaux d’information pour connaître les lieux de bombardements et la liste des martyrs qui sont tombés. On sent que la vie n’a plus de sens. Je ne sais plus ni boire, ni manger, ni dormir… Dans ce quotidien, la seule chose qu’on espère est d’être rassurés sur l’état de nos familles. » Sachant que, souvent, « un appel qui nous provient de Gaza est presque systématiquement une mauvaise nouvelle », s’attriste Selma.
Tous livrent une charge contre les médias francophones « qui ne restituent pas la réalité », et ce bien avant la tragédie en cours. Avec son œil de Palestinien mais aussi de professionnel de l’information, Ismail estime que les médias mainstream se gardent bien de raconter véritablement « le quotidien douloureux des Palestiniens » des dernières semaines, ni d’expliquer « le cadre global de ce conflit depuis ses origines ». « Notre cause n’a pas commencé le 7 octobre mais en 1948, quand l’occupation s’est imposée par la force et la violence sur notre terre et notre peuple », martèle Abdelaziz, étudiant originaire du camp martyrisé de Jabalya, dans le nord de l’enclave, mais dont la famille est originaire de Jaffa, aujourd’hui située en territoire israélien.
Des crimes de guerre israéliens qui se perpétuent
Israël affirme être « en guerre contre le Hamas ». Un mensonge « largement relayé » car, autrement, « pourquoi nous prive-t-on de tout ce qui est essentiel ? », s’interroge Ismail. Seuls quelques camions d’aide humanitaire entrent à Gaza, « comme quelques gouttes dans un désert assoiffé ». Un filet humanitaire qui est loin de répondre aux besoins essentiels, ne cessent d’alerter chaque jour désespérément les ONG. Lundi 18 décembre, Human Rights Watch (HRW) dévoilait avoir amassé des éléments de preuve indiquant que les civils sont « délibérément privés d’accès à la nourriture et à l’eau » ainsi qu’en carburant. Israël utilise la famine comme « arme de guerre à Gaza », ce qui constitue « un crime de guerre », dénonce l’organisation. « Si les Palestiniens ne meurent pas d’un bombardement, ils mourront de faim et de soif », alerte Abdelaziz.
« Les crimes de guerre israéliens existent depuis des années », souligne à nouveau Ismail, qui rappelle le blocus inhumain que vivent les Gazaouis depuis 2007. Une liste de produits interdits avait alors été émise comme « le chocolat, les boissons gazeuses, les fruits, le ketchup, la harissa, la mayonnaise, les pâtes. En quoi est-ce une menace pour la sécurité d’Israël que je puisse manger des pâtes ou pas ?! (…) Depuis, j’ai toujours dans mon esprit la conviction que l’objectif d’Israël n’est pas de cibler des organisations qu’il prétend combattre mais de cibler tout le monde. C’est ce qu’on appelle une punition collective qui s’abat sur tout le peuple ». Hier comme aujourd’hui.
En tant que professionnels de santé, « nous sommes le dernier rempart contre la mort. Quand on s’attaque contre ce dernier rempart, je ne vois pas comment l’opinion publique peut douter qu’il s’agisse d’actions de génocide et d’extermination de toute une population », intervient, au cours de la soirée, une membre des Blouses Blanches pour Gaza, qui réunit un millier de soignants solidaires avec leurs confrères palestiniens.
Refuser l’entreprise de déshumanisation des Palestiniens
« Je suis dégoûtée de ce monde qui permet à des enfants de naître dans le bruit incessant des bombardements et dans cette odeur terrifiante de mort », s’attriste Selma, en référence à son neveu né récemment en plein chaos humanitaire. Mais « ce qui me fait tenir, c’est ma foi profonde dans le droit et dans le fait que j’appartiens à cette terre. La confiance aussi que mes enfants auront une patrie dans laquelle ils pourront vivre. Si je n’avais pas cette foi profonde, je serais totalement détruite ».
Face à l’entreprise de déshumanisation à laquelle font face les Palestiniens, l’écoute des premiers concernés est primordiale et un rappel s’impose. « Nous ne sommes pas des chiffres, nous sommes des histoires. Chaque Palestinien ici et là-bas ont des histoires à raconter », lance Ismail. Tout aussi déterminé, Abdelaziz adresse un message d’espoir de voir la libération de son peuple « from the river to the sea ». Le tout sous un tonnerre d’applaudissements qui viennent clôturer les témoignages avec les slogans « Palestine vivra, Palestine vaincra ! » / « Et vive la lutte du peuple palestinien ! ».
S’ensuivent les interventions des activistes palestiniens Ramy Shaath et Salah Hamouri. « Un génocide est lancé contre le peuple palestinien » et « c’est un plan préparé depuis bien avant le 7-Octobre avec l’aide de Joe Biden », affirme le Franco-Palestinien.
« Le peuple palestinien résiste envers et contre tout », manifeste Ramy Shaath. « Il n’y a pas de paix possible avec le projet colonial sioniste. Et ils (les autorités israéliennes, ndlr) ont réussi à mobiliser des milliers de juifs dans le monde qui disent leur opposition avec ce projet colonial raciste. » A l’image du jeune collectif juif Tsedek ! dont un militant, présent dans la salle, réaffirmera plus tard que « la meilleure façon de lutter contre l’antisémitisme est de lutter aux côtés des Palestiniens pour leur libération ».
Salah Hamouri affiche ainsi l’espoir de voir le projet sioniste mis en échec « grâce à la résilience et à la résistance des Palestiniens » que les gouvernements israéliens successifs n’ont pu éliminer en 75 ans de lutte. « La liberté est notre destin final. »
La France « loin de l’accueil digne et humain » des Palestiniens de Gaza
Pour l’heure, l’accueil en France des Palestiniens « rescapés du génocide de Gaza » – au nombre de 180 depuis début novembre dont deux tiers d’enfants, répartis à travers le territoire, précisent les organisateurs – préoccupe Aïda, une bénévole palestinienne qui concourt à leur venir en aide. « Ils se sont retrouvés avec un accueil a minima, loin de l’accueil digne et humain qu’ils sont en droit s’attendre », s’étrangle-t-elle. « On a affaire à des personnes qui ont laissé leurs vies, leurs souvenirs mais aussi de la famille. Il n’y a pourtant pas de suivi psychologique. (…) On fait revivre des traumas à ces familles à qui on a annoncé souvent en dernière minute leur départ vers la France. »
« On fait ce qu’on peut avec nos moyens de bénévoles, ça nous coûte énormément, ça nous coûte en énergie… On a autant besoin de suivi psychologique parce que c’est nous qui recueillons les témoignages. La situation est terrible », dit-elle avec émotion. « On voit le deux poids deux mesures dans l’accueil des réfugiés européens et palestiniens. »
Faire rimer l’esprit des fêtes de fin d’année avec la solidarité
Avec Urgence Palestine, un comité d’aide est en cours de création. « On n’attend plus rien de l’Etat français, on doit organiser des alternatives autonomes pour assurer le meilleur accueil aux rescapés du génocide », déclare l’animateur du collectif Omar Alsoumi qui, après l’adoption de la loi immigration, prône à nouveau la convergence des luttes « autour de valeurs communes de justice et de solidarité, (…) contre les racistes et les fascistes ».
Avec les fêtes de fin d’année, les organisateurs souhaitent ne pas voir la solidarité pro-palestinienne retomber. Une grande manifestation est prévue le 13 janvier 2024 à Paris mais d’autres rendez-vous sont promis partout comme une tournée des quartiers pour échanger avec des Gazaouis. « Il nous faut continuer à partager ces valeurs de résistance jusqu’au retour de chaque Palestinien chez lui » à travers, entre autres, des actions de boycott des produits israéliens et de toute société soutenant l’entreprise coloniale de quelque manière que ce soit.
Boussole Palestine a lancé, au nom des Palestiniens en exil désireux de « prendre la part qui (leur) revient dans le combat contre l’occupation », un appel aux églises de France (à lire ici) à « bien vouloir, lors de la messe de Noël, relayer ce que décrivent (leurs) confrères palestiniens qui officient depuis Bethléem, Jérusalem ou Gaza, appeler à un cessez-le feu immédiat, à la levée du blocus de Gaza et à la justice en Palestine ».