Ce Café-Diplo des Amis du Monde diplomatique sera introduit et animé par HERMANN ALLA, étudiant à l’Université de Metz en master de Droit Public et RICHARD SROGOSZ, de l’Union Juive Française pour la Paix.
Cette question apparemment absurde se pose du fait de l’alliance des autorités israéliennes avec les gouvernements des États-Unis, du Brésil et de plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, gouvernements dont les penchants et politiques antisémites sont notoires. Sans pouvoir détailler les calculs stratégiques de tous ces acteurs [note]Henri GOLDMAN, “ Le sionisme est-il un antisémitisme ? ˮ, Le Vif/L’Express du 28 fév. 2019, www.levif.be/actualite/international/le-sionisme-est-il-un-antisemitisme/article-opinion-1098781.html.]], une tendance apparaît dans l’ensemble du monde occidental, celle à assimiler l’antisémitisme à la gauche et à la critique de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens.
Ainsi, une exposition en cours au centre éducatif Anne Frank à Francfort-sur-le-Main présente comme antisémites, par exemple, la revendication d’une juste rémunération pour les produits paysans ou les débats et mouvements depuis 1968 autour de l’“amour libreˮ et de l’habitat communautaire. On peine à comprendre… Dans d’autres cénacles, les actes antisémites les plus meurtriers sont banalisés : dans sa liste des 10 événements antisémites les plus graves en 2018, le Centre Simon-Wiesenthal de Los Angeles met sur le même plan l’attentat contre la synagogue de Pittsburgh (11 morts) et la décision de la plateforme informatique Airbnb d’ôter de son site les offres de logement dans les colonies israéliennes !
Obnubilés par le conflit israélo-palestinien, les acteurs évoqués ci-dessus semblent perdre de vue que la dimension structurante de l’antisémitisme pour la société capitaliste et l’imbrication de la persécution des juifs avec la vie quotidienne et familiale notamment dans les régimes fascistes et autoritaires de la première moitié du XXème siècle sont toujours peu élucidées ; nombreuses sont les personnes qui ignorent ce que faisaient leurs parents ou grands-parents dans les années 1930/1940…
Pour autant, ces quelques éléments et exemples n’attestent pas une promotion de l’antisémitisme. Il s’agit plutôt, de la part des acteurs évoqués ci-dessus, d’utiliser le reproche d’antisémitisme pour décrédibiliser tantôt les oppositions à la politique de colonisation israélienne dans les territoires occupés, tantôt les contestations anticapitalistes dans d’autres pays. Néanmoins, cette stratégie d’instrumentalisation de l’antisémitisme peut soulever deux grandes inquiétudes : Elle risque, d’une part, de disculper les attitudes et actes hostiles aux juifs en les noyant dans une multitude de positions et comportements contestataires, rapprochant par ricochet le judaïsme de la défense ‒ néolibérale ou autoritaire ‒ du désordre capitaliste. D’autre part, elle est susceptible de mettre les juifs sous une pression réductionniste : en les poussant partout dans le monde à s’identifier avec Israël, elle réduirait leur religion à un trivial nationalisme. Il est vrai qu’un tel réductionnisme nationaliste s’exerce actuellement dans d’autres pays : l’hindouisme est embrigadé en soutien au gouvernement de l’Inde, l’islam au profit de ceux de l’Iran et de la Turquie…