J’ai quitté le domicile familial le lundi 7 janvier 2019 à 9h30 du matin afin d’être à l’aéroport Ben Gourion, près de Tel Aviv, à 10h30 pour prendre le vol de 12h45 pour Amsterdam, où je prépare ma licence en musique.
Avant de faire ma valise, la veille au soir, j’ai fait une liste de ce que je devais emporter pour être sûre de ne rien oublier. J’ai réussi à cocher tout ce qui était sur la liste et à être à temps à l’aéroport. Mais il y avait une chose que j’avais oublié de noter… un détail très important auquel j’ai simplement oublié de penser…je suis Palestinienne !
Comme tous les Palestiniens qui ont la citoyenneté israélienne et qui vivent sous le régime israélien d’apartheid, j’ai toujours un mauvais sentiment en allant à l’aéroport et cette fois n’a pas fait exception. Le rhume que j’avais contracté la veille n’a pas aidé non plus. Ma mère, qui m’a conduite à l’aéroport, était vraiment préoccupée par la présence d’un checkpoint militaire sur la route, qui pouvait me faire manquer l’avion, mais on a eu de la « chance » cette fois-ci.
Une occupation militaire coloniale qui vous brutalise depuis tant d’années, peut réellement ruiner vos espérances. Réussir à passer un checkpoint militaire commence à vous donner ce sentiment étrange de réussite. Vos droits humains de base deviennent un privilège plutôt que la norme et deviennent la nouvelle norme.
Une des caractéristiques les plus dangereuses des régimes d’oppression coloniale est qu’ils font en sorte d’occuper l’esprit des opprimés et pas seulement leur terre.
Nous sommes arrivées à l’aéroport et j’essayais de convaincre ma mère de ne pas attendre que j’en aie fini avec le contrôle déshumanisant de « sécurité », comme elle le fait toujours. Alors que j’aime toujours voir son visage à distance, derrière l’épaisse vitre, faisant un signe de la main rassurant, je déteste vraiment la voir en colère mais impuissante face aux agents racistes de la sécurité d’Israël essayant de m’humilier juste pour ce que je suis – une Palestinienne. Je l’ai suppliée de partir, mais elle a insisté : « Je ne peux vraiment pas te laisser dans cet endroit horrible. On ne sait jamais ce qui va arriver ». Elle avait raison !
Mon nom arabe sur mon passeport a immédiatement trahi mon identité, une invite à leur traitement « royal ». Lorsque l’officière de sécurité m’a demandé si je parlais hébreu et que j’ai dit non, elle a été visiblement fâchée. Lorsqu’elle m’a demandé ce que je faisais à Amsterdam et que j’ai répondu que j’étudiais le jazz, elle n’a pu contenir plus longtemps ses ondes racistes. Comment pouvais-je aussi brutalement démolir son stéréotype sectaire des « femmes arabes » ? Elle m’a dit que je devais passer par une « fouille au corps » intrusive.
Je l’ai aussitôt accusée de racisme, de profilage racial et de vouloir se venger de moi pour ce que je suis et ce que je fais. Elle a hurlé en retour qu’elle faisait son travail. Je lui ai rappelé que de nombreux crimes innommables ont été perpétrés dans l’histoire sous ce prétexte immoral.
Elle a pris sa revanche en prétendant que mon ordinateur portable ne satisfaisait pas au contrôle de sécurité et que donc je ne pouvais le prendre dans l’avion. Cela, en dépit du fait qu’elle m’avait demandé de l’ouvrir et de l’allumer, ce que j’avais fait sans problème. Elle me dit qu’ils me l’enverraient pas la poste à mon adresse d’Amsterdam. J’ai ri à son effronterie et j’ai énergiquement refusé. Je sais d’expérience, et de celles d’autres Palestiniens, que laisser son ordinateur aux mains des services de sécurité de l’aéroport Ben Gourion signifie qu’il sera invariablement piraté, abîmé ou « perdu ».
Je lui ai dit que je ne pouvais pas voyager sans mon ordinateur étant donné qu’il contient toutes mes notes de musique et de cours et que sans lui je ne peux assister à aucun de mes cours.
Son superviseur a soutenu sa décision vindicative, aussi ai-je été contrainte de rater mon avion. J’ai pris mon ordinateur et me suis rendue là où ma mère attendait, inquiète. Elle m’a accueillie en me prenant dans se bras le plus tendrement et en versant quelques larmes, puis elle a dit : « Ne t’en fais pas, nous allons trouver une solution. Je suis si fière de toi !».
Le lendemain, elle m’a conduite à la frontière terrestre avec la Jordanie. Après une nuit délicieuse en famille à Amman, à profiter des célèbres tourtes épinards-fromage blanc de ma grand-tante, j’ai pris l’avion à l’aéroport accueillant d’Amman et je suis arrivée en toute sécurité à Amsterdam, munie de mon ordinateur, en toute dignité.
Aussi furieuse que je sois à l’égard du sale racisme et de l’esprit vengeur de l’agente de la sécurité israélienne, j’ai ressenti un peu de pitié pour elle. Malgré tous ses efforts pour m’humilier, je continuerai à résister à son racisme d’État et à l’apartheid, grâce à ma musique et un jour il se peut que j’apporte quelque chose de marquant à la lutte de libération de mon peuple. Quant à elle, elle continuera à fouiller les sous-vêtements des Palestiniens, à mentir sur le fait que nos ordinateurs ne satisfont pas aux contrôles de sécurité, et à être un outil insignifiant d’un système d’oppression raciste.
Alors que je m’apprêtais à quitter l’aéroport, j’ai élevé la voix pour être sûre que mes derniers mots atteignent autant de monde que possible dans l’aéroport. « Vous savez ce qui est tout près d’Amsterdam ? La Haye. Un jour, vous et vos dirigeants serez condamnés pour vos crimes à la Cour Pénale Internationale ».
Elle a gardé le silence et a baissé les yeux, et je suis sortie un sourire aux lèvres, la tête haute et j’ai vu maman qui continuait à me faire signe de la main.
Par Nai Barghouti. Publié sur le site de l’Agence Média Palestine le 14 janvier 2019.
Source : Mondoweiss
Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine
Nai Barghouti est une jeune mais grande musicienne palestinienne. C’est aussi la fille de Omar: elle mélange son art et son engagement ; voici la célèbre chanson Strange Fruit, qu’elle interprète en hommage à la Grande Marche du Retour de Gaza.